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2 – Un univers spirituel à comprendre
Le phénomène religieux, la perception de l’objet religieux, est un phénomène premier (un Urphaenomen), comme la perception d’un son ou d’une couleur. Un phénomène premier n’est pas ce que l’on explique par autre chose, quelque chose que l’on fait dériver d’autre chose. Il est ornée initiale, le principe d’explication, ce qui explique beaucoup d’autres choses. L’infirmité de nos philosophies dites positives ou de nos disciplines para philosophiques, est de faire dériver le phénomène religieux d’autre chose, de l’expliquer par des circonstances politiques, sociales, ethniques, économiques, géographiques etc., et par là de manquer ce qui est en propre et irréductiblement l’objet religieux. Car on peut accumuler toutes les circonstances que l’on voudra, cela ne produira jamais le phénomène premier, le phénomène religieux déterminé, telle et telle perception de l’objet religieux, s’il n’y a pas tout d’abord le fait premier de la conscience qui perçoit cet objet, se le montre à elle-même. Si une religion existe, la première et dernière raison du phénomène, c’est l’existence de ceux qui la professent. Il serait inopérant de leur dire : « Disparaissez donc, vous êtes expliqués. » Car les récurrences de la res religiosa sont libres et imprévisibles : l’Esprit souffle où il veut. La perception de l’objet religieux est à soi-même sa raison suffisante.
Montrer le sens, la portée noétique ou cognitive de ce que la conscience se montre à elle-même dans chacun de ses actes et chacune de ses intentions, c’est, on le sait, ce qui s’appelle phénoménologie. En revanche, on s’est donné beaucoup de mal pour expliquer, ou plutôt «reconstruire », le phénomène religieux shî’ite, par des considérations familières à notre conception du monde moderne et occidental, mais parfaitement étrangères au phénomène religieux comme tel. Il y aura occasion de le redire ici : on a un peu trop oublié le phénomène religieux premier, oublié que l’homme configure son monde et son milieu d’après le pressentiment, même obscur, des origines et des fins de son être, et on a admis comme une évidence le processus inverse. C’est le phénomène premier qui est principe d’explication, mais comment se montrerait-il à quiconque n’a pas le sens de la vue ?
Et ce qu’il s’agit de voir, c’est justement quelque chose qui échappe aux explications, lesquelles en accumulant toutes sortes d’éléments connus par ailleurs, « reconstruisent » un objet religieux d’ores et déjà donné, mais qu’aucune analyse ni reconstruction ne nous donneraient, s’il n’y avait eu d’abord une conscience pour le voir. Il s’agit de voir, à notre tour, ce que les philosophes et les spirituels ont vu, lorsqu’ils posaient et discutaient leurs problèmes. Or, comment le voir, si nous ne sommes pas à notre tour des philosophes et des spirituels, si nous ne savons même plus quel est le mode de vision propre à la philosophie, et si nous renonçons à son droit imprescriptible à travers les temps? C’est cet abandon que nous commettons, lorsque nous confondons la philosophie avec une sociologie de la philosophie.
A la source de ce renoncement et de cette confusion, il y a, tacite ou avouée, l’option agnostique : on professe, tacitement ou non, que l’objet de l’enquête métaphysique n’existe pas, qu’il fut une illusion d’époques « dépassées », et que ce qui nous intéresse, nous scientifiquement, c’est le comportement « social » ou les circonstances sociopolitiques à même de nous « expliquer » comment l’humanité put être si longtemps à la poursuite de la chimère métaphysique et religieuse.
Mais est-ce tellement scientifique de prétendre expliquer à ceux qui voient, les raisons pour lesquelles ils voient ce que précisément l’on est soi-même incapable de voir ? Qu’en peut-on savoir, puisqu’on ne voit pas l’objet qu’ils voient ? Dès lors, cet objet se confond pour nous avec l’inexistant. Comment expliquer ce rien par quelque chose d’autre, – l’objet métaphysique par les circonstances sociales ? Appliqué en détail aux structures techniques des métaphysiques (le plus souvent ignorées de ceux qui les rejettent a priori), ce genre d’explication peut aboutir à des bévues assez comiques. Cela, malheureusement, n’empêche pas les ravages.
Parce que l’objet religieux a été chez nous socialisé par une sorte de fureur d’ « incarnation », pour employer un mot théologique passé dans la mode profane dé nos jours, parce que nous nous attachons de préférence aux solutions historiques qui ont été données d’un problème plutôt que d’atteindre celui-ci en son essence, parce que nous préférons réduire l’objet religieux à quelque chose d’autre que lui-même plutôt que de le laisser s’expliquer lui-même, pour toutes ces raisons, et quelques autres encore, nous avons, par exemple, oublié que le phénomène Islam était d’abord et en son essence un phénomène religieux, ayant à sa source une inspiration prophétique, et que son Prophète avait particulièrement revécu les antécédents scripturaires de ses Révélations.
On a préféré l’expliquer par des considérations raciales, par exemple, en identifiant le concept Islam avec le concept ethnique arabe, en oubliant l’étendue et la ferveur du monde islamique non-arabe, et en oubliant qu’aucune ambition politique ne saurait conférer à un concept ethnique l’œcuménicité d’un concept religieux. Nous nous sommes efforcés, ici et ailleurs, de briser cette équivoque, en disant pourquoi il nous fallait parler de « philosophie islamique », non pas de « philosophie arabe ».
Et nous pensons par là même sauvegarder l’authentique grandeur du concept arabe en la considérant par rapport au Prophète arabe, c’est-à-dire comme une grandeur prophétique, qui domine de très haut les petites ambitions politiques et conquérantes des hommes, parce qu’elle est une chose divine dont ils ne peuvent faire leur propriété.
Nous pouvons alors constater, sans réticence, que l’histoire de la philosophie et de la spiritualité islamique abonde en noms de personnalités iraniennes, non pas seulement au cours des premiers siècles, mais du XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Cette histoire est constituée par des monuments qui ne sont pas seulement écrits en arabe classique, mais en langue persane. Ce que configure cette participation iranienne à la philosophie et à la spiritualité islamiques, c’est précisément un univers spirituel ayant son style propre, celui de l’Islam iranien, celui du shî’isme, celui de l’lshrâq, celui de son soufisme. Mais nous resterons fidèle à notre conception de l’objet religieux, en refusant ici encore toute « explication » ethnique qui prétendrait en déduire la genèse par l’action causale de mystérieux « gènes raciaux ».
L’explication serait aussi vulnérable que celle qui prétendrait expliquer la forme du sunnisme par la « race » arabe. Quelle signification tout cela aurait-il finalement pour l’humanité spirituelle comme telle?
Certes, ce genre d’explication resterait dans les limites de l’agnosticisme foncier que nous dénoncions il y a quelques lignes, mais totalement étranger à ce qu’il prétendrait expliquer, pour autant qu’il est totalement étranger aux faits de transcendance, En voici une illustration très simple. Il nous semble tout naturel en français, de désigner une région particulière de l’Islam par l’adjonction d’un qualificatif national. Le titre du présent livre porte les mots d’ « Islam iranien ». Nous parlerons encore ici de « shî ‘isme iranien ». Cette thématisassions va de soi pour nous; en fait, traduite littéralement en persan, elle serait difficilement supportable, parce que la qualification ainsi donnée, comporte une sorte de sécularisation du concept religieux, sacral. Bien souvent nos amis iraniens nous l’ont fait observer : on ne pourrait traduire littéralement ces expressions, sans qu’il en résultât quelque tournure insolite, choquante. N’est-ce pas à dire que nos évidences et préoccupations positives sont étrangères à l’esprit traditionnel ? Alors ne faussons-nous pas quelque chose d’essentiel?
C’est pourquoi, plutôt que de construire une explication théorique au moyen de causes extérieures, mieux vaut nous orienter sur la structure des faits spirituels comme tels, et tels qu’ils se proposent à nous : découvrir ce que le phénomène religieux nous montre, ce que ce phénomène nous explique. Et ce qu’il nous montre tout d’abord, dans le cas présent, c’est un extraordinaire, un total dévouement de l’âme iranienne à l’idée shî’ite comme à l’idée qu’elle a faite sienne par excellence. Mais, d’une chose à laquelle on apporte un dévouement total, il est beaucoup plus vrai de dire qu’elle est une chose qui vous tient en son pouvoir, que d’en parler comme d’une chose qui serait votre propriété.
Il est beaucoup plus vrai de dire que c’est la réalité spirituelle qui nous contient et nous enveloppe, que de dire que c est nous qui la contenons. Si, à cette lumière inversée, nous savons discerner la vraie nature du rapport d’intériorité, voici que le pacte noué entre le shî’isme et l’Iran prend un sens hors de pair, une validité inaliénable.
Il nous faudra alors comprendre ce à quoi se sont voués et dévoués philosophes et spirituels de l’Iran, la cause spirituelle qu’ils avaient faite leur, dès avant même le message prophétique de l’Islam, et qui peut nous éclairer sur la manière dont ils ont reçu et compris celui-ci. Le shî’isme oriente essentiellement la méditation philosophique sur le fait du message prophétique.
Cette « philosophie prophétique » implique une anthropologie dont les cas exemplaires sont médités dans la personne du Prophète et dans celles des Douze Imâms. L’lshrâq est la résurgence de la philosophie de la Lumière de l’ancienne Perse. Les grands traits spirituels caractéristiques de l’Iran islamique qui ressortiront au cours du présent livre, seront ceux du shî’isme et de l’Ishrâq. Dans la mesure même où tout cela a été peu connu jusqu’ici, tout cela nous indique aussi ce que nous avons encore à apprendre de nos philosophes et spirituels iraniens, et par là même les tâches que nous pourrons avoir à remplir, aujourd’hui et demain, avec eux et pour eux.
On vient de prononcer le mot de « philosophie prophétique ».
Il est remarquable que la langue persane dispose de mots de pure racine iranienne pour désigner la mission prophétique et la personne du prophète (vakhshvar, vakhshûr, payghâmbor, en arabe nahî et rasûl), parce que ces mots sont déjà représentés dans l’Avesta, le livre saint de la Perse zoroastrienne. Par VIshrâq de Sohrawardî, le message prophétique de l’ancien Iran se trouve intégré à la lignée des grands prophètes sémitiques.
Déjà la gnose ismaélienne avait fait de Zarathoustra/Zoroastre un « dignitaire » de la période de Moïse. On dira peut-être que cette intégration ne ressortit pas à la critique historique. En revanche, elle constitue un de ces faits spirituels qui nous expliquent, eux, beaucoup de choses, à commencer par ce qui est en cause ici : la queste du Vrai Prophète, la poursuite d’une «philosophie prophétique », comme stylisation constante de la conscience iranienne.
Aussi bien, lorsque l’adolescent iranien étudie à l’école le passé de l’Iran préislamique, il ne rencontre pas une période, d’ignorance, de ténèbres et d’ « idolâtrie » (la jâhilîya). Il se familiarise avec les noms et les gestes des héros de légende du Shâh-Nâmeh de Ferdawsî (dont nous rencontrerons quelques-uns dans les pages qui vont venir, cf. infra livre II). Il apprend à connaître le nom d’un prophète : ce Zarathoustra dont, après les Grecs, nous avons fait Zoroastre, et dont le nom est passé dans la littérature philosophique de l’Occident avec Kleuker, Nietzsche, G. T. Fechner. C’est le plus ancien nom que nous voyons apparaître à l’horizon du passé religieux iranien (que ce soit au Xe ou au VIIIe siècle avant notre ère). Un « prophète », c’est-àdire le messager d’une Révélation divine auprès des hommes.
Ainsi a-t-il été compris traditionnellement par sa communauté, de même qu’il l’a été en Islam par l’école des Ishrâqîyûn issue de Sohrawardî, et c’est une conception traditionnelle dont les droits ne sauraient être prescrits par les interprétations nouvelles qui ont été données de nos jours à l’aide de l’ethnologie.
Cependant, il ne sera pas question, dans le présent livre, de ce passé prestigieux. Nous avons essayé antérieurement, dans un autre livre, de montrer certaines constantes de la vision iranienne du monde, vision opérant la « transfiguration » de la Terre et du paysage terrestre. La pensée religieuse de l’Iran fut, dès l’origine, essentiellement guidée par la claire prévision de l’eschatologie qui dénouera le drame cosmique, inauguré par l’invasion des puissances ahrimaniennes. Elle fut la première à formuler, et resta dans le souci constant de formuler ce qu’il convient d’appeler une « philosophie de la Résurrection ». Sur ces constantes « de l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite s nous ne reviendrons pas ici.
Ce que nous aurons à faire, c’est de choisir quelques pages dans l’énorme corpus des hadîth (traditions) qui nous conservent l’enseignement donné par les Imâms du shî’isme à leurs disciples immédiats. Il s’agit toujours d’un haut enseignement religieux et spirituel, étranger aux revendications politiques. Lorsque, pour des raisons restées mystérieuses, le khalife ‘abbâsside Ma’mûn (218/833), fils Hârûn al-Rashîd, décida de désigner le VIIIe linâm, l’Imam ‘Alî Rezâ (203/818) comme son successeur, il n’y eut pas seulement les protestations véhémentes de la part des Hâshimites hostiles; l’Imâm dut se faire violence à lui-même pour accepter un choix qu’il n’avait pas les moyens de refuser. Mais, un an plus tard, sa mort prématurée, qui ne fut pas un hasard, brisa le projet aberrant.
Aussi bien, comme nous le verrons, lorsque l’on parle, fût-ce avec bonne volonté, de la « légitimité » des Imâms (les « ‘Âlides »), on sécularise la question et on méconnaît totalement ce qui est en cause. La dynastie close, formée par le groupe des douze Imâms dont le dernier restera, jusqu’à la fin de notre Aiôn, invisiblement présent à ce monde, n’est pas en compétition ni rivalité avec une dynastie politique de ce monde, parce qu’il n’y a pas entre elles de champ commun, pas plus, pourrions nous dire, que la dynastie secrète des Gardiens du Graal, dans nos traditions occidentales, n’est en concurrence avec une dynastie politique quelconque, ni même – parce qu’elle la surplombe avec la hiérarchie officielle de l’Église et sa succession apostolique.
C’est que, dans le cas des Imâms comme dans le cas des Gardiens du Graal, il s’agit d’un autre monde, un monde qui échappe aux tentatives de socialisation et de matérialisation historique.
Un propos que les Imâms du shî’isme ont répété l’un après l’autre, déclare : « Notre cause est difficile, lourde à assumer; seuls le peuvent un Ange du plus haut rang, un prophète envoyé (un nabî morsaî) ou un croyant fidèle dont Dieu a éprouvé le cœur pour la foi. » C’est un hadîth sur lequel nous aurons à revenir ici, de même que nous aurons à revenir sur ce propos du VIe Imâm, Ja’far al-Sâdiq (ob. 148/765) : « L’Islam a commencé expatrié et redeviendra expatrié comme il était au commencement.
Bienheureux les expatriés d’entre la communauté de Mohammad! » C’est-à-dire ceux-là qui s’expatrient de la masse pour suivre le culte spirituel de l’Imâm. Il y a ceux qui répondent par un acquiescement à ce défi. Leur réponse n’a d’autre explication que leur être même, un choix pré existentiel, car les raisons dernières et suffisantes en échappent à nos déductions. Cet acquiescement, c’est cela le fait shî’ite, et c’est le message secret de l’Islam tel que l’ont compris tant de spirituels iraniens, de siècle en siècle, et auquel ils se sont dévoués avec une piété passionnée.