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Asheq sho ar na rûzi, kâr-e jahân sar âyad
Nâkhândeh naqsh-e maqsud, az kârgâh-e hasti
Sois amoureux, sinon, le monde touchera à sa fin
sans que tu n’aies rien compris au but de l’existence
(Divân-e Hâfez, Ghazaliyât : 435, 2)
Dans le monde, le mal absolu n’existe pas. La preuve en est que les hommes continuent de croire au bonheur. Les hommes sont en effet les seuls êtres terrestres capables de discerner le bien et le mal et d’en parler.
Les savants musulmans distinguent deux approches pour interpréter l’ordre et la volonté divine, et traiter des problèmes similaires à ceux du bien et du mal :
L’une est celle de considérer les lois qui régissent l’univers tel qu’il est. Ils qualifient cette réalité de takwini, qui désigne tout ce qui est relatif à la façon dont l’univers, kawn, a été créé en soi, à ses lois qui sont invariables. Toutes les lois qui régissent l’univers et que les hommes découvrent sont des lois que le Créateur a fixées à cet univers. Ces lois sont universelles et concernent aussi les hommes.
La seconde approche est celle des prescriptions divines que Dieu propose aux hommes qui croient en Dieu, et qui leur sont apportées par l’intermédiaire des prophètes. Elle est qualifiée de tashrî’î – c’est-à-dire tout ce qui implique d’une part, un Législateur et d’autre part, une responsabilité légale (taklîf) des personnes concernées par cette Loi religieuse (shari’a). Elle consiste en un corpus de lois mères que les hommes sont appelés à suivre s’ils souhaitent obtenir la récompense divine et échapper à Son châtiment. Elle régit les relations des hommes avec Dieu. Ce sont des lois importantes parce que les religions ont occupé et continuent d’occuper une grande place dans les motivations profondes des hommes. Ces lois qui visent l’ensemble des créatures sans exception ne sont pas obéies par tous, mais seulement par une certaine catégorie d’humains qui adhèrent à l’idée de création du monde par Dieu et à un lien permanent bien qu’invisible entre le Créateur et les créatures.
Pour un croyant, le mal n’est que ce que Dieu définit comme le mal. Le mal est ce qui empêche ou suspend l’obtention de l’agrément divin. Le reste est coup du sort, accident résultant d’une négligence ou sanction d’un mal, c’est-à-dire d’une désobéissance à un ordre divin. C’est en fonction de ce but divin que les choses peuvent être un mal ou non. Les autres « maux » ne sont que des épreuves inscrites au programme normal de la vie. On est récompensé quand on les subit avec succès, par exemple en faisant preuve de patience face à la maladie.
Dieu n’a promis nulle part aux hommes que la vie sur terre allait être dépourvue de mal, de troubles, de situation douloureuse ou inconvenante. Bien au contraire. Il est question en maints versets coraniques d’épreuves pour consolider la foi. Dieu demande même le sacrifice de la vie. Dans l’épisode où le couple Adam et Eve est invité à s’exiler sur terre, il leur est expressément dit : « Nous leur dîmes : « Descendez. L’un à l’autre vous serez ennemis. Vous trouverez sur la terre établissement, et jouissance pour un temps » » (1) . (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 36).
Des philosophes ont débattu sur la question de la cause de l’existence du mal. Ils ont arbitrairement abstrait le mal pour lui apporter des questions tout aussi abstraites. C’est encore une des conséquences fâcheuses de la métaphysique des essences qui médite sur des sujets non existants (des quiddités, comme l’idée du mal), pour ensuite imposer ses conclusions dans le réel.
Tous les grands initiés ont enseigné que le monde était une illusion et que la vérité concernant l’homme ne surgira qu’en écartant le voile de l’illusion. Bouddha aussi avait vu que le monde n’était que douleur. Douleur de l’éphémère. Et aussi douleur de la séparation, celle de la nostalgie de l’Ami. Voyant l’inconsistance du monde, il ne s’est pas transformé en philosophe pour produire des abstractions. Il s’est vite plongé dans la méditation libératrice car il était convaincu que le mal pouvait être surmonté et exorcisé.
Dieu a créé la terre pour être le lieu d’épreuves pour Adam et sa descendance, afin de leur refaire mériter l’honneur et le bonheur de Sa Proximité. Ils ne sont donc pas ici pour toujours, mais pour lutter afin de reconquérir le rang d’où ils ont chuté suite à la tentation. Dieu leur a promis et Il a tenu Sa promesse de leur envoyer des prophètes pour les sauver et les relever de cette chute première.
Le mal est défini par Dieu. Or Dieu est le Bien parfait. Le mal ne peut donc avoir qu’une existence relative, forcément liée à notre séjour dans cette forme terrestre que nous appelons « le corps ».
Mais il n’y a pas que le mal qui n’est pas absolu. On aurait pu aussi poser la question du savoir absolu ou de la justice absolue. Les hommes n’ont pas le savoir absolu, ils ne savent pas ce qu’est la justice absolue pour savoir ce que serait la justice relative. Tout ce que nous savons nous a été enseigné par Dieu à travers les prophètes.
A vrai dire, sans les religions, sans l’intervention divine dans le monde, l’homme ne saurait être sûr de rien.
« Ainsi t’avons-nous révélé un Esprit, venant de Notre sphère, quand tu ne savais ce qu’est le Livre, non plus que la foi. Mais Nous en fîmes une lumière, dont nous guidons qui Nous voulons d’entre Nos adorateurs sur une voie de rectitude. » (Sourate Al-Shûrâ (La consultation) ; 42 : 52)
Notre devoir en tant que représentants de Dieu sur terre est de nous comporter en responsable chacun selon sa capacité et la mission qui lui est confiée, en profitant de ce séjour sur terre pour honorer l’esprit qui nous a été donné en le libérant de la prison du corps.
Puissé-je rendre ma vie
Semblable à une flûte de roseau
Simple et droite
Et toute remplie de musique (2)
La sanction d’un mal est encore un bien puisque la personne qui la subit en est quitte. Quand vous êtes mal noté à l’école, on vous retient en classe pour prendre des cours de rattrapage. Le mal est sanctionné par le bien.
Si quelqu’un vous cause du tort, il est condamné. Dans ce cas-là, sachez que celui qui pardonne est supérieur à celui qui exige réparation, même si ce n’est que justice.
Ce que nous appelons le mal est souvent quelque chose qui résulte de nos actes et qui nous cause un déplaisir, une colère ou pire encore. Cela peut commencer par le désagrément causé par un débat (culturel, politique ou autre) banal avec un ami interlocuteur qui apporte des arguments plus forts et qui se montre plus savant ou plus intelligent que nous. Cela nous froisse, nous contrarie et nous met dans un mauvais état. Nous prenons cela pour un mal. Ce genre de mal est évidemment relatif, parce qu’il ne laisse pas de trace, et parce qu’il dépend de la force de la personnalité des personnes. Tout le monde ne réagit pas avec aigreur au moindre échec. Dans ce genre de cas, c’est la faiblesse ou la force du caractère qui est révélée.
Or il s’agit de la simple manifestation de la nature même de l’être dans ce monde. Nous sommes différents les uns des autres. Cependant, d’un côté, nous sommes les mêmes, tous des êtres humains, capables de communiquer entre nous, et de l’autre, nous sommes différents chacun avec sa capacité, sa configuration propre, son patrimoine génétique…
De même, le bien n’est que ce que Dieu nous dit être le bien, et qui est l’Essence même de Dieu. Nous gardons de façon innée une notion de ce qu’est le bien, en reconnaissant d’instinct ce qui est bien pour les hommes et ce qui est mal. Nous sommes mis à l’épreuve du bien et du mal, parce que le bonheur aussi peut être cause d’égarement.
Le Saint Coran dit dans le verset 35 de la sourate 21 Al-Anbiyâ (Les prophètes) : « Nous vous tentons par le malheur comme par le bonheur : c’est une mise à l’épreuve. A Nous de vous tous il sera fait retour. » (3) Dans ce verset, le mot traduit par épreuve est le mot arabe fitna, du verbe fatana qui signifie tester l’or en le brûlant afin d’en connaître la teneur. C’est une épreuve difficile.
Un autre verset, le verset 15 de la sourate 64 Al-Taghâbun (La grande perte), dit : « Vos biens, vos enfants ne sont que [cause de] tentation… » (4) . C’est donc un verset soulignant que notre séjour terrestre est un lieu d’épreuves. Et le croyant qui se trouve exposé à l’épreuve dans tout ce qu’il rencontre dans ce monde, bien ou mal, se remet en toute confiance à Dieu (tawakkol) : la seule solution est celle de la prière et de l’invocation, comme Dieu nous le recommande en maints versets du Coran, et comme le Prophète et les Imâms nous y invitent également. L’invocation de l’aide divine renforce l’âme et nombreux sont les témoignages de ses bienfaits sur l’esprit.
Une grande partie des invocations de la Famille du Prophète sont publiées et diffusées. Le célèbre Do’â de Komayl, que l’Imâm ‘Alî (as) enseigna à son compagnon Komayl ibn Ziyâd al-Nakh’î, et aussi la Sahifa Sajjâdiyya (le Feuillet d’al-Sajjâd) du troisième Imâm, ‘Alî ibn al-Hossein al-Sajjâd (as), sont des plus connues.
La prière et l’invocation (do’â) nous mettent personnellement en relation avec Dieu. Mais que dire à Dieu, que lui demander ? Va-t-on lui demander des choses de ce monde, par exemple, de nous aider à devenir chef ou à obtenir une promotion dans notre travail ou une augmentation de salaire ? Nous risquons de nous compliquer davantage la situation. Il est nécessaire d’acquérir une énergie spirituelle, une ambition spirituelle qui dépasse ce genre de demandes.
Même la demande est donc une épreuve. Elle doit être bien formulée et bien intentionnée. Le Coran dit : « Votre Seigneur dit : « Invoquez-Moi que Je vous exauce ». » (Sourate Al-Ghâfir (Le Pardonneur) ; 40 : 60) Et aussi : « Que si Mes adorateurs t’interrogent sur Moi, Je suis tout proche à exaucer l’invocation de qui M’invoque… » (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 186).
Il n’est pas donné à tout le monde d’être le confident de Dieu. Apprenons alors à nous adresser à Dieu avec des paroles dignes de Lui.
Les vrais croyants sont ceux qui disent : « Ô mon Dieu ! Fais-moi part de ce que le Prophète et sa Famille Te demandent » ; ou bien aussi, ceux qui prennent exemple chez les Beaux Etres, et qui, en se basant sur les recueils d’invocations du Prophète et des Imâms qu’ils ont lues dans les livres, disent : « Ô mon Dieu ! Fais-moi part « de ce pourquoi tel ou tel prophète ou envoyé ou saint (al-sâlihûn) T’a invoqué » (5) ».
C’est l’un des critères de la grandeur de la station spirituelle d’un maître que de savoir parler à Dieu. Voilà pourquoi les paroles de Rûmî, d’Ibn ‘Arabî et des grands saints et saintes de l’islam sont si puissantes, si énergisantes, si réconfortantes. Ce sont des paroles recueillies au Seuil de la Présence divine. « Pourquoi la lecture du Coran fait-elle un si bon effet ? » Parce que ses paroles sont vraies, répond Ibn ‘Arabî. La Vérité trouve un écho dans le for intérieur de toute personne.
Le verset coranique du « Trône » (âyat al-Korsî) revêt une grande importance pour les musulmans de par le monde, tant ses effets sur l’édification spirituelle sont reconnus. (6) Certains le considèrent comme le meilleur verset du Coran. Il est fortement recommandé de le lire tous les jours, comme une invocation pour se préserver du mal. Beaucoup en conseillent la lecture après chaque prière obligatoire, le matin, à midi et le soir. (7)
L’homme est différent des autres créatures qui n’ont pas le libre arbitre, qui sont réglées une bonne fois pour toutes pour accomplir certains mouvements avec la régularité d’une horloge. L’abeille ou la fourmi accomplissent leurs tâches instinctivement. Elles n’apprennent pas de leur famille et ne vont pas à l’école. Elles agissent par instinct.
Les hommes sont libres de suivre la Voie du bien ou celle du mal. Il s’agit ici du bien défini par Dieu dans les Révélations, et du mal qui en découle a contrario.
« Nulle contrainte en religion ! (8) Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. Donc, quiconque mécroît au Rebelle tandis qu’il croit en Allah saisit l’anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient. » (9) (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 256).
L’homme est la conscience du monde. Il est doué de parole : il parle pour le monde, il en est le porte-parole. Il en est aussi responsable.
Les hommes sont donc soumis à une double loi : celles de l’univers dans lequel ils vivent, comme la loi de la gravitation ou celle de la précession des équinoxes, et celles qui les régissent plus personnellement et qui sont variables d’un peuple à l’autre, d’une personne à l’autre.
Les unes forment le terrain dans lequel il vit, ce sont les lois qu’il ne peut changer. Grâce aux lois de la physique, les hommes ont fait voler des avions, lancé des fusées et voyagé vers la lune. Ils ont aussi exploré le fonds des océans. Les autres forment le code à suivre dans cette vie s’ils souhaitent librement tirer le meilleur de leur séjour sur terre. Ce sont des lois que les hommes ne suivent pas de façon homogène, loin de là. Comme ils disposent tous du libre arbitre, les hommes n’ont pas la même notion de toutes les choses ; ils découvrent en plus que leurs intérêts sont divergents.
Les hommes auraient aimé être régis par des lois présentant la même exactitude que celles des sciences physiques. Mais leur âme est un domaine qui ne se laisse pas dompter facilement – comme l’énergie nucléaire.
Tous les hommes adhèrent aux lois de la science de la nature et travaillent même la main dans la main pour les faire avancer. Mais trop de divergences les opposent. Ce que cherchent les uns se heurte souvent à la volonté des autres. Chacun parle sa langue, chacun pense différemment et chacun est capable d’argumenter pour étayer sa réclamation et montrer ses muscles au besoin pour faire pencher la balance en sa faveur. La vie sur terre est problématique. Il faut travailler pour vivre, peiner, lutter contre le froid et la chaleur, les maladies, etc. Il faut aussi lutter contre des congénères qui convoitent les terres, les espaces et les prérogatives. Il y a des guerres !
Ainsi la recherche des intérêts est devenue le moteur de l’humanité. Chaque peuple cherche à assurer à sa religion, à son mode de vie, la suprématie. Et dans ce but, il accumule des armes.
La guerre qui est la chose la plus horrible, la plus meurtrière, présente quelques aspects positifs. Elle révèle aussi la présence en l’homme de l’idée de grandeur, d’ambition de pouvoir total.
« Et si Dieu ne neutralisait pas une partie des hommes par une autre, la terre serait certainement corrompue… » (10) (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 251).
La guerre est considérée comme le mal principal qui ronge les hommes. Pourtant, nous lui devons tant de belles choses aussi : les progrès techniques entre autres, l’expérience des situations extrêmes, les occasions de se surpasser, l’héroïsme. La guerre, la concurrence, la compétition dans tous les domaines, sont les moteurs de la vie sur terre.
« Le combat vous a été prescrit alors qu’il vous est désagréable. Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un bien. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est mauvaise. C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas. » (11) (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 216).
La guerre est le moyen de faire entendre sa voix, de faire reconnaître son droit. Elle aide à surmonter des situations intenables pour les hommes.
Toutes ces données engendrent des situations complexes que les hommes ne sont jamais parvenus à résoudre une bonne fois pour toutes. Mais la passion qu’ils mettent à faire prévaloir leur place, témoigne qu’ils sont attachés à ce monde, que la vie sur terre n’est pas si mauvaise que ça, en dépit de tous ses inconvénients.
En plus des maux que les hommes s’infligent les uns aux autres dans les guerres, la nature apporte aussi son lot de calamités qui sèment la désolation parmi les peuples : les tornades, les tempêtes, les tsunamis, les volcans, les tremblements de terre, la sécheresse, le froid, les épidémies, les éboulements de terrains, les avalanches et autres dangers auxquels s’ajoutent ceux causés indirectement par l’activité humaine, comme le dérèglement climatique, les famines et les maladies modernes.
En dépit de tout, il existe un fort sentiment d’appartenance à une espèce unique qui progresse en dépit des conflits qui la déchirent sans cesse. Les hommes savent depuis des millénaires de quoi est faite la vie ici-bas : cela ne les empêche pas de croire encore qu’il y a un moyen de la dompter définitivement à leur profit. Ils refusent de retenir la grande leçon de l’Histoire : Dieu attribue la gouvernance des affaires du monde par alternance, à tour de rôle. Une époque pour tel peuple, une autre pour tel autre. Il faut sans cesse du sang nouveau.
Le Coran dit : « Si une blessure vous atteint, pareille blessure atteint aussi l’ennemi. Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais) parmi les gens, afin que Dieu reconnaisse ceux qui ont cru, et qu’Il choisisse parmi vous des martyrs » (12) (Sourate Âl ‘Imrân (La famille de ‘Imrân) ; 3 : 140).
Dieu veut relancer la passion de la vie, l’entretenir à un niveau convenable. Lorsque nous disons que Dieu est le maître du monde, nous affirmons une réalité essentielle de l’Être divin. L’ordre cosmique obéit à Dieu quoiqu’il fasse. Mais l’homme a reçu une mission précise pour l’exécution de laquelle il doit préparer son esprit, sa volonté.
Nous confondons souvent le bien avec ce qui nous fait plaisir, et le mal avec ce qui nous incommode, alors que parfois une apparence de « bien » dissimule un mal, et qu’une apparence de mal nous cache un bien.
« … Il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose où Allah a déposé un grand bien. » (13) (Sourate Al-Nisâ (Les femmes) ; 4 : 19).
Lorsqu’un bien réel et vrai nous arrive, nous ne le reconnaissons pas, nous nous en méfions, par crainte. Ce sentiment d’inquiétude qui s’empare alors de nous est la preuve que nous ne savons vraiment pas toujours où réside notre bien et où réside notre mal. Nous ne sommes sûrs de rien, en fait. « C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas. » (14) (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 216).
Nous agissons sans être certains que nous avons appuyé sur le bon bouton. Or cela n’est que la manifestation de la nature imprévisible du monde dans lequel nous vivons. Ce n’est pas le mal, ou si cela l’est, c’est au sens figuré. En ce sens, il existe une tradition fondamentale du Prophète (s) qui affirme la supériorité de l’esprit sur la matière, de l’intention sur l’acte. Il a dit : « Les actes ne valent que par les intentions (qui en sont à l’origine). A chaque homme, selon son intention. » (15)
Par conséquent, un mal apparent peut se révéler un bien a posteriori, comme on le voit dans les explications que l’homme de Dieu (16) a fournies à Moïse, avant de se séparer de lui, dans la sourate de la Caverne. (17)
Les sentiments ambivalents que nous éprouvons devant les évènements révèlent seulement le niveau faible ou fort, de notre capacité à gérer les situations. Cela devrait nous pousser à trouver les moyens de nous renforcer. Quand une voiture tombe en panne, on la répare, ou on lui remet du carburant.
Le mal absolu n’existe pas. Il y a des épreuves, des examens destinés à juger de nos progrès. Un jeune enfant qui tombe, sourit, se relève et se remet à marcher. Cela fait partie de l’apprentissage de la vie. Il ne se plaint pas du « mal ».
Ces épreuves se passent tous les jours, parfois avec solennité, parfois avec gravité, parfois sans même que l’on s’en aperçoive, l’Examinateur ayant camouflé la question.
« Tout bonheur qui t’arrive vient de Dieu ; tout malheur qui te frappe vient de toi-même … » (Sourate Al-Nisâ’ (Les femmes) ; 4 : 79).
Dieu n’a donné que du Bien. Il n’est que bonté infinie. Tout le mal vient de nous, est en nous. Quel est donc ce mal en nous que nous n’identifions pas ?
Cela pourrait nous mener à un débat métaphysique. Dieu ne cherche pas à faire de nous des métaphysiciens, mais des croyants dont la foi et la science sont bien assises, des gens de bien qui ne doutent plus.
Or nous doutons tout le temps, d’un doute qui nous édifie parfois, qui nous stoppe aussi à certains moments. Tant que nous sommes en vie, toutes les épreuves nous sont utiles et nous font avancer vers la compréhension de l’énigme de la vie terrestre, et mieux encore vers la compréhension du sens de notre venue personnelle en ce monde qui est, quoi qu’on dise, une bénédiction. Personne ne peut nier que « être » soit préférable au « non être ».
Comprendre quel rôle On attend de nous : voilà un sujet de méditation, dirait-on. Non, pas un sujet de méditation, mais le but réel, bon gré mal gré de la vie, que l’on sache méditer ou non. Dès l’instant de notre naissance, commence le compte à rebours dont le terme est la mort. Nous sommes entraînés dans le mouvement houleux de la vie, jetés sur des rivages inconnus où rien n’est stable, rien n’est durable : les joies succèdent à la tristesse, l’angoisse à la certitude, la détente à l’effroi. Nous n’avons pas choisi de naître et une fois nés, nous ne savons pas choisir comment et quoi faire dans ce monde où nous retrouvons des êtres semblables à nous, mais aux intérêts si différents des nôtres. Nous devons sans cesse bouger, faute de quoi rien ne se règle, d’autant que chaque jour apporte sa part de problèmes à résoudre. Les chemins sont parfois plats, parfois durs et montants, parfois en pente abrupte. Ce n’est pas facile, mais les yeux ne peuvent manquer de se réjouir des paysages, de la beauté de la nature.
Le croyant sait que son temps est limité et qu’il devra se dépêcher de franchir les étapes spirituelles, de se rendre prêt pour rejoindre le Seigneur dans la joie. Et dans ce chemin, Dieu ne cesse jamais de lui apporter des réponses à ses questions. Il s’établit un dialogue entre Dieu et Sa créature à travers la méditation du Coran qui donne constamment des repères.
Quand nous sommes sur le point « d’oublier » les bienfaits de Dieu, le Coran nous rappelle :
« Et quand Nous comblons l’homme de bienfaits; il se détourne et se replie sur lui-même; et quand un mal le touche, le voilà profondément désespéré. » (18) (Sourate Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne) ; 17 : 83).
« L’homme ne se lasse pas d’implorer le bien. Si le mal l’atteint, le voilà désespéré, désemparé. Et si nous lui faisons goûter une miséricorde de Notre part, après qu’une détresse l’ait touché, il dit certainement : “ Cela m’est dû ! Et je ne pense pas que l’Heure se lèvera [un jour]. Et si je suis ramené vers mon Seigneur, je trouverai, près de Lui, la plus belle part ” (…). Quand Nous comblons de bienfaits l’homme, il s’esquive et s’éloigne. Et quand un malheur le touche, il se livre alors à une longue prière. » (Sourate Fussilat (Les versets détaillés) ; 41 : 49-51).
Le Coran expose des dizaines de versets semblables sur la psychologie des hommes. Ces versets aident le croyant à retrouver la voie droite à chaque fois qu’il risque de s’en éloigner.
Une chose est certaine, c’est que l’homme est venu sur cette terre pour être éprouvé et testé dans les meilleures conditions, à son avantage. Il est équipé pour faire face aux épreuves. Dieu l’aide par le message prophétique et Il ne cesse de l’aider par Ses encouragements, par l’annonce qu’Il lui fera bénéficier de Sa bonté. Mais l’homme doit aussi agir. Il n’est pas question pour lui de bénéficier des largesses divines sans effort.
« … L’homme obtient seulement le fruit de sa tribulation (de ses efforts). » (Sourate Al-Najm (L’étoile) ; 53 : 39).
Dieu entend nos plaintes et Il prend plaisir à entendre les plaintes insistantes de ceux qui l’aiment et de ceux qu’Il aime. Il ne les récompense que mieux.
« Dis : « Si vous aimez Dieu, suivez-moi pour que Dieu vous aime et vous pardonne vos péchés ». Dieu est Tout pardon, Miséricordieux. » (Sourate Âl ‘Imrân (La famille de ‘Imrân) ; 3 : 31).
Nous avons donné ici un exposé rapide justifiant la thèse religieuse fondée sur une approche globale ou totale du problème de l’être dans lequel le mal n’est qu’un épiphénomène. Sur beaucoup de points que nous avons évoqués ici, les positions sont partagées grosso modo par toutes les religions et doctrines traditionnelles. Nous sommes loin des élaborations philosophiques qui ont exagéré la portée et la signification du mal au point de prôner des idées sceptiques ou d’élever le mal au rang d’essence même de l’être. Nous n’avons sûrement pas l’intention de dire que l’œuvre de certains philosophes soit elle-même un mal ! Loin de là ! Ils sont pour la plupart du temps des hommes sincères et bien intentionnés. Mais leur savoir basé uniquement sur la logique formelle aboutit à des conclusions qui laissent perplexe le croyant. Démontrer l’existence d’un être nécessaire n’étanche pas la soif du croyant pour qui Dieu ne fait pas de doute, et qui cherche bien mieux que de se rassurer de son existence, mais de se rapprocher de Lui.
Ibn ‘Arabî conteste même l’être nécessaire des philosophes en écrivant : « Pourtant certains penseurs, dont Abû Hâmed (19) , prétendent qu’Allah peut être connu sans que l’on considère le monde, mais c’est là une erreur. Certes, on peut savoir qu’il y a une Essence principielle et éternelle, mais non que celle-ci est « Dieu » tant que l’on ne connaît pas ce qui est soumis à la fonction divine, et qui est l’ »informateur » à son sujet. » (20) Comme on le voit pour Ibn ‘Arabî, sans les « informateurs » c’est-à-dire les prophètes, on ne saurait pas ce qu’est Dieu, encore nos devoirs envers Lui et ce qu’Il attend de nous.
Le « mal » qui ne peut se définir que par des critères religieux n’est que l’élément décoratif de la scène où se joue la pièce de la rédemption des hommes. Il est nécessaire pour que les hommes aient du mérite à s’en libérer. Les grands hommes, les saints et les saintes ont montré que l’on peut s’en débarrasser, car il n’est que le bandeau que l’on met, pour un temps, sur les yeux de l’acteur pour le mettre au défi de reconnaître les lieux où il se trouve. Une fois surmonté, il s’évapore car « il est de sa nature de s’évaporer », comme dit le Coran : « La Vérité est venue et l’Erreur a disparu. Car l’Erreur est destinée à disparaître” » (21) (Sourate Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne) ; 17 : 81).
Et faire disparaître le mal, comme par magie, est le miracle des hommes qui ont compris que le monde possède un double décor de vrai et de faux ou de réel et de néant, qu’il est la scène des épreuves et rien d’autre.
L’expérience de cette épreuve est d’ailleurs bien documentée par la littérature mystique dans laquelle sont consignés les enseignements des maîtres de la Voie. Ces enseignements servent aux novices comme des repères, auxquels ils comparent leur propre expérience.
Le combat des hommes pour triompher de l’illusion est le même au cours des âges, des civilisations.
Par rapport aux lois de la nature, les hommes ont mené le combat de la science et ont distingué entre la connaissance empirique et la connaissance scientifique. On pensait que le soleil tournait autour de la terre, on a rétabli la vérité : c’est la terre qui tourne autour du soleil. Même si nous avons gardé la poésie du lever du soleil, nous savons que c’est par illusion que le soleil se lève.
Dans toutes les disciplines scientifiques, on a opéré les révolutions qui ont fait progresser le savoir de connaissances hypothétiques à un savoir vrai.
Les grands maîtres spirituels ont mis en évidence et définitivement établi que dans le domaine de la connaissance du mode d’être propre à l’homme, il faut aussi accomplir un saut d’un savoir illusoire à un savoir vrai. Il s’agit de sauver l’honneur de l’homme qui est le représentant de Dieu sur terre.
« Nous avons honoré les Fils d’Adam… » (Sourate Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne) ; 17 : 70).
Les hommes ont testé, parfois au prix de millions de vies humaines, à peu près toutes les doctrines philosophiques imaginables (l’athéisme communiste par exemple). Seules ont survécu les doctrines gnostiques et religieuses, en l’occurrence celles qui ont pour base l’enseignement prophétique, c’est-à-dire un enseignement qui se réclame de la révélation divine.
Le chemin de la remontée au Principe est semé d’embûches, mais il existe bel et bien, balisé par les milliers de saints qui l’ont parcouru.
Transcription du verset du Trône suivie de sa traduction
Allâhu là ilâha illâ huwa al-Hayyu al-Qayyûm, là ta’khudhuhu sinatun wa là nawmun lahu mâ fi al-samâwâti wa mâ fi al-ardi, man dhâ al-ladhî yashfa`u `indahu illà bi- idnihi ya`lamu mâ bayna `aydihim wa mà khalfahum wa lâ yuhitûna bi- shay’in min `ilmihi `illâ bimâ shâ’a wasi`a kursiyyuhu al-samâwâti wa al-ardha wa là ya’ûduhu hifzuhumâ wa Huwa al-‘aliyyu al-‘azim
Allah ! Point de divinité à part Lui, le Vivant, Celui qui subsiste par lui-même (al-Qayyûm). Ni somnolence ni sommeil ne Le saisissent. A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa permission ? Il connaît leur passé et leur futur. Et, de Sa science, ils n’embrassent que ce qu’Il veut. Son Trône (Korsi) déborde les cieux et la terre, dont la garde ne Lui coûte aucune peine. Et Il est le Très Haut, le Très Grand. (22) (Sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 255).
Dans tous les cas, pour réussir dans les épreuves, confions-nous à Allah, appelons-Le et demandons-Lui de nous faire sortir de l’obscurité et de nous mener à la lumière afin que nous y demeurions éternellement, comme Il le promet aux Croyants dans le verset numéro 257, qui vient après celui-ci.
Notes :
1- Traduction de Jacques Berque, grand orientaliste français qui fut aussi membre de l’Académie arabe en Egypte.
2- Rabindranath Tagore, écrivain, peintre, dramaturge et musicien d’origine indienne (1861-1941). L’une de ses œuvres majeures Gitanjali (L’offrande lyrique), a été traduite par André Gide. Voici une belle phrase du Chant VII de Gitanjali : « Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique ». L’œuvre poétique de Tagore a été mise en musique par divers compositeurs.
5- Les références seraient nombreuses à rapporter ici. Voir notamment al-Osûl mîn al-Kâfî de Kolaynî ou le Mustadrak al-Wasâ’il de Muhaddith Nûrî.
6- Il existe des centaines de traditions concernant les vertus et les pouvoirs de ce verset.
7- (Sourate 2, al-Baqara ; verset : 256) Nous donnons en fin d’article, la transcription et la traduction de ce noble verset.
8- (en arabe : لا اکراه فی الدین)
9- Traduction de Mohammad Hamidullah, (en persan : محمد حمیداللہ) (9 février 1908- 17 décembre 2002). Il fut un grand chercheur musulman, diplômé en droit musulman et docteur en philosophie.
10- Trad. Hamidullah.
11- Trad. Hamidullah.
12- Trad. Hamidullah.
13- Trad. Hamidullah.
14- Trad. Hamidullah.
15- « Innamâ al-a’mâl bi al-niyyât… »
16- Il s’agit de Khezr (ce nom signifie « Le Vert » dans la langue arabe), un immortel qui symbolise le guide spirituel par excellence et qui initie les prophètes et les saints.
17- La Sourate 18, Al-Kahf (La caverne), raconte l’histoire d’un groupe de croyants qui fuit son pays gouverné par un tyran et qui dort dans une caverne avec son chien. Leur sommeil évoque celui des Ressuscités, le Jour de la Résurrection. En se réveillant, ils voient que tout a changé sans être conscients de la durée de leur sommeil. Ce groupe de gens est considéré comme la preuve de la Puissance de Dieu dans la Réincarnation des morts. Voir le récit, du verset 60 au verset 82.
18-Trad. Hamidullah.
19- Il s’agit de Abû Hâmed al-Ghazzâlî, grand penseur de l’islam, auteur du Ihyâ ‘ulûm al-Dîn, et de bien d’autres ouvrages qui continuent de faire autorité chez les musulmans. Al-Ghazzâlî est mort en 1111. Si Ibn ‘Arabî le critique ici, il a pour lui une grande estime.
20- Fusûs al-Hikam d’Ibn ‘Arabî, chapitre 5, celui du prophète Ibrahîm (as). La traduction est extraite du Livre des Chatons de la Sagesse, traduction, notes et commentaires de Charles André Gilis, en deux tomes, Beyrouth, 1997 et 1998.
21- Trad. Hamidullah.
22- Trad. Hamidullah.