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La ville de Rey, le Temple de Bibi Shahrbânou ou le Sanctuaire d’Anâhide
Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri
La ruelle ne semble mener nulle part. Elle commence par un quartier aussi ancien que la ville elle-même. La quotidienneté d’une vie simple et naïve mais cultivée et généreuse n’a pas encore été dérangée par le passage des bus de couleurs variées. Le chemin passe par le quartier et mène vers le haut, en direction d’un mont gigantesque. Les passagers descendent l’un après l’autre du bus en respirant l’air frais de la montagne. A peine descendus, ils lèvent la tête quasi inconsciemment pour chercher le dôme turquoise du temple, celui de Bîbî Shahrbânou. Des centaines de pèlerins désirent y venir non seulement pour la dimension sacrée de l’édifice, mais aussi pour le calme et la tranquillité qu’ils y ressentent. Dès que les rayons du soleil touchent le dôme émaillé du temple, sa splendeur s’accroît. Celui-ci daterait de la dynastie Safavide tandis qu’un autre dôme avoisinant appartiendrait à des époques bien plus reculées, comme celle des Daïlamites. Il est de couleur brune et d’une architecture assez distincte de celle de l’autre dôme. L’enceinte du temple est clôturée par une murette en pierre. L’infini du ciel bleu l’embrasse.
Les nouveaux arrivés montent des escaliers en pierre et marchent autour du temple. Ils le tiennent en haute estime, puisque pour eux Bîbî Shahrbânou est considérée comme une personnalité très éminente. Ils entrent à l’intérieur du temple après s’être un temps recueilli sur le seuil.
D’après certains croyants musulmans, cette sainte femme fut la femme du troisième Imâm chiite, l’Imâm Hossein, et donc la mère de l’Imam Sadjâd. Mais en réalité, ce qui la distingue des autres membres de la famille de l’Imam Hussein aux yeux des Iraniens est qu’elle fut la fille du dernier roi sassanide, Yazdgerd III. Elle décéda dans la montagne “Bîbî Shahrbânou” et l’Imâm Hossein fit construire un tombeau à sa gloire. Toutefois, de nombreuses versions historiques différentes existent.
La grande montagne de Rey, connue aujourd’hui en tant que “montagne de Bîbî Shahrbânou” était, à l’époque préislamique, un cimetière zoroastre. Ce fait est notamment confirmé par l’ouvrage Arresâlat o ssâniah écrit par Aboudolf Khazradjî Yanboui’î, l’un des écrivains des premiers siècles de l’Islam : “Il y a dans la ville de Rey une montagne appelée “Tabarak” [1], là où se trouvent des constructions persanes préislamiques aussi bien que des cimetières zoroastriens“. De même, les ossements de certains rois sassanides dont Hormoz, le fils de Yazdgerd II et trois autres membres de sa famille y furent découverts. Certains supposent d’ailleurs que pour empêcher la destruction des tombes de Hormoz et de trois autres membres de sa famille, des zoroastriens affirmèrent qu’elles étaient le tombeau de Bîbî Shahrbânou dont le père avait le même nom. Le Dr. Hossein Karîmiân, l’auteur des deux tomes de L’Ancien Rey, rejette cette théorie qui a été acceptée par beaucoup durant de longues années. D’après lui, dans les références historiques ou dans les œuvres traduites de cette époque, il n’est fait aucune mention de l’enterrement de cette dame de haute dignité dans la montagne de Rey. De plus, elle semble avoir disparu tout de suite après la naissance de son fils, l’Imâm Sadjâd. [2]
D’après les sources historiques, le temple de cette dame était autrefois un sanctuaire de la déesse Anâhîde. En observant minutieusement l’architecture intérieure du bâtiment, l’ancienneté du sanctuaire apparaît plus clairement. La construction en pierre de tailles différentes et en forme de voûte évoque celle des temples zoroastriens. Un grand lustre suspendu à l’arc du toit – la seule source de lumière à l’intérieur -, éclaire la surface des murs dont la partie supérieure est constituée de huit formes voûtées. Le nom du sanctuaire fut emprunté à Anâhîtâ, signifiant “Immaculée”. Elle est en fait la déesse de l’eau et de la fertilité en Perse antique et était très vénérée durant la période achéménide (558-330 av. J.-C.). Anâhîtâ était souvent représentée vêtue d’habits en or, d’une couronne et de bijoux.
Ses animaux étaient la colombe et le paon. Si Anâhîtâ est la déesse des Eaux et des Rivières, elle est aussi la purificatrice. On disait d’elle qu’elle donnait la force aux guerriers et le courage aux héros. Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, on peut s’interroger quant à la raison qui a fait que tout le monde reconnaisse cet endroit comme étant le temple de Bîbî Shahrbânou. En effet, outre ce temple, les noms de plusieurs monuments zoroastriens furent changés. Ces changements remontent à l’époque où un certain nombre de descendants des Imâms et des personnalités religieuses se réfugièrent en Iran afin de fuir l’oppression et l’injustice des chefs d’Etat ommeyades [3] et abbassides. [4] Ainsi, ils demeurèrent en Iran jusqu’à leur mort et leurs adeptes construisirent des tombeaux et des sépulcres en leur honneur. En outre, certains zoroastriens étant conscients de l’affection des gens de leur contrée envers la famille du prophète de l’Islam, ils transformèrent ainsi un grand nombre de leurs temples et cimetières en sépulcres islamiques afin d’éviter leur destruction. Par la suite, ils les firent connaître en tant que temples des descendants des Imams. D’après le maître Pourdâvoud, “un grand nombre de sépulcres en Iran que l’on peut encore admirer aujourd’hui dans tout le pays étaient autrefois des temples du feu et des sanctuaires zoroastriens. Mais aujourd’hui, des gens les respectent et y effectuent des pèlerinages sous des noms et des formes différents“.
Ainsi, l’histoire du temple de Bîbî Shahrbânou et celle du sanctuaire d’Anâhîde sont liées. La majorité des pèlerins ne se souviennent quant à eux que du temple de Bîbî Shahrbânou, la femme du troisième Imâm chiite. Ils y restent pendant quelques instants, quelques minutes ou quelques heures, priant pour leurs proches et amis. Ils parcourent cette ville ancienne jusqu’au sommet au nom de leur croyance, quelle qu’elle soit. Enfin, personne ne quitte le lieu sans être entré dans le “temple naturel” situé à gauche. Cette petite grotte dégage une impression de sacralité profonde. Elle garde des centaines de bougies allumées en son sein ; lumière douce et chaleureuse semblant venir de l’au-delà.
Les passagers, désormais un peu fatigués, regagnent leurs sièges. Les bus repartent l’un après l’autre, descendant sur la route en spirale du mont Bîbî Shahrbânou vers le petit quartier à peine éclairé…
A suivre…
Notes
[1] Signifiant un petit mont.
[2] Le quatrième Imâm chiite, le fils de l’Imâm Hussein.
[3] Dynastie de califes arabes qui régna à Damas de 661 à 750 et à Cordoue de 756 à 1031.
[4] Dynastie de califes arabes qui régna à Bagdad de 750 à1258.