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Le problème économique et ses solutions selon l’optique de l’Islam
Quel est le problème économique ?
Tous les courants idéologiques dans le domaine économique s’accordent pour dire qu’il y a dans la vie économique un problème qu’il faut résoudre, et divergent ensuite quant à la nature de ce problème et les lignes générales de son traitement.
Le capitalisme croit que le problème économique fondamental est la rareté relative des ressources naturelles en raison des limites de la nature, puisqu’il n’est possible, en effet, d’accroître ni la superficie de la terre sur laquelle vit l’homme, ni la quantité des diverses richesses naturelles qu’elle renferme, et alors que les besoins vitaux de l’homme augmentent régulièrement suivant le progrès et l’épanouissement de la civilisation ; c’est ce qui (selon le capitalisme) rend la nature incapable de satisfaire tous les besoins de tous les individus, conduit par conséquent à une concurrence entre les individus pour la satisfaction de leurs besoins, et aboutit, finalement, à la naissance du problème économique.
Ainsi donc, pour le capitalisme, le problème économique consiste en ce que les sources de richesses naturelles ne peuvent satisfaire tous les besoins et désirs nouveaux nés de l’évolution de la civilisation.
Pour ce qui est du marxisme, il estime que le problème économique est toujours un problème de contradiction entre la forme de production et les rapports de distribution. Une fois que la concordance entre cette forme et ces rapports est établie, la vie économique connaît la stabilité, quel que soit le type du système social résultant de cette concordance.
Quant à l’Islam, il ne partage pas l’affirmation capitaliste selon laquelle le problème tient à la rareté des ressources, car il croit que la nature est capable de garantir tous les besoins de la vie qui, s’ils n’étaient pas satisfaits, conduiraient à un problème réel dans la vie de l’homme.
De même, l’Islam, à la différence du marxisme, ne considère pas que le problème consiste en une contradiction entre la forme de production et les formes de distribution.
Pour lui, le problème est, avant tout, le problème de l’homme lui-même, et non celui de la nature, ni celui des formes de production. C’est exactement ce qu’affirme l’Islam dans les Versets suivants :
«Allah ! C’est Lui Qui a créé les cieux et la terre et Qui fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle Il fait pousser des fruits pour votre subsistance. Il a mis à votre service le vaisseau pour que celui-ci, par Son Ordre, vogue sur la mer. Il a mis à votre service le soleil et la lune qui gravitent avec régularité. Il a mis à votre service la nuit et le jour. Il vous a donné tout ce que vous Lui avez demandé. Si vous vouliez compter les Bienfaits d’Allah, vous ne sauriez les dénombrer. L’homme est vraiment très injuste et très ingrat.» (Sourate Ibrâhîm, 14 : 32-34)
Ces nobles Versets disent clairement qu’Allah -Il est Très-Haut- a massé pour l’homme dans ce vaste univers tout ce dont celui-ci pourrait avoir besoin, en quantité suffisante pour satisfaire ses besoins et alimenter sa vie, mais que c’est l’homme qui a perdu, par son injustice et son ingratitude («… L’homme est vraiment très injuste et très ingrat.») cette occasion qu’Allah lui avait offerte. Donc, ce sont l’injustice de l’homme dans sa vie pratique, et son ingratitude envers les Bienfaits d’Allah, qui sont les deux raisons principales du problème économique dans la vie de l’homme.
L’injustice de l’homme se traduit, sur le plan économique, par la mauvaise distribution, et son ingratitude vis-à-vis des Bienfaits d’Allah, par sa négligence dans l’exploitation de la nature et son attitude négative vis-à-vis d’elle.
Lorsque cette injustice dans les rapports sociaux disparaît, et que les énergies de l’homme sont mobilisées en vue d’utiliser positivement la nature et de l’exploiter, le vrai problème s’efface sur le plan économique.
L’Islam a fourni les moyens d’effacer l’injustice, à travers les solutions qu’il a présentées pour les questions de la distribution et de la circulation, et a traité l’ingratitude par ses conceptions de la production et les statuts qu’il a promulgués concernant ce sujet.
Dans les pages qui suivent, nous allons expliquer comment l’Islam a traité ce qu’il considère comme la première cause du problème économique, à savoir l’injustice sociale dans le domaine de la distribution et de la circulation. Quant à la position de l’Islam devant la seconde cause, à savoir l’ingratitude vis-à-vis des Bienfaits d’Allah, nous en traiterons dans un autre chapitre consacré à l’exposé de la position de l’Islam vis-à-vis de la production, de ses statuts islamiques et des conceptions que l’Islam en fait.
L’appareil de distribution.
En ce qui concerne le domaine de la distribution, l’humanité a souffert à travers l’Histoire de diverses sortes d’injustices, parce que la distribution était fondée tantôt sur une base purement individuelle, et tantôt sur une base purement non individuelle. Dans le premier cas, ce fut une transgression des droits de la collectivité, dans le second une atteinte aux droits de l’individu.
L’Islam a mis en œuvre un appareil de distribution pour la société islamique, dans lequel se rencontrent les droits de l’individu et ceux de la communauté. Cet appareil de distribution n’empêche pas l’homme de jouir de son droit et de satisfaire ses penchants naturels, ni ne confisque la dignité de la communauté, ni ne menace la vie de celle-ci. C’est ce qui l’a distingué des différents autres appareils de distribution que l’homme a expérimentés tout au long de l’Histoire.
L’appareil de distribution en Islam se compose de deux instruments principaux : le travail et le besoin. Chacun de ces deux instruments joue un rôle actif dans le domaine général de la richesse sociale.
Nous allons les étudier afin de connaître les rôles qu’ils jouent dans le domaine de la distribution et comparer la position qu’ils occupent dans l’appareil de distribution de la richesse en Islam, d’une part, et d’autre part dans les autres plans et théories de distribution, fondés sur le communisme, le socialisme et le capitalisme.
Le rôle du travail dans la distribution.
Pour connaître le rôle du travail dans la distribution, il faut étudier le lien social entre le travail et la richesse qu’il produit. En effet, le travail couvre les diverses matières naturelles : c’est par le travail que l’homme extrait le minerai de la terre, coupe le bois des arbres, sort les perles de la mer, chasse les oiseaux dans l’air,.. et obtient d’autres richesses de la nature. La question qui se pose ici est celle de savoir quel caractère social la matière acquiert par le travail. Quel rapport y a-t-il entre le travailleur et la richesse qu’il a obtenue par son travail ?
Il y a une opinion qui affirme qu’il n’existe pas de lien social entre le travail (ou le travailleur) et son objet, car le travailleur (ou le travail) n’a d’autre droit que la satisfaction de ses besoins, et ce quel que soit son travail, étant donné que le travail n’est qu’une fonction sociale que l’individu assume pour la société en échange de la prise en charge de ses besoins par cette dernière.
Cette opinion s’accorde avec le point de vue de l’Economie communiste(1), qui considère la société comme un grand être dans lequel fusionnent les individus en y occupant chacun la position qu’occupe une cellule dans un seul être organique. Selon cette vision qui font tous les individus dans le grand creuset social, et les fusionne dans cet être géant, les travaux accomplis par les individus de la société ne sont pas des travaux individuels, étant donné que lesdits individus ont tous fusionné dans le grand être, que le lien du travailleur se trouve dès lors coupé des résultats de son travail, que la société devient le véritable travailleur et le propriétaire réel du travail de tous les individus, et qu’il ne reste aux individus que le droit de satisfaire leurs besoins conformément à la formule communiste, que nous avons vue lors de notre étude du matérialisme historique : «De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins». Dans la société communiste, les individus ressemblent exactement aux rouages qui composent un appareil mécanique où chacun a le droit de consommer la quantité d’huile dont il a besoin et où chacun doit accomplir sa fonction spécifique. Dans un tel appareil, les rouages mécaniques consomment tous des quantités d’huile égales, malgré les différences dans l’importance et la complexité de leurs fonctions. Il en va de même pour les individus dans la société, dont chacun reçoit, dans le système de distribution communiste, de quoi satisfaire ses besoins, même si sa participation à l’opération de la production de richesse est inégale. Donc, l’individu travaille, mais il n’obtient pas le fruit de son travail ni ne peut s’en réserver le résultat. Il a droit seulement à la satisfaction de ses besoins, peu importe que cette rétribution soit supérieure ou inférieure à la valeur de son travail. (2)
Dans ces conditions, la position du travail devient négative vis-à-vis de la distribution. Car selon la conception communiste, le travail est un instrument de production de marchandises et non un instrument de distribution des marchandises ; et c’est le besoin seul qui décide du mode de distribution des marchandises entre les individus de la société, c’est ce qui fait que la part de chacun de ceux-ci dans la distribution varie selon la différence de leurs besoins et non pas de leur travail.
Quant à l’Economie socialiste marxiste, elle détermine le lien du travailleur avec le résultat de son travail à la lumière de sa propre conception de la valeur. Elle considère, en effet, que c’est le travailleur qui crée la valeur d’échange de la matière qui absorbe son travail, et que sans le travail humain incarné dans la matière, celle-ci n’a pas de valeur. Et tant que le travail est la source fondamentale de la valeur, il faut que la distribution des valeurs produites dans les différentes branches de la richesse soit fondée sur la base du travail, et que chaque travailleur possède le résultat de son travail et la matière dans laquelle il a accompli son travail, puisque c’est grâce à ce travail qu’elle a acquis une valeur. Il en résulte que «à chacun selon son travail» et non pas (à chacun) selon ses besoins, puisque chaque travailleur a le droit d’obtenir les valeurs de son travail. Et étant donné que le travail est le seul créateur des valeurs, il est donc le seul instrument de la distribution. Ainsi, alors que l’instrument de la distribution dans la société communiste était le besoin, le travail devient l’instrument fondamental de la distribution dans la société socialiste.
Pour ce qui est de l’Islam, il diffère et de l’Economie communiste, et de l’Economie socialiste.
Il diffère du communisme sur le fait que celui-ci coupe tout lien entre le travail de l’individu et les résultats de son travail, et met en évidence la société comme le seul propriétaire des résultats des travaux des individus ; tandis que l’Islam ne considère pas la société comme un grand être qui se cacherait derrière les individus et les dirigerait çà et là. Pour l’Islam, la société n’est qu’une multitude d’individus ; il faut donc regarder les individus avec réalisme, en les considérant comme des êtres humains qui peinent et travaillent ; par conséquent, il n’est aucunement possible de couper le lien entre le travailleur et le résultat de son travail.
L’Islam diffère aussi de l’Economie marxiste, selon laquelle c’est l’individu qui confère, par son travail, la valeur d’échange aux richesses naturelles, telles que le bois, les minerais, etc., et les autres richesses naturelles ne tirent pas leur valeur du travail. Selon l’Islam, la valeur de chaque matière est le résultat du désir social général de l’obtenir, comme nous l’avons expliqué dans notre étude du matérialisme historique.
Pour l’Islam, le travail constitue la raison de l’appropriation par l’ouvrier du résultat de son travail. Cette propriété privée, fondée sur le travail, est l’expression d’un penchant naturel chez l’homme pour l’appropriation du résultat de son travail. L’origine de ce penchant est le sentiment qu’éprouve tout individu de contrôler son travail. Ce sentiment inspire naturellement une tendance à contrôler les résultats et les acquis du travail. Il en résulte que la propriété fondée sur le travail est un droit de l’homme, découlant de ses sentiments originels. Même les sociétés dont le communisme dit qu’elles sont dépouillées de toute propriété privée ne récusent pas le droit de propriété fondé sur le travail, en tant qu’expression d’une tendance originelle chez l’homme, mais estiment seulement que le travail -dans ces sociétés- ayant un caractère socialiste, la propriété fondée sur le travail y est socialiste également. La vérité reste donc la même. La tendance naturelle à l’appropriation sur la base du travail demeure de toutes façons inchangée, même si le type de propriété change selon la forme du travail, c’est-à-dire travail individuel ou collectif.
LE TRAVAIL EST DONC LA BASE DE L’APPROPRIATION PAR LE TRAVAILLEUR, selon l’optique de l’Islam. Et, de ce fait, il est un instrument principal dans l’appareil de distribution islamique, car tout travailleur acquiert les richesses qu’il obtient par son travail, et il se les approprie conformément à la règle selon laquelle «LE TRAVAIL EST LE MOTIF DE LA PROPRIETE».
Ainsi, nous pouvons déduire enfin les différentes positions doctrinales vis-à-vis du lien social entre l’individu travailleur et le résultat de son travail.
La règle communiste à ce propos est : «Le travail est le motif de la propriété (appropriation) par la société, et non pas par l’individu».
La règle marxiste : «Le travail est le motif de la valeur d’échange de l’article (matière), et par conséquent le motif de son appropriation par le travailleur».
La règle islamique : «LE TRAVAIL EST LE MOTIF DE L’APPROPRIATION DE LA MATIERE PAR LE TRAVAILLEUR, ET NON PAS LE MOTIF DE SA VALEUR». Car lorsque le travailleur extrait la perle, il ne lui confère pas une valeur par son travail, mais se l’approprie par ce travail.
Le rôle du besoin dans la distribution.
Le travail, en sa qualité de base de la propriété, comme nous venons de le souligner, est le premier instrument principal dans l’appareil de distribution. L’autre instrument qui participe principalement à l’opération de distribution est le besoin.
Et c’est le rôle conjoint que jouent le travail et le besoin ensemble dans ce domaine qui détermine la forme primitive générale de la distribution dans la société islamique.
Pour mettre en lumière ce rôle conjoint auquel participe le besoin, nous pouvons diviser les individus de la société en trois catégories. En effet, la société comprend normalement une catégorie d’individus capables, grâce à leurs dons et énergies intellectuels et pratiques, de s’assurer un niveau de vie aisé et riche, et une deuxième catégorie dont les membres peuvent travailler, mais dont la production ne peut leur assurer que de quoi satisfaire leurs premières nécessités et couvrir leurs besoins essentiels, et une troisième catégorie incapable de travailler en raison d’une infirmité physique ou d’une tare mentale, ou pour d’autres causes qui paralysent l’activité humaine et mettent l’homme à l’écart du travail et de la production.
Sur la base de l’Economie islamique, le première catégorie compte sur le travail -en tant que base de la propriété et instrument principal de distribution- pour gagner sa part dans la distribution, et chacun de ses membres obtient la part que lui permettent ses propres possibilité, même si elle dépasse ses besoins, tant qu’il utilise ses possibilités dans les limites que l’Economie islamique fixe aux activités économiques des individus. Donc, pour cette catégorie, le besoin ne joue aucun rôle ; c’est le travail qui détermine leur part dans la distribution.
Si la première catégorie compte sur le seul travail, le revenu et l’identité économique de la troisième catégorie sont fondés sur le besoin seul, car cette catégorie se trouve dans l’incapacité de travailler, et elle obtient une part dans la distribution -qui assure la totalité de ses moyens d’existence- sur la base de ses besoins, conformément aux principes d’entraide générale et de solidarité sociale dans la société islamique.
Quant à la deuxième catégorie, qui travaille mais n’obtient de son travail que le minimum de moyens d’existence, elle compte et sur le travail et sur le besoin pour assurer son revenu. Le travail lui assure les moyens d’existence nécessaires, et le besoin impose -conformément aux principes d’entraide et de solidarité- l’augmentation du revenu de cette catégorie, par des moyens et selon des modalités définis dans l’Economie islamique (comme nous allons le voir) afin que ses membres puissent vivre au niveau général de bien-être.
Partant de ce qui précède, nous pouvons percevoir les aspects de la différence entre le rôle du besoin – en tant qu’instrument de distribution – dans l’Economie islamique, et son rôle dans les autres doctrines économiques.
Le besoin dans l’optique de l’Islam et dans celle du communisme.
Dans l’optique du communisme, qui dit : «De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins», le besoin est le seul critère essentiel dans la distribution de la production entre les individus actifs dans la société. Le communisme ne permet pas que le travail procure (au travailleur) une propriété qui dépasse le cadre des besoins de ce travailleur. En revanche, l’Islam reconnaît le travail comme un instrument de distribution à côté du besoin, et lui confère un rôle actif dans ce domaine. De cette façon, il permet à tous les dons et énergies de s’exprimer et de se développer sur la base de la concurrence et de la compétition, et pousse les individus doués à utiliser toutes leurs possibilités dans le domaine de la civilisation et de l’Economie. Tout au contraire, le communisme, en fondant la distribution sur la base du seul besoin du travailleur, sans tenir compte de la qualité de son travail et de son activité, conduit au figement des penchants naturels de l’homme, penchants qui poussent à l’effort et à l’activité, car ce qui pousse l’individu à cet effort et à cette activité, c’est en réalité son intérêt personnel. Et si l’on dépouille le travail de sa qualité d’instrument de distribution, et que l’on considère le besoin seul comme le critère de la part de chaque individu -comme le fait le communisme- on enraie la force la plus importante qui pousse en avant l’appareil de l’Economie et qui le fait se mouvoir dans une direction montante.
Le besoin dans l’optique de l’Islam et dans celle du socialisme marxiste.
Le socialisme -qui dit : «de chacun selon sa capacité à chacun selon son travail»- considère le travail comme l’appareil essentiel de la distribution. Selon lui, chaque ouvrier a droit au résultat de son travail, quel que soit ce résultat : grand ou minime. Il abolit ainsi le rôle du besoin dans la distribution. Il s’en suit que la part du travailleur ne se limite pas à ses besoins -s’il produit dans son travail plus que ces besoins-, et qu’il n’obtient pas ce qu’il lui faut pour satisfaire complètement ses besoins -si son travail n’atteint pas une productivité équivalente à ces besoins. Donc, chaque individu obtient la valeur de son travail, quels que soient ses besoins, et quelle que soit la valeur du travail qu’il a réalisé.
Cette conception socialiste marxiste diffère de celle que l’Islam se fait du besoin. En effet, le besoin a, selon l’Islam, un rôle actif (positif) important, car bien qu’il ne soit pas une cause de l’appropriation par l’ouvrier doué des fruits de son travail, si ceux-ci dépassent ses besoins, il constitue un facteur actif dans la distribution pour la deuxième des trois catégories d’individus qui composent la société que nous venons de distinguer, c’est-à-dire pour la catégorie de ceux à qui leurs capacités intellectuelles et physiques ne permettent d’obtenir que le minimum de ce qui est nécessaire pour vivre. Cette catégorie doit, selon les bases socialistes communistes de l’Economie, se contenter des maigres fruits de son travail, et accepter les disparités énormes entre son niveau de vie et celui de la première catégorie -qui a la capacité de gagner ce qui lui permet de mener une vie aisée-, le travail étant la seule base de la distribution dans le socialisme (où le travailleur ne peut aspirer à mener un niveau de vie meilleur que celui auquel son travail le destine). Au sein de l’Economie islamique, les choses ne se passent pas de cette façon, car l’Islam ne limite pas l’organisation de l’appareil de distribution (entre les travailleurs) au travail seul, mais y associe le besoin. Il a considéré l’incapacité par la deuxième catégorie à atteindre le niveau général de bien-être, comme une sorte de besoin, et a fixé les moyens et les modalités de traiter ce besoin. Certes, le travailleur doué et chanceux ne sera pas privé de ce qui excède ses besoins dans ce qu’il produit, mais, en revanche, le travailleur qui n’est doté que du minimum d’énergie de travail obtiendra une part plus grande que ce qui provient de sa production.
Il y a un autre point de désaccord idéologique entre l’Islam et le socialisme marxiste, à propos de la troisième des trois catégories de la société, celle dont les membres sont privés du travail en raison de la nature de leur constitution intellectuelle et physique. Cette différence entre l’Islam et le socialisme marxiste découle de la contradiction entre leurs conceptions respectives des rapports de distribution.
Je ne voudrais pas aborder à ce propos l’attitude du monde socialiste d’aujourd’hui vis-à-vis de la troisième catégorie, ni essayer de reprendre les dires selon lesquels l’individu incapable de travailler est condamné à mourir de faim dans les sociétés socialistes, car je cherche à étudier la question sur le plan théorique et non sur le plan pratique, et je ne voudrais pas assumer la responsabilité de ces accusations, que les détracteurs du monde socialiste portent contre celui-ci.
Sur le plan théorique, l’Economie socialiste marxiste ne peut expliquer le droit de la troisième catégorie dans la vie, ni justifier sa part du produit général dans l’opération de distribution, car celle-ci n’est pas fondée, selon le marxisme, sur une base morale constante, mais déterminée par la situation de la lutte des classes dans la société, laquelle situation est dictée par la forme de la production en vigueur. C’est pourquoi le marxisme croit que l’esclavagisme et la mort de l’esclave sous les coups de fouet, ainsi que sa privation des fruits de son travail, étaient quelque chose d’acceptable dans les circonstances de lutte de classes entre les maîtres et les esclaves.
Sur cette base marxiste, il faut déterminer la part de la troisième catégorie dans la distribution par sa position de classe, étant donné que les parts des individus dans la distribution sont fixées selon leur position de classe dans la lutte sociale.
Et étant donné que la troisième catégorie est dépourvue de la propriété des moyens de production et de l’énergie du travail produit, elle ne peut être classée dans aucune des deux classes en lutte (la classe des capitalistes et le prolétariat), et ne constitue pas une partie de la classe ouvrière dans l’étape de la victoire du prolétariat et de la fondation de la société socialiste.
Et si les individus qui se trouvent dans une incapacité naturelle de travailler sont écartés de la lutte de classes entre les capitalistes et les ouvriers, et par conséquent de la classe ouvrière -qui contrôle les moyens de production dans la phase socialiste-, il n’y a donc aucune explication scientifique, à la manière marxiste, qui puisse justifier leur part dans la distribution et leur droit dans la vie et dans la richesse passée sous contrôle de la classe ouvrière, tant qu’ils sont à l’extérieur du cadre de la lutte des classes. Ainsi, le marxisme ne peut justifier, à sa manière propre, la garantie de la vie et des moyens d’existence de la troisième catégorie dans la phase socialiste.
Quant à l’Islam, il ne détermine pas l’opération de la distribution selon la lutte des classes dans la société, mais à la lumière de l’idée suprême de la société heureuse, et sur la base de valeurs morales fixes qui imposent une distribution de la richesse garantissant la réalisation desdites valeurs et dudit idéal, et réduisant au minimum possible les souffrances de la privation.
L’opération de distribution qui repose sur ces conceptions est en tous cas assez large pour contenir la troisième catégorie en sa qualité de partie de la société humaine dans laquelle la richesse doit être distribuée de façon à réduire autant que possible les souffrances de la privation, afin de réaliser l’idéal d’une société heureuse et les valeurs sur lesquelles l’Islam fonde les relations sociales. Et, dès lors, il est naturel que les besoins de cette catégorie démunie deviennent une raison suffisante pour qu’elle ait son droit de vivre, et un des instruments de la distribution : «Une partie de leurs biens revenait de droit au mendiant et au déshérité» (Sourate al-Thâriyât, 51 : 19).
Le besoin dans l’optique de l’Islam et dans celle du capitalisme.
Quant à l’Economie capitaliste, elle est tout à l’opposé de celle de l’Islam en ce qui concerne sa position vis-à-vis du besoin. En effet, dans la société capitaliste, le besoin ne compte pas parmi les instruments positifs de la distribution ; il est un instrument dont la qualité et le rôle positif sont contraire à ceux que l’Islam lui confère. Plus ce besoin se fait sentir chez les individus, plus leur part dans la distribution diminue, jusqu’à ce que cette diminution conduise à la fin un grand nombre d’entre eux à se retirer du cadre du travail et de la distribution. La raison en est que le fait que le besoin se répande et s’intensifie signifie l’existence d’un surplus d’offre de forces de travail dans le marché capitaliste, supérieur à la quantité demandée par les patrons. Et étant donné que l’énergie humaine est un article capitaliste dont le sort dépend des lois de l’offre et de la demande -qui régissent tous les articles du marché-, il est naturel que le salaire du travail baisse lorsque l’offre est supérieur à la demande. Et plus l’offre augmente, plus cette baisse s’accentue. Lorsque le marché capitaliste refuse d’absorber toute la quantité offerte de forces de travail, une grande partie de cette quantité, qui se trouve ainsi au chômage, est acculée à faire l’impossible pour survivre ; autrement elle devrait supporter les souffrances de la privation et mourir de faim.
Ainsi, le besoin n’a rien de positif dans la distribution capitaliste. Il signifie seulement un surplus d’offre de main d’œuvre. Or, tout article dont l’offre est supérieure à la demande n’a d’autre issue que la baisse de son prix et le gel de sa production jusqu’à ce qu’il soit consommé, et que le rapport entre l’offre et la demande le concernant se rééquilibre.
Donc, le besoin, dans la société capitaliste, n’est pas un instrument de distribution, mais le retrait de l’individu du domaine de la distribution.
La propriété privée.
Lorsque l’Islam a décidé que le travail est un motif d’appropriation conforme au penchant naturel de l’homme à l’appropriation des résultats de son travail, et qu’il a fait du travail, sur cette base, un instrument principal de la distribution, il en a tiré deux conclusions :
Autoriser l’apparition de la propriété privée sur le plan économique. Car si le travail est une base de la propriété, il est naturel que l’on permette au travailleur de faire des articles auxquels il a donné naissance et qu’il a transformés en biens, denrées agricoles, etc., sa propriété privée.
Et lorsque nous décidons que l’appropriation, par le travailleur, des biens qu’il a produits, est l’expression d’un penchant naturel (chez l’homme travailleur), nous entendons par là qu’il y a chez l’homme un penchant naturel pour se réserver l’exclusivité des résultats de son travail, et c’est ce qu’on appelle dans la terminologie sociologique “l’appropriation” (tamalluk). Quant à la nature des droits que cette exclusivité engendre, elle n’est pas déterminée selon le penchant naturel, mais définie par le système social conformément aux idées et aux intérêts qu’il adopte. Ainsi, il appartient au système social qui définit la propriété privée et ses droits, et non au penchant naturel ou à l’instinct, de répondre aux questions de savoir, par exemple, si le travailleur qui s’est approprié un article par le travail a le droit d’en disposer à sa guise, étant donné qu’il s’agit d’un bien privé, ou s’il a le droit de le troquer contre un autre article, ou d’en faire un objet de commerce et de développer sa richesse en l’érigeant en un capital commercial ou usuraire.
C’est pour cela que l’Islam est intervenu dans la détermination de ces droits d’exclusivité, en récusant certains d’entre eux, et en en reconnaissant d’autres, conformément aux idéaux et aux valeurs qu’il adopte. Dans le domaine de la dépense, par exemple, il a refusé au propriétaire le droit de dilapider son bien ou de le prodiguer, mais il lui a reconnu le droit d’en jouir sans dilapidation ni prodigalité. Il a refusé au propriétaire de faire fructifier ses biens par le recours aux intérêts usuraires, mais lui a accordé le droit de le faire par le recours au commerce, dans des conditions spécifiques et conformément à ses théories générales de distribution, que nous étudierons dans les prochains chapitres.
La deuxième conclusion tirée de la base selon laquelle le travail est le motif de la propriété est la détermination du domaine de la propriété suivant les exigences de cette base. Si le travail est le fondement principal de la propriété privée, il faut que le cadre de celle-ci se limite aux biens à l’engendrement et à la structure desquels le travail contribue, et qu’il ne couvre pas ceux sur lesquels le travail n’a aucun effet.
De ce fait, les biens se divisent, selon la nature de leur formation et préparation, en richesses particulières et en richesses générales.
Les richesses particulières : il s’agit de tout bien produit ou mis en valeur par un travail humain particulier, tels que les denrées agricoles, les textiles, les richesses qui ont exigé un travail humain pour être extraites du sol, de la mer, de l’air. Ici, le travail humain est intervenu soit pour constituer le bien lui-même, tel le travail agricole pour le produit agricole, soit pour adapter son existence et le préparer de manière à le rendre apte à l’usage, tel le travail effectué pour produire l’électricité à partir des forces répandues dans la nature, ou pour extraire l’eau ou le pétrole du sous-sol. Dans ce cas, l’énergie électrique et les quantités de pétrole ou d’eau ainsi extraites ne sont pas créées par l’homme, mais c’est le travail qui les a adaptées et préparées pour qu’elles soient utilisables.
Ce sont ces richesses, dans lesquelles le travail humain compte, qui constituent le domaine auquel l’Islam a limité la propriété privée, c’est-à-dire le cadre dans lequel l’Islam a autorisé l’apparition de la propriété privée. Car le travail étant ici le fondement de la propriété, et ces biens étant mélangés avec le travail humain, le travailleur peut donc les posséder et en utiliser les droits résultant de l’appropriation, tels que le droit d’en jouir, le droit de les commercialiser, etc.
Quant aux richesses générales, il s’agit de tout bien dans lequel la main de l’homme n’intervient pas, comme la terre, qui est un bien que la main humaine n’a pas fabriqué. Même si l’homme intervient parfois pour adapter la terre et la rendre cultivable et exploitable, ce travail d’adaptation reste limité quelle que soit sa durée, l’âge de la terre étant toujours plus long. Cette adaptation ne couvre donc qu’une phase limitée de l’âge de la terre. En cela, la terre ressemble à la “raqabah” (la source) elle-même des minerais et des richesses naturelles qu’elle renferme, car la matière de ces minerais, renfermée dans la terre, ne doit rien, dans sa constitution ou son adaptation, au travail humain, lequel intervient seulement dans les quantités qui en sont extraites et dont l’extraction et le raffinage exigent un effort.
Ces richesses générales, publiques par nature, ou de par leur titre originel comme disent les faqîh, ne sont pas appropriées à titre privé par le travail, et les biens qui ne sont pas mélangés au travail n’entrent pas dans le domaine limité de la propriété privée, mais sont des biens d’usage commun ou propriété commune.
La terre, par exemple, en sa qualité de bien dans lequel le travail n’intervient pas, ne peut pas être appropriée à titre privé. Le travail dépensé dans la mise en valeur et la préparation de la terre étant une adaptation provisoire et limitée à une période plus brève que l’âge de la terre, ne peut donc faire inclure celle-ci dans le domaine de la propriété privée ; il accorde seulement à l’ouvrier un droit lui permettant de l’utiliser et interdisant aux autres de l’y concurrencer, car il a sur eux l’avantage de l’énergie qu’il a dépensée dans la terre. C’est parce qu’il serait injuste de traiter également des mains qui ont œuvré et peiné pour la terre, et d’autres qui n’ont rien fait pour elle, que l’on a distingué le travailleur par un droit sur la terre, sans lui permettre toutefois de se l’approprier. Ce droit continuera tant que la terre restera adaptée à son travail. S’il la néglige, il sera déchu de son droit privatif.
Il résulte de ce qui précède que la règle générale est que la propriété privée n’apparaît que dans les biens dont la formation et l’adaptation sont mélangées au travail humain ; elle est exclue des biens et des richesses naturelles qui ne sont pas mélangés avec le travail, car le motif de la propriété privée est le travail, et tant que le bien n’est pas inclus dans le cadre du travail humain, il n’entre pas dans le domaine de la propriété privée.
Cette règle a cependant ses exceptions, pour des considérations ayant trait à l’intérêt de l’Appel Islamique, comme nous allons le voir ci-après.
La propriété est un accessoire de la distribution.
Après le travail et le besoin, vient le rôle de la propriété en tant qu’instrument secondaire de la distribution.
Lorsque l’Islam a permis d’accorder la propriété privée sur la base du travail, il s’est différencié et du marxisme et du capitalisme, par les droits qu’il a accordés au propriétaire et par les domaines dans lesquels il lui a permis d’exercer ces droits. Il ne lui a pas donné une autorisation absolue et sans restrictions d’utiliser son bien en vue de développer sa richesse, comme le fait le capitalisme qui a autorisé toutes sortes de bénéfices, ni ne lui a interdit toute possibilité de gain, comme le fait le marxisme qui interdit le gain et toutes les formes de la fructification individuelle du bien. L’Islam a pris une position intermédiaire ; il a interdit certaines sortes de gains, tels que l’intérêt usuraire, et il en a autorisé d’autres, tels que le gain commercial.
En prohibant certaines sortes de gains, l’Islam exprime sa différence essentielle avec le capitalisme en ce qui concerne la liberté économique -dont nous avons fait la critique dans le chapitre “Avec le capitalisme”(3)– en sa qualité de base de la pensée doctrinale capitaliste.
Nous étudierons dans de prochains chapitres certaines sortes de gains prohibés en Islam -tels que l’intérêt usuraire- et le point de vue de l’Islam sur cette prohibition.
De même, en autorisant le gain commercial, l’Islam exprime sa différence essentielle avec le marxisme en ce qui concerne sa conception (du marxisme) de la valeur et de la plus-value, et sa méthode propre d’expliquer les gains capitalistes, comme nous l’avons vu lors de notre étude du matérialisme historique.
En reconnaissant le gain commercial, l’Islam a fait de la propriété elle-même un instrument de fructification des biens par le commerce, conformément aux conditions et aux lois canoniques et, par conséquent, un instrument secondaire de distribution, limité par un cadre de valeurs morales et d’intérêts sociaux que l’Islam adopte.
Rappel des caractéristiques de la distribution en Islam.
Tel est donc le portrait islamique de la distribution. De ce qui précède, nous pouvons la décrire comme suit :
Le travail, en tant que base de la propriété, est un instrument principal de la distribution. C’est ainsi que celui qui travaille dans le domaine de la nature cueille les fruits de son travail et se les approprie.
– Le besoin, en tant qu’expression du droit immuable de l’homme à une vie digne, est un instrument principal de la distribution. C’est pourquoi, dans la société islamique, les besoins sont assurés et leur satisfaction garantie.
– La propriété devient un instrument secondaire de la distribution grâce aux activités commerciales autorisées par l’Islam, dans les limites des conditions spécifiques qui ne se heurtent pas aux principes islamiques de la justice sociale -dont l’Islam garantit la réalisation, comme nous allons le voir en détail.
Notes:
1-Cf la première partie de “Notre Economie”, consacrée au marxisme et au capitalisme.
2-Ceci concerne les courants communistes non marxistes. Quant au marxisme, il a son propre mode de justification (de ce rapport travail/besoins) selon sa conception historique de la phase communiste. Voir pp. 220-221 de “Iqtiçâdonâ” (1ère partie, édition).
3-Voir Tome I (édition arabe).