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Zaynab, qui s’était enveloppée de la tête aux pieds dans une grand-voile, était montée sur une colline, tout près du campement. Elle avait assisté, soulevée d’enthousiasme, aux exploits de son frère, à la débandade de toute une armée causée par un seul homme.
L’Imam al-Hussein, son frère, était bien le digne fils de l’Imam Ali. Mais le vent s’était levé, soulevant une fine poussière de sable rouge. Maintenant Zaynab ne distinguait plus très bien ce qui se passait. Elle écarquillait les yeux, essayant d’apercevoir quelque chose.Dans l’embrasement du ciel d’où le soleil venait de se retirer, elle vit soudain Zul Janaha le fidèle cheval de l’Imam (Psl) revenir seul, couvert de sang, Zaynab (P) comprit ce qui s’est passé et accourut vers le lieu du crime et fut mise au-devant du spectacle insoutenable du corps décapité de son frère baignant dans son propre sang. Elle rassembla ses dernières énergies et souleva le corps décapité de l’Imam Hussein (psl), elle s’écria » Seigneur ! Accepte de nous ce sacrifice ! »
Al Chimr et ses hommes, après s’être livré à un spectacle macabre, en piétinant sous les sabots de leurs chevaux les corps mutilés des martyrs, ils lancèrent l’assaut sur le camp de l’Imam Al Hussein (Psl) en mettant le feu aux tentes où il ne restait que les femmes, les enfants et l’Imam Ali Zayn Abidine (Psl) terrassé pas la maladie.
Les tambours de guerre retentirent dans la plaine de Karbala. L’armée omayyade annonçait sa victoire…
La clarté de la lune ne parvenait guère à traverser l’épais manteau de poussière qui avait envahi le ciel. La nuit était sombre sur la plaine de Karbala, où les tentes du campement de l’Imam al-Hussein achevaient de brûler.
Peu après le Martyre de l’Imam, la horde sans âme s’était ruée à l’assaut. Tout avait été pillé, dévasté. La Famille du Prophète n’accumulait pas les parures ni les objets de valeur, et les pillards avaient été frustrés du butin qu’ils escomptaient. Ils avaient quand même arraché aux veuves et aux orphelins tout ce qu’ils avaient pu leur prendre, et s’étaient vengés de leur déception en les frappant, en les fouettant…
Avant de quitter le campement qu’ils avaient mis à sac, les suppôts de Yazid avaient incendié les tentes. Zaynab, à qui l’Imam al-Hussein avait confié les survivants du massacre, s’était précipitée vers Ali Zayn Abidine, qui gisait sans connaissance.
Elle l’avait secoué, réveillé, lui avait demandé:
– O fils de mon frère ! O notre Imam ! Les monstres ont mis le feu au campement. Devons-nous rester dans les tentes, et abréger ainsi nos souffrances, éviter les outrages, les humiliations? Ou devons-nous sortir pendant qu’il est encore temps ?
Rassemblant ses faibles forces, Ali Zayn Abidine s’était redressé:
– Ma tante, c’est notre devoir religieux de faire tout notre possible pour rester en vie, aussi pénible et peu désirable que puisse être ce qui nous attend!
Maintenant, ce qui restait de la Famille du Prophète s’était regroupé dans les débris d’une tente à moitié épargnée par l’incendie. Zaynab avait rassemblé les enfants, environ une quarantaine, et les femmes les comptaient, les identifiaient un par un pour s’assurer qu’aucun ne manquait.
Quelle ne fut pas la consternation de Zaynab, de Rabab, et de tous les survivants en s’apercevant que Soukeina n’était pas là ! Laissant le campement à la garde des autres, Zaynab et Kolsoum se lancèrent à sa recherche. Longtemps elles errèrent dans la nuit sombre, marchant au hasard dans le désert. Elles appelaient:
– Soukeina! Où es-tu? Soukeina! Réponds!
Mais seule la plainte du vent répondait à leurs appels.
En désespoir de. cause, Zaynab se dirigea vers l’endroit où reposait le corps de l’Imam al-Hussein. Avant même de l’atteindre, elle cria, des sanglots dans la voix:
– al-Hussein, mon frère! Je ne parviens pas à retrouver Soukeina! al-Hussein, mon frère! J’ai perdu ta fille chérie, que tu m’avais confiée! al-Hussein, mon frère! Dis-moi où elle est!
Comme Zaynab arrivait près du corps sans vie de l’Imam, la lune parut dans le ciel. A travers une déchirure dans les nuages de poussière, elle éclaira le champ de bataille endormi. Zaynab vit alors sa nièce. Soukeina dormait, serrée contre son père, le visage reposant sur sa poitrine.
– Soukeina! Soukeina! Réveille-toi ma chérie! Soukeina! Soukeina! Que fais-tu ici?
Soukeina leva vers sa tante son visage encore plein de sommeil. Sous la sombre clarté des rayons de lune filtrés par les nuages de sable, Zaynab vit les yeux de sa nièce. On aurait dit que tout son cœur, toute sa vie avaient été emportés par les larmes que l’enfant avait versées. Zaynab éloigna Soukeina du cadavre décapité de son père. La petite fille lui raconta comment, après la ruée sauvage des hommes de main du tyran, elle n’avait eu qu’une pensée: retrouver son père, pour lui confier sa peine.
Elle avait marché droit devant elle, en l’appelant. Elle s’était laissé guider par le murmure du vent. Quand elle avait ainsi découvert le corps de l’Imam al-Hussein, elle lui avait tout raconté. Tout! Tout ce qu’elle avait souffert après son départ. Et tout ce que chacun avait enduré. Et comment un soudard lui avait arraché les boucles d’oreille que son père lui avait offertes, déchirant le lobe des oreilles, couvrant son visage de sang. Et comment cette brute inhumaine, rendue furieuse par les pleurs de l’enfant l’avait fouettée, fouettée, fouettée!
A la fin, épuisée, Soukeina avait posé sa tête sur la poitrine de son père, comme elle l’avait fait tant de fois par le passé. Elle s’était endormie.
Zaynab montait la garde. Tout le monde dormait dans ce qui restait de la tente à demi consumée. Les femmes formaient un cercle. Les enfants étaient au centre. Soudain, des pas! Des silhouettes, éclairées par des torches, approchaient.
– Que voulez-vous encore? Vos gens nous ont déjà tout volé. Laissez-nous! Laissez les pauvres enfants prendre un peu de repos. Si vous tenez vraiment à vous assurer qu’il n’y a plus rien à dérober, revenez demain! Il n’y a ici que des femmes et des enfants sans défense… Nous n’allons pas disparaître pendant la nuit !
Une voix féminine répondit, d’un ton poli et plein de respect:
– Madame, nous ne venons pas ici pour vous voler quoi que ce soit. Nous savons bien que ce que vous venez de dire est vrai. Nous apportons un peu de nourriture, et de l’eau, pour les enfants et les femmes endeuillées de votre camp.
Le petit groupe approcha encore. Zaynab put distinguer une femme, précédant quelques soldats portant des récipients pleins d’eau et de grands paniers remplis de pain. Zaynab demanda à la visiteuse qui elle était:
– Madame, je suis la veuve de Hor. Mon époux était général dans l’armée de Yazid. Il commandait un millier d’hommes. Hier il est venu rejoindre votre frère et a combattu à ses côtés. Quelques-uns des soldats d’Omar fils de Saad ont craint que vous ne mourriez de faim et de soif, et de ne pouvoir vous conduire jusqu’à Yazid, comme celui-ci leur a ordonné de le faire. Ils m’ont demandé de les accompagner pour vous apporter à boire et à manger.
– O ma sœur, répondit Zaynab. Nous avons tous une dette envers votre mari, qui a donné sa précieuse vie pour défendre al-Hussein. Il était notre hôte, et nous n’avons rien pu lui offrir, ni à boire, ni à manger !
Zaynab se souvint de la promesse qu’elle avait faite à son frère, avant qu’il ne les quitte. Elle prit un broc d’eau et alla réveiller Soukeina.
– Soukeina, mon enfant! Il y a enfin de l’eau pour toi. Lève-toi! Bois! Rafraîchis tes lèvres et ta gorge desséchées!
– Ma tante, toi aussi tu es restée sans rien boire depuis des jours. Pourquoi toi-même ne bois tu pas
– Bois, Soukeina! Ni ton père, ni ton oncle Abbas, ni ton frère Akbar n’ont encore bu l’eau fraîche des sources du Paradis! Ils attendent que tu aies d’abord étanché ta soif. Bois, Soukeina, pour qu’eux aussi puissent boire l’eau de Kawsar !