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La retraite spirituelle à travers la pensée du soufi iranien ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî (m. 561/1166) D’après son manuscrit non identifié « Risâla fî l-khalwa »
Dr. Samir Staali
Contenu du traité et l’explication de ses dévoilements mystiques :
Il faut dire qu’en général, le manuscrit explicite certaines idées et quelques aspects concernant les manifestations qui se déroulent pendant la khalwa. Selon Jîlânî, les effets de la khalwa sont au nombre de cinq
[1] :
– wâqi’ât (échéances)
– mushâhadât (contemplations)
– mukâshafât (dévoilements)
– tajalliyât (émanations)
– wusûl (cheminement)
- al-Wâqi’ât (Échéances) :
Ce sont les signes (wasf) que manifeste l’âme damnée (nafs lawwâma) dans le cœur. Ils sont donc divisés en quatre
[2] catégories :
- Soit, on est confronté à des signes sataniques (sifât shaytâniyya) qui se manifestent à travers des images que l’illusion (wahm) forme par l’imaginaire (khayâl). C’est quand le cheminant voit Satan (shaytân) venir l’effrayer et interrompre son cheminement [3]em>.
- Soit, on est confronté à des signes de bêtes féroces (sifât sab’iyya). Ces signes correspondent à l’image d’animaux sauvages (wuhûsh) : la trahison (ghadr) pour le loup, la révolte (tamarrud) pour le tigre, l’audace (jur’a) pour le lion, la ruse (hîla et makr) pour le renard, la colère (ghayd) pour la panthère, l’insouciance (ghafla) pour le lapin, l’indifférence (‘adam al-iltifât li-l-nasîha) pour le taureau, la rancune (hiqd) pour le chameau (si le retraitant se voit porté par un chameau obéissant, alors sa nafs se trouve en sécurité. Et si au contraire, il le voit de couleur rouge avec des yeux noirs, c’est le signe de son ardeur (shawq et wajd)), l’inimitié (‘adâwa) pour le serpent, faire mal aux gens (îdhâ al-nâs) pour le scorpion, les pensées sataniques (khawâtir shaytâniyya) pour la guêpe, le désir sexuel (shahwa bâtniyya) pour le mouton, le désir maladif (shahwa maradiyya) pour l’âne (s’il voit l’âne mort dans cette manifestation, cela veut dire qu’il va vaincre son désir), la cupidité (hirs) pour la fourmi, l’avarice (bukhl) pour la souris, la gourmandise (sharah) pour le chien et le singe [4]. Si le cheminant (sâlik) voit ces manifestations sous certaines formes dans le monde invisible, il lui est recommandé de se tenir sur ses gardes et d’éduquer (tahdhîb) sa nafs grâce au dhikr et à la docilité (inqiyâd).
- Soit, on est confronté à des signes humains (sifât âdamiyya) : comme le fait de voir les différentes races et couleurs des êtres humains : blanche, noire, rouge ; ou de leur physique : grand et petit, voir les hommes et les femmes, le père et le fils. Toutes ces manifestations montrent que le sâlik n’a pas encore accédé au degré de l’« humanité » qui est le signe de sa plénitude et le principe de sa perfection. Il semble que cette étape propose plus d’issues (aqrab khurûjan) au retraitant que la première.
Pour expliquer le vrai sens de wâqi’ât, nous allons nous référer aux propos d’Ibn ‘Arabî (7e H). Selon ce dernier, elles surviennent sur le cœur en provenance de ce monde par tout genre de procédés comme le discours ou l’image [5]. Dans ses Rasâil, Ibn ’Arabî avait précisé que : « Si Dieu vous dévoile le monde de l’inconnu, ni les murs ni même l’obscurité ne vous empêchent de connaître ce que font les gens dans leurs maisons. Par contre, il vous est interdit de dévoiler les secrets des gens. Vous devriez plutôt les préserver si Dieu vous permet de les savoir. Si jamais tu prends le risque de dire que celui-là est un adultère (zânî), celui-ci est un ivrogne (shârib) ou bien un calomnieux (mughtâb), sache que la seule personne qu’il faut accuser c’est bien toi, et que Satan a pris la possession de ton corps [6] ». Al-Shaykh al-akbar continuait son raisonnement dans un autre ouvrage ; il s’agit de K. al–Futûhât dans lequel il disait : « Si Dieu t’a dévoilé le secret d’untel, tu as l’obligation de le préserver et d’empêcher sa divulgation. Car si tu le divulgues en disant : celui-là est un fornicateur et celui-ci un ivrogne ou meurtrier ou voleur, c’est toi-même qui seras le plus grand pécheur et Satan s’emparera de toi. Agis donc en accord avec le Nom divin al-Sattâr (Celui qui pose le voile). Et si cette personne vient te retrouver, avertis-la en privé sur ses actions, […] et consacre-toi au dhikr [7] ». Ibn ‘Atâ’ Allâh al-Iskandarî (8e H) s’est déjà posé la question : Quelle serait la différence entre le wârid [8] malâkî et le wârid shaytânî ? Le malâkî, [de malâk (ange)] apporte le sentiment de la fraîcheur (burûda) et du plaisir (ladhdha) ; aucune douleur n’est ressentie et aucune image ne vient vous brouiller la vision. Par contre, le wârid shaytânî, [de shaytân (Satan)], cause des douleurs au niveau des muscles et vous plonge dans la stupéfaction [9].
Pour mieux expliquer ce que nous venons d’avancer, prenons l’exemple de Shams al-Dîn al-Hanafî (9e H) qui aimait souvent faire la khalwa depuis l’âge de quatorze ans. On raconte que le shaykh demeura jusqu’à sept ans en khalwa. D’après Sha’rânî (10e H) : « Le shaykh n’est pas sorti de sa khalwa avant d’avoir entendu un hâtif (voix) lui dire : Ô Muhammad ! Sors [de ta khalwa] pour faire bénéficier les gens [de tes connaissances] ». Quand il sortit, il les vit porter des turbans de différentes couleurs, bleu pour certains et jaune pour d’autres. Il vit aussi leurs têtes transformées en celles de singes ou de porcs, alors que d’autres portaient des têtes de lune. Il savait très bien que c’était grâce à Dieu, qu’il pouvait connaître le destin de chacun. Dieu avait dévoilé à Hanafî, les vices cachés de ces gens, leurs mensonges, leurs prétentions, leur association dans les actes, les paroles, les intentions et les pensées non exprimées. Cependant, le maître a éprouvé une colère sacrée, issue de son amour jaloux pour le Seigneur, son envoyé et sa religion, lorsqu’il a été confronté à de telles manifestations ; il a alors préféré ne pas assumer cette mission et cette lourde tâche. Par la suite, il supplia Dieu de lui voiler les états cachés (kashf al-ahwâl) de ces gens. Suite à cette prière, il est redevenu un homme comme les autres [10].
Cette métamorphose animale (maskh) a conservé son importance dans la religion musulmane. D’ailleurs, dans le Coran se trouvent des versets tels que : « Ceux qu’Allâh a maudits, contre qui II s’est courroucé, dont II a fait des singes et des porcs [11] » (Cor. s5, v60). Et « Nous avons dit à ceux qui ont transgressé le sabbat : Soyez des singes abjects ! [12] Puis, lorsqu’ils refusèrent (par orgueil) d’abandonner ce qui leur avait été interdit, Nous leur dîmes : Soyez des singes abject [13] » (Cor. s7, v166).
- al-Mushâhadât (Manifestations) :
Dans notre manuscrit, il s’agit des manifestations [14] terrestres et célestes. Dans le cas des manifestations terrestres, Jîlânî disait qu’il est possible au retraitant de voir des montagnes de différentes formes et sous diverses couleurs, comme autant de signes qui traduisent des signes de son tempérament (jibillatuhu). Si le retraitant voit des montagnes de couleur noire, cela indique l’obscurité (zulma) de son cœur. La rougeur indique son tempérament changeant (talawwunihi) et son incapacité à gérer les choses. Et la blancheur signifie qu’il est arrivé au cercle de l’Islam (dâ’irat al-Islâm)
[15]. Toutefois, si le retraitant voit des vestibules étroits, ce sont ceux de son existence (wujûd). Voir l’eau est un signe de pureté mais si elle est trouble (kadira), il s’agit d’un signe de mauvais traitement. L’eau symbolise la manière de vivre (rizq) si elle coule du ciel ; par contre, si c’est un nuage, la personne est condamnée dans sa vie, car le nuage est une matière (jism). Toutefois, si le ciel est dégagé (sahw), cela représentera la connaissance de la Loi Sacrée de l’Islam (ahkâm shar’iyya).
La symbolique de la plantation (zurû’) : les plantations sont le résultat de nos actions et l’arbre signifie le dhikr. Ainsi, si les fruits de ce dernier sont bien mûrs, cela signifie que le cœur du dhâkir vit dans un état de floraison spirituelle et de prospérité (‘imâra) ; mais s’ils sont en cours de maturation, il s’agira de la complaisance. D’autre part, contempler les fleurs à la place des fruits, symbolise le commencement d’une action. Les perles traduisent un signe de sa vraie nature, si elles coulent dans l’eau. Ceci traduit la connaissance qui coule dans sa nature et l’éparpillement de ces perles montre l’intérêt qu’il porte à l’aspect de sa nature.
Par ailleurs, le voyage en direction de La Mecque ou de Médine est une orientation vers Dieu ; mais si la destination finale est Jérusalem (bayt al-Maqdis), cela indique que son argent vient d’une source sûre. Se voir sur un bateau signifie son attachement à la Sharî’a, et flotter sur la mer dans un sens droit, est une preuve de sa droiture. La boue traduit la corruption de son état spirituel. Se voir porter des sandales signifie que la personne est droite dans son cheminement, mais s’il les perd ou ne les porte jamais, c’est l’indice de sa bonne discipline. Se voir complètement nu est la preuve de son détachement total (tajarrudihi). Se voir en train de manger de la viande et du pain accompagnés d’autres aliments mûrs, est un symbole de subsistance morale (ghidhâ’ ma’nawî). Le miel est symbole de mysticisme (‘ilm laddunî), le lait (laban) symbolise la conception originelle (fitra). La pureté des vêtements reflète la pureté du cœur. Sa mort ou la mort de quelqu’un qu’il aime manifeste pour lui la mort de sa nafs.
- al-Mukâshafât (Dévoilements) :
Il s’agit d’un ensemble de manifestations qui se traduisent par des traits d’esprit, des mots spirituels, une expression élégante et tout ce qui est fin et exquis, comme par exemple le fait de voir les anges sous leur plus belle forme, découvrir les joyaux des cieux et les merveilles des mers, voir les terres étendues qui dévoilent leurs vérités. Par la khalwa, les secrets de toutes ces choses sont dévoilés aux mystiques. [16]
L’historien tunisien Ibn Khladûn (8e H) disait que : « […] prophètes et saints ont en commun la faculté de connaître le monde spirituel par le “dévoilement”, même si la perception qu’en ont les premiers est beaucoup plus étendue que celle des seconds [17] ». Et selon le soufi iranien Sulamî (5eH), al-mukâshafa est considérée comme étant le dévoilement de l’invisible (kashf al-maghîbât) chez les Iraquiens, alors que les Khurassaniens pensaient que le rôle du dévoilement était de montrer les défauts de la nafs (âme charnelle). Certains awliyâ (saints) accédaient au kashf pour des raisons particulières, soit pour connaître leur état spirituel, ou encore pour connaître celui des autres. Selon le même auteur, il serait, selon les cas, soit interdit de dévoiler son kashf, soit permis de le faire (ma’dhûn fî l-ikhbâr).Celui qui peut le faire est un amîn (homme sûr) et les umanâ font parties des awliyâ’ considérés comme étant au sommet de la sainteté. Le faqîr ne devrait pas montrer sa pauvreté aux gens et devrait arrêter de se plaindre. Il ne devrait également porter la muraqqa’a qu’en cas de nécessité, relire le Coran dans sa khalwa et consacrer son temps au dhikr
[18].
Lorsque qu’un autre soufi iranien Suhrawardî (7e H) rentrait chaque jour dans la khalwa d’un faqîr, il le mettait en garde et le préparait à ce qu’il lui arriverait dans sa retraite. Inversement, le murîd lui annonçait ses mukâshafât (dévoilements) et ses ahwâl (états spirituels). Il lui demandait aussi d’être prudent pour le cas où il verrait l’image de Satan apparaître devant ses yeux. Lors du bilan du soir, ce murîd devait finir par confirmer toutes les prédictions de son maître [19].
Pour distinguer un kashf hissî (dévoilement phénoménal) d’un kashf khayâlî (dévoilement imaginal), le grand soufi marocain Shâdhulî (7e H) nous a demandé de chercher à savoir si l’image observée face à nous restait stable ou non, une fois les yeux fermés. En conclusion, le kashf khayâlî était confirmé, selon lui, lorsque l’image persistait [20]. Le voile qui couvre ces mukâshafât, est désigné par le terme soufi « mawt » (mort) ; la mort rouge indique la mort de la nafs, alors que la mort blanche est celle qui illumine le bâtin (ésotérisme) et blanchit la face du cœur. La mort verte représente le port du vêtement rapiécé (muraqqa’a) et enfin, la mort noire permet de supporter le mal que font les gens : c’est l’anéantissement en Allâh [21].
- al-Tajalliyât (Les émanations) :
Durant l’occultation de ses perceptions existentielles (sûra kawniyya), le retraitant perçoit les formes des Noms divins (asmâ ilâhiyya) et les Qualités seigneuriales (nu’ût rabbâniyya), précise Jîlânî [22]. Le tajallî est un terme mystique désignant une épiphanie, une émanation de la lumière intérieure, un dévoilement des secrets divins et une illumination du cœur du dévot [23]. Les soufis nous parlent souvent de satr wa tajjalî (voilement et émanation) ; le satr survient lorsque l’humanité (bashariyya) devient le voile qui sépare le retraitant de la contemplation de Dieu (mushâhada), alors que le tajjalî indique le soulèvement de ce voile. À cet effet, Qushayrî (5e H) disait : « Le commun des gens (‘awâm) est le voile qui couvre le satr alors que les gens initiés (khawâs) sont la durabilité du tajjalî ». Le satr constitue une punition pour les gens du commun (‘âma) alors qu’il demeure une clémence (rahma) pour la khâsa [24]. Quant à Ibn ’Arabî, il disait que tajallî est tout ce qui se dévoile aux cœurs comme lumières du monde des Mystères (anwâr al-ghuyûb) [25].
D’autre part, on trouve dans le manuscrit Risâla fî l-khalwa, d’autres informations relatées sur la formule « lâ ilâha illâ Llâh » qui tient une place centrale dans le dhikr des soufis durant la khalwa ; elle a le mérite de refléter beaucoup de lumière dans le miroir du dhâkir, ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres formules de dhikr. Grâce à elle, son prononçant n’éprouverait aucun sentiment de solitude (wahsha), ni dans cette vie d’ici-bas (dunyâ) ni dans l’au-delà (âkhira), comme cela est rapporté dans les ahâdîth [26] (traditions prophétiques). A ce sujet, on trouve que le grand soufi algérien Tâlib al-Twâtî (12e H) récitait d’une façon permanente des awrâd (litanies), plus précisément le wird médité par la récitation 70 000 fois de la phrase suivante : « Il n’y a de divinité que Dieu et Muhammad est son Envoyé ». Dès l’aube, il sortait pour se mettre en khalwa jusqu’à ce qu’il finisse totalement son wird. De nombreux lettrés ont appris le wird de la Nâsiriyya à travers Twâtî [27]. Sa bibliothèque était celle d’un homme de Science, très riche de livres sur le tasawwuf.
Les soufis jugent que lorsque la nafs passe de la perception externe à interne, les sens s’affaiblissent tandis que l’esprit se fortifie, prend le dessus et se renouvelle. D’autre part, la pratique du dhikr est un moyen efficace pour faciliter ce processus. « Les soufis estiment qu’à force de recueillement intérieur, l’homme peut s’effacer devant la bonté céleste. Ainsi, entièrement dégagé de l’emprise matérielle, il s’élève spirituellement vers le divin et graduellement parvient à l’absorption de son être dans l’existence de l’Être, la seule réelle » [28]. Cette « ascension » est décrite dans ce manuscrit. Elle décrit la mort selon les quatre couleurs : mort blanche (la faim : jû’), la mort rouge (contredire le hawâ et la nafs), la mort noire (supporter le tort des gens) et la mort verte (poser sur le vêtement des morceaux rapiécés les uns sur les autres). La nafs contient sept voiles célestes (samâwiyya) et sept voiles terrestres (ardiyya), au fur et à mesure que l’homme enterre sa nafs plus profondément dans la terre, il verra parallèlement son cœur s’élever dans le ciel et s’il finit par l’enterrer complètement dans la terre, le cœur atteindra le Trône (‘Arsh)
[29].
Dans son livre, Jîlânî informe ses lecteurs que les premiers soufis n’avaient choisi la khalwa comme instrument de développement spirituel que dans le souci exclusif de suivre leur Prophète Muhammad lorsqu’il s’est isolé dans la grotte de Hirâ. C’est dans le refuge de cette grotte que le Prophète aimait réfléchir au mystère de l’Univers, parce qu’il y sentait une force invisible restée cachée pour lui [30]. Sa femme Khadîja Bint Khuwaylid (-1e H) a apporté son grand soutien par ses encouragements à cet isolement périodique.La frayeur de l’apparition surnaturelle de l’ange Gabriel (Jibrîl) lors de la Révélation avait en effet fait douter Muhammad de ses facultés mentales. Dès que l’heure de la Révélation s’est approchée, le Prophète s’est isolé pour purifier son bâtin (intériorité), et se préparer à recevoir le Message divin.Les disciples contemporains le font de la même manière, dans l’idée de recevoir les Secrets divins. C’est encore une similitude qui est restée fidèle à la source. Il s’agit de pratiquer la khalwa dans le but de purifier (tathîr) son âme.
C’est encore une similitude qui est restée fidèle à la source.Il s’agit de pratiquer la khalwa dans le but de purifier (tathîr) son âme.
Conclusion :
Au cours de notre recherche sur le thème de la « khalwa », nous avons rencontré des termes tels que « ru’ya (vision), munâjât (conversion intime), kashf (dévoilement), etc. », faisant toujours partie du vocabulaire utilisé dans le processus de la khalwa pratiqué actuellement. Ce sont quasiment les mêmes étapes et les mêmes scènes observées qui nous ont permis de mesurer l’impact et le rayonnement de la tradition selon laquelle la retraite spirituelle dans l’Islam est née avec le Prophète et est restée comme un athar, suivi et pratiqué par l’ensemble des cheminants dans le soufisme jusqu’à nos jours. Les retraites du Prophète se sont déroulées durant le mois de Ramadan, qui est resté le mois sacré de la retraite spirituelle (i’tikâf), du jeûne, de la prière et de la dévotion, jusqu’à l’heure actuelle. Pendant ce mois sacré, Muhammad se retirait dans la grotte pour penser à Dieu et méditer les livres révélés. Il s’agit du mois de la conversion durant lequel la révélation lui a été donnée. Le Ramadan devient donc le mois consacré à vénérer le Coran et à le réciter publiquement ainsi qu’à répandre ses enseignements. Tous les musulmans reconnaissent la place exceptionnelle qu’occupe le Coran durant ce mois sacré.
La littérature soufie semble en général peu loquace sur le sujet de la khalwa. Nous n’avons trouvé que quelques œuvres qui ont consacré de rares pages aux thèmes étroitement liés au sujet de la khalwa, de la ‘uzla ou de l’i’tikâf, parfois sous la forme d’un petit chapitre. Nous ressentons qu’actuellement le même problème demeure toujours, les études contemporaines ne donnant qu’un aperçu partiel de ce qu’est (ou devrait-être…) la khalwa. Ces études se concentrent essentiellement sur les pratiques en vigueur dans la branche de la khalwâtiyya, et très peu sur l’origine même de la khalwa et de ses réelles pratiques et bienfaits. C’est la raison pour laquelle nous invitons tous les spécialistes du soufisme à aller chercher dans nos archives afin d’exploiter le riche trésor que recèlent nos banques numériques. L’étude des manuscrits encore méconnus de nos jours reste le moyen le plus sûr pour développer notre savoir pour mieux le transmettre aux nouvelles générations. Un grand nombre de manuscrits sur la mystique et les sciences religieuses sont bien conservés dans les bibliothèques des zâwiya(s) (confréries musulmanes), à travers le monde arabo-musulman, mais restent peu ou pas du tout exploités ; il faut juste du courage et de la volonté pour aller frapper à ces portes.
Notes:
[1] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., p. 6 et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., p. 59.
[2] L’auteur ne précise pas la quatrième catégorie.
[3] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., pp. 6-7 et dans AL-JÎLÂNÎ, Al- Tarîq ilâ-Llâh, op. cit., voir p. 59.
[4] Les Bédouins arabes antéislamiques, comme les autres peuples, attribuaient aux animaux les qualités et les défauts des hommes, ainsi que le prouvent nombre de proverbes antérieurs à l’Islam. Ces proverbes se présentent presque tous sous la forme d’un élatif suivi du nom de l’animal.Par exemple, on prête de la bêtise à l’outarde (ahhmaq min hubârâ), de l’audace au lion (jur’a min layth), etc. L’index de ces proverbes se trouve dans K. al–Hayawân de Jâhiz (3e H).CH. Pellat. ‘’Hayawân’’.
Encyclopédie de l’Islam. Brill Online, 2014.
[5] Ibn ‘Arabî, Kitâb istilâh al-sûfiyya, op. cit.,p. 17.
[6] Muhyi l-Dîn Ibn‘Arabî, Majmû’at rasâ’il Ibn ‘Arabî, t 1, édité et annoté underline ;”>h, Beyrouth, Dâr al-mahajja l-baydâ, 2000, p. 274.
[7] Muhyi l-Dîn Ibn‘Arabî, al-Futûhât al-makkiyya, t 1, édité et annoté par Ahmad Shams al-Dîn, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1999, p. 54.
[8] Pour expliquer que veut dire le wârid, Mâ’ al-‘Aynayn (14e H) nous a d’abord précisé ce que veut dire le wird, c’est tout ce qui provient d’un adorateur comme mu’âmala (comportement) et ‘ubûdiyya (servitude) envers son Adoré (Dieu). Mais la définition spéciale qu’il propose c’est que le wârid est ce qui provient de l’Adoré envers Son adorateur sous la forme de karâma (faveur divine) et de lutf (tendresse). Mustafâ Mâ’ al-‘Aynayn Al-Shanqîtî, al-Îdâh li-bacd al-istilâh, présenté par Muhammad al-Darîf, Rabat, Mu’assasat al-shaykh Murabbîh Rabuh, 2001, p. 5.
[9] Ibn ‘Atâ’ Allâh Al-Iskandarî, Miftâh al-falâh wa misbâh al-arwâh, présenté par Muhammad ‘Abd al-Salâm Ibrâhîm, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 2005, p. 39.
[10] Abî l-Mawâhib Al-Sha’rânî, al-Tabaqât al-kubrâ, t 2, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 2007, p. 413.
[11] قُلْ هَلْ أُنَبِّئُكُمْ بِشَرٍّ مِنْ ذَلِكَ مَثُوبَةً عِنْدَ اللَّهِ مَنْ لَعَنَهُ اللَّهُ وَغَضِبَ عَلَيْهِ وَجَعَلَ مِنْهُمُ الْقِرَدَةَ وَالْخَنَازِيرَ وَعَبَدَ الطَّاغُوتَ أُولَئِكَ شَرٌّ مَكَانًا وَأَضَلُّ عَنْ سَوَاءِ السَّبِيلِ (60)
[12] وَلَقَدْ عَلِمْتُمُ الَّذِينَ اعْتَدَوْا مِنْكُمْ فِي السَّبْتِ فَقُلْنَا لَهُمْ كُونُوا قِرَدَةً خَاسِئِينَ (65)
[13] فَلَمَّا عَتَوْا عَنْ مَا نُهُوا عَنْهُ قُلْنَا لَهُمْ كُونُوا قِرَدَةً خَاسِئِينَ (166)
[14] Ibn ‘Arabî disait que la contemplation (mushâhada) est relative à la faculté de voir toute chose à la lumière du tawhîd. C’est également la faculté de voir Dieu en toute chose, mais c’est également la certitude la plus profonde qui ne laisse la place à aucun doute. Ibn ‘Arabî, Kitâb istilâh al-sûfiyya, op. cit., p. 14.
[15] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., voir p. 7 sq et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., voir p. 61 sq.
[16] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., pp. 7-8 et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., p. 63.
[17] Éric Gœffroy, Initiation au soufisme, Paris, Fayard, 2003, p. 64.
[18] Abû ‘Abd al-Rahmân Al-Sulamî, Sulûk al-‘ârifîn, présenté et traduit de l’arabe par Nadia Zeidan, Le Caire, Dâr al-kutub al-‘arabiyya, 1974, p. 135.
[19] Al-Sha’rânî, al-Tabaqât al-kubrâ, op. cit., p. 249.
[20] Ibid., 497.
[21] Suhayb Roumi, al-Tasawwuf al-islâmî, Beyrouth, Bissan, 2007, p. 160.
[22] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., pp. 8-9 et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., pp. 63-64.
[23] Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, Paris, Bordas, 1991, p. 385.
[24] Al-Shanqîtî, op. cit., p. 5.
[25] Ibn’Arabî, Kitâb istilâh al-sûfiyya, op. cit., p. 14.
[26] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., p. 3 et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., pp. 50-51.
[27] Rahal Boubrik, « Modèles de religiosité dans l’Ouest saharien XVII-XIX siècles », dans Jean d’Arbaumont, Pierre Boilley, Christophe-M Brenneisen, Jean Fabre, François Soleilhavoup, dir., L’Ouest saharien : Etat des lieux et matériaux de recherche, coll. Cahiers d’études pluridisciplinaires, vol. 1, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 89.
[28] David Vigneron et Roger Nguema-Obame, Lettres, arts, sciences humaines et sociales, coll. Revue Africaine, n° 6, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 106.
[29] Auteur inconnu, Risâla fî l-khalwa, op. cit., p. 6 et dans Al-Jîlânî, al-Tarîq ilâ Llâh, op. cit., p. 59.
[30] À ce propos, J. Chabbi avance la remarque interculturelle suivante : « La tradition post coranique fait de cette ‘‘retraite montagnarde’’ le lieu privilégié et primordial de la Révélation et aussi le lieu de la première rencontre de Muhammad avec Gabriel. On osera dire qu’il s’agit d’une optique qui s’est probablement constituée après coup et avec des effets de duplication et de miroir : Moïse gravit seul la montagne de Dieu, Jésus se retire au désert ; alors il faut bien que Muhammad ait à raconter une histoire de même sorte. Il s’isole des siens dans une grotte, et c’est là que lui vient la révélation ». Jacqueline Chabbi, Le Coran décrypté : Figures bibliques en Arabie, Paris, Fayard, 2008, p. 75.