Les liens entre la gnose et la loi islamique
Introduction:
Qu’est-ce que la gnose
Le ‘Irfân ou la gnose mystique est une des voies de l’adoration, une voie fondée sur la connaissance mêlée d’amour, plutôt que sur l’espérance et la peur. C’est la voie qui permet de réaliser la vérité intérieure de la religion plutôt que de se contenter de sa forme extérieure et de la pensée rationnelle. Toute religion révélée et même celles qui apparaissent sous la forme d’une adoration d’idoles, comptent des croyants qui empruntent le sentier de la gnose. Les religions polythéistes, ainsi que le judaïsme, le christianisme, le mazdéisme et l’islam, toutes comptent des croyants qui sont des gnostiques.
En d’autres termes, l’Irfane est une manière de connaitre Dieu par voie de perception interne de l’âme à laquelle on accède grâce à la purification de l’âme et la sérénité intérieure.
En tant que science et culture, le ‘irfân a deux aspects : pratique et théorique.
Les aspects pratiques de la gnose
Sur le plan pratique, le ‘irfân est l’attitude de l’homme et ses devoirs envers lui-même, envers l’univers et envers son Créateur. Pris dans cette approche, il ressemble à l’éthique dans le sens qu’il est une science pratique à une différence près que nous expliquerons plus loin. Cette partie de ‘irfân est appelée «La science de la conduite et du comportement »[1] et elle s’occupe de décrire le premier pas que l’aspirant au ‘irfân doit effectuer en vue d’atteindre à «l’Unicité », laquelle est le sommet quasi inaccessible de l’humanité, les différentes positions et les étapes qu’il a à traverser sur son chemin, et les états qu’il risquerait de connaître dans ces étapes. Il va de soi que l’aspirant ‘irfâni doit passer par toutes ces étapes sous la direction d’un homme parfait qui aurait traversé lui-même cette voie et connu toutes ces positions et que les ‘urafâ’ dénomment parfois «l’oiseau de Jérusalem »[2] ou «al-Khedhr », sans quoi -s’il marche tout seul et sans la guidance de cet homme parfait- il n’aboutirait qu’à l’égarement.
Il est évident qu’il y a une grande différence entre l’Unicité que le gnostique voit comme le sommet inaccessible de l’humanité et l’extrême but final auquel il aboutit dans « son cheminement et sa conduite », et celle à laquelle croient les gens du commun ou les non-initiés, ou même le philosophe qui croit que l’Être nécessaire est Un et pas plus.
En effet, l’Unicité telle que la conçoit le gnostique (‘ârif ) signifie que le seul être existant réellement est Allah – Le Très-Haut – et que toutes les autres créatures ne sont que Ses ombres (panthéisme), qu’il n’y a aucune autre existence qu’Allah, et que le ‘ârif doit emprunter et traverser cette voie pour atteindre au stade dans lequel il ne voit plus qu’Allah – Exalté soit-Il.
Ceux qui s’opposent aux gnostiques récusent ce stade de l’Unicité et la considèrent même parfois comme une sorte de mécréance et d’athéisme, alors même que les premiers le considèrent comme la vraie Unicité et que tout le reste n’est pas dépouillé de tache polythéiste.
L’approche de ce stade ne relève pas de l’esprit et de la pensée, mais c’est une affaire de cœur, de combat intérieur, de conduite, de comportement, ainsi que de purification et de rééducation de l’âme[3].
En tout état de cause, tel est le volet pratique du ‘irfân ressemblant à la science de l’éthique qui traite du comportement et de la conduite, mais dont il diffère par les points suivants :
1- Le ‘irfân traite du rapport de l’homme avec lui-même, avec l’univers et avec son Créateur, et focalise son attention sur la relation de l’homme avec Allah, tandis que tous les systèmes éthiques ne voient aucune nécessité à s’occuper de cette relation (entre la créature et le Créateur) et se contentent d’aborder les règles de la morale religieuse dans ce domaine.
2- Le cheminement et la conduite ‘irfânites sont -comme le laissent deviner ces deux termes – actifs et mouvants, contrairement à l’éthique qui est figée. En effet, le ‘irfân parle d’un point de départ, des positions et des étapes que l’aspirant ‘irfâni ou « le voyageur spirituel » doit obligatoirement plier pour atteindre à son but escompté. Le ‘irfâni voit qu’il y a une véritable voie au sens propre du mot, dont l’homme doit traverser successivement toutes les étapes et qu’il lui est impossible d’en atteindre une seconde étape avant d’avoir obligatoirement traversé l’étape précédente. Le ‘irfâni considère l’âme humaine comme un plant ou un bébé qui croît et se développe progressivement selon un processus spécifique, alors que l’éthique traite d’une série de vertus tels que la véracité, la droiture, la justice, la chasteté, la bienfaisance, l’équité, l’altruisme et d’autres hautes qualités morales qui ornent l’âme et accentuent sa beauté et sa brillance. Ainsi, l’éthique voit l’âme humaine comme une maison qu’on devrait orner avec une couche de peinture et construire avec des pierres et du bois sans qu’il y ait un ordre chronologique à suivre, dans ce sens qu’il est indifférent qu’on commence par le toit puis les murs et le contraire, ou par la façade ou l’arrière.
Le ‘irfân, par contre, considère que les éléments moraux évoluent selon un ordre dynamique, mouvant et vivant.
3- Les éléments spirituels de l’éthique sont restreints par des notions et des concepts connus, le plus souvent, alors que les éléments spirituels du ‘irfân sont plus ouverts, car dans le « le voyage spirituel » du ‘irfâni, il est question d’une série d’états d’âme et de souffrances psychologiques qu’il subit lorsqu’il traverse les différentes étapes, sans que les gens connaissent ses souffrances.
Les aspects théoriques de la gnose
A côté de ces aspects pratiques, la science de la gnose comporte une dimension théorique et conceptuelle, concernant la nature de l’univers, l’homme, Dieu et le monde. Cette partie de la gnose ressemble donc de près à la philosophie, car l’une et l’autre expliquent la nature de l’univers. La philosophie et la mystique ont chacune leurs propres problématiques et principes ; ce qui les différencie, c’est que la philosophie fonde ses arguments sur des postulats rationnels et logiques, alors que la science ésotérique, qui est la gnose, fonde ses arguments sur la vision spirituelle et l’intuition, pour ensuite énoncer ses théories sous une forme logique et discursive. Le raisonnement philosophique peut être comparé à l’étude d’un essai dans sa langue d’origine, et le raisonnement de la gnose à l’étude d’un essai traduit d’une autre langue. Ce qu’affirment les gnostiques, c’est qu’ils expriment dans le langage de la raison ce qu’ils voient avec l’œil de leur cœur et avec tout leur être.
Apparition de la gnose en Islam
Parmi les Compagnons du Prophète paix et salut sur lui et sa sainte (les livres de Ridjâl en ont mentionné environ 12.000), l’Imam Ali (paix soit sur lui) est tout particulièrement connu pour son éloquence dans l’exposition des vérités gnostiques et des étapes de la vie spirituelle. Ses paroles, recèlent un inépuisable trésor de sagesse. Parmi les œuvres qui nous sont parvenues d’autres Compagnons, on a trouvé peu de choses en rapport avec ces questions. Parmi les proches et les disciples de l’Imam Ali (paix soit sur lui). Salman al Farsi. Oways Qarani », Kuinayl Ibn Ziyad, Rashid Hadjari », Maytham Tammâr, sont cités par tous les gnostiques, après l’Imam Ali (paix soit sur lui).
Après ce groupe, d’autres apparurent, tels que Tâwus Yamani, Malik Ibn Dinar, Ibrahim Adham et Shaqiq Balkhi, considérés par le peuple comme des saints et des hommes de Dieu. Ces hommes, sans parler explicitement de la gnose et du soufisme, se présentèrent cependant comme des ascètes et ne dissimulèrent pas qu’ils avaient été initiés par le groupe précédent et qu’ils avaient suivi une discipline spirituelle sous sa conduite.
Après eux, apparurent à la fin du 2ème/8ème siècle et au début du 3ème/ 9ème siècle, des hommes tels que Bâyazid Bastâmi, Marûf Karkhi, Djunayd Baghdâdi et d’autres qui suivirent la voie gnostique et déclarèrent ouvertement leurs liens avec la gnose et le soufisme. Ils divulguèrent certains enseignements ésotériques fondés sur la vision spirituelle, lesquels, à cause de leur forme extérieure étrange, appelèrent sur eux la condamnation de quelques juristes et théologiens. Certains d’entre eux furent emprisonnés, torturés et même parfois tués et pendus. Malgré cela, et en dépit de ses adversaires, ce groupe se maintint et poursuivit ses activités. La « voie » (tariqah) continua à se propager jusqu’aux 7ème/13ème et 8ème/14ème siècles où elle atteignit l’apogée de son expansion et de sa puissance. Depuis lors, plus ou moins forte selon les moments, elle a poursuivi son existence dans le monde islamique jusqu’à nos jours.
Il semble que les cheikhs de la gnose, tels que nous les connaissons aujourd’hui, soient d’abord apparus dans le monde sunnite et ensuite parmi les shi’ites. Il faut remarquer que même dans les traités sunnites classiques, on dit parfois que la méthode spirituelle de la « voie » ou que les « techniques » par lesquelles l’on parvient à se connaitre et se réaliser, ne peuvent être expliquées au moyen des formes extérieures et des enseignements de la shari’ah. Ces sources affirment plutôt que certains musulmans ont eux-mêmes découvert plusieurs de ces méthodes et de ces pratiques, lesquelles ont ensuite été acceptées par Dieu, exactement comme c’est le fait dans le monarchisme chrétien [4].. Par conséquent, chaque maitre a établi certaines pratiques qu’il a jugées nécessaires à la voie spirituelle, comme par exemple la forme particulière de célébrer la cérémonie d’initiation, les détails de la manière selon laquelle une appellation est donnée au nouvel adepte en même temps qu’une robe, l’utilisation de la musique, du chant et d’autres méthodes pour provoquer l’extase pendant l’invocation du Nom divin. Dans certains cas, les pratiques de la Tariqah diffèrent de celles de la shari’ah. Mais, si l’on considère les principes du shiisme et les sources fondamentales de l’Islam, c’est-à-dire le Coran et la sunna, on réalise rapidement qu’il est impossible de dire que l’Islam négligerait certains aspects de l’éducation de l’homme ou qu’il exempterait certains de la pratique des obligations et lèverait les interdits pour quelques-uns.
Instructions du Coran et de la Sunna concernant la connaissance gnostique
Le Dieu Très-Haut, à plusieurs endroits dans le Coran a ordonné à l’homme de réfléchir sur le Livre Sacré et de persévérer dans cet effort sans se contenter d’une compréhension superficielle et élémentaire du Livre. Dans plusieurs versets, le monde de la création et tout ce qui s’y trouve, sans nulle exception, est nommé signes (Ayât-s) et symboles du Divin. Un certain degré de réflexion sur le sens de ces signes et de ces merveilles et l’intelligence de leur signification réelle feront comprendre qu’ils sont le signe de quelque chose d’autre qu’eux-mêmes. Par exemple, la vue du feu rouge placé en signe de danger rappelle l’idée du danger de sorte que si l’on commence à penser à la forme et à la qualité ou à la couleur du feu rouge, il n’y aura dans l’esprit que la forme de la lampe, du miroir ou de la couleur, et non le concept de danger. De même si le monde et ses phénomènes sont tous, et sous tous les rapports des signes et des merveilles de Dieu, Créateur de l’Univers, ils ne possèdent aucune indépendance ontologique par eux-mêmes. De quelque manière que nous les regardions, ils ne manifestent rien d’autre que Dieu. Celui qui, grâce à l’enseignement et la direction du Coran, se rend capable de voir le monde et ses habitants avec de tels yeux, ne verra nul autre que Dieu. Au lieu de voir seulement cette beauté empruntée que les autres voient dans l’apparence attrayante du monde, il verra une Beauté Infinie. C’est au moment de la réalisation de cette vérité que l’homme est purifié de son existence séparée et que d’un unique élan il place son cœur entre les mains de l’Amour Divin. Il est clair que cette réalisation ne s’accomplit pas à l’aide de l’œil , de l’oreille ou d’un autre sens externe, ni par la puissance de l’imagination ou de la raison, car tous ces instruments sont eux-mêmes des signes et ils sont de peu de signification en ce qui concerne la voie spirituelle ici recherchée [5].
Celui qui a atteint la vision de Dieu et qui n’a d’autre intention que de se souvenir de Dieu et d’oublier tout le reste, lorsqu’il entend Dieu dire dans le Coran:
﴿يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا عَلَيْكُمْ أَنفُسَكُمْ ۖ لَا يَضُرُّكُم مَّن ضَلَّ إِذَا اهْتَدَيْتُمْ ۚ إِلَى اللَّهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ تَعْمَلُونَ﴾
« O croyants ! Le soin de vos âmes vous regarde. Sachez donc que l’égarement des autres ne vous nuira point si vous êtes guidés, et si vous suivez le droit chemin. Tant que vous êtes guidés, vous retournerez à Dieu qui vous retracera vos œuvres. » (5:105), comprend que le seul chemin royal qui le guidera parfaitement et complètement est le chemin de la « réalisation de soi ». Son véritable guide, qui est Dieu Lui-même, lui enjoint de se connaitre, d’oublier toutes les autres voies et de ne rechercher que la voie de la connaissance de soi, de voir Dieu par la fenêtre de son âme, pour atteindre ainsi l’objet réel de sa recherche. Voilà pourquoi le Prophète a dit: « Celui qui se connait vraiment connait son Seigneur »[6]et il a dit aussi: « Ceux qui parmi vous se connaissent le mieux possèdent la meilleure connaissance de Dieux [7]..
Quant à la méthode pour suivre cette voie, il y a plusieurs versets du Coran qui commandent à l’homme de se rappeler de Dieu, comme par exemple quand il dit:
« فَاذْكُرُونِي أَذْكُرْكُمْ «
« Souvenez-vous de Moi, donc, Je Me souviendrai de vous. » (2:152)
Ce verset appelle les gens à ne jamais oublier les bienfaits de Dieu et à en être toujours reconnaissants. En effet, Dieu se souviendra des reconnaissants et les comblera davantage de Sa grâce. Se souvenir de Dieu n’est pas seulement la prière, mais se vouer aux œuvres bonnes et à la piété, en s’abstenant de ce que Dieu lui a interdit.
II est également ordonné à l’homme d’accomplir des actions justes, décrites en détail dans le Coran et les hadiths. En conclusion de cette description des actions justes, Dieu dit:
« Vous avez, dans l’envoyé de Dieu, un beau modèle pour vous » (Al- Ahzâb, 21 ) Comment imaginer que l’Islam puisse révéler que la meilleure voie est la voie qui mène à Dieu, sans recommander cette voie à tout le monde ? Ou comment pourrait-il faire savoir qu’une telle voie existe sans expliquer la méthode pour la suivre ? Dieu dit dans le Coran : « Nous t’avons révélé le Coran comme une explication claire de toute chose » (Coran XVI, 89).
La gnose islamique découle des enseignements des Ahl – ul- bayt (as)
Le vrai monothéiste dans la gnose islamique est un homme complet dont la vie exprime tous les noms et les attributs de Dieu dans l’univers. Pour avoir les détails et les explications sur la gnose islamique, il faut consulter les ouvrages comme Tamhid ul qawa’ed d’ibn Turka Esfahanie, Fousous Hikam d’ibn Arabi et les commentaires rédigés sur cet ouvrage, Misbâh ul Ouns d’ibn Fanâri…
L’homme est composé de l’âme et du corps dans la gnose pratique. Mais sa nature est plus reliée à son âme car l’homme est doté de meilleure potentialité pour perfection son âme. Il peut partir du stade de la poussière pour évoluer jusqu’à la cime de la perfection. L’âme de l’homme aspire vers la béatitude tandis que son côté animal tend vers la nature et la matière. Si l’homme s’emploie volontairement à purifier son âme avec l’exercice défini dans la gnose islamique, il évoluera vers les cimes de la gloire. Si par contre il oriente plutôt sa volonté pour satisfaire ses désirs et penchants, son côté animal l’entrainera plutôt vers l’humiliation[8]. Donc la gnose islamique s’organise autour de la purification de l’âme et l’exercice qui dégagent les voiles des ténèbres. Cette purification et cet entrainement sont très recommandés dans la gnose islamique. L’Imam Sadiq (as) dit : « S’il ne reste que deux jours pour toi à vivre, consacre un de ces jours à l’éducation et à la purification de l’âme afin de solliciter l’assistance pour le jour de ta mort »[9]. L’accès à la vérité passe donc par la purification de l’âme. Mais cette purification et initiation prônée par la gnose islamique se distingue d’autres gnoses. La gnose Hindou, Grecque et Manichéenne recommande l’accès au bonheur par la rupture de tout lien avec les autres et l’extérieur. Alors que la gnose islamique recommande plutôt le respect des préceptes islamiques. L’initiation et l’exercice dans la gnose islamique n’a rien à voir avec ce que propose les moines chrétiens. Ils quittent leur humble demeure pour se refugier dans la savane où, ils s’isolent et se privent de nourritures variées parce qu’ils veulent purifier leurs âmes. Tout ceci n’est que ce que le saint Coran appelle pure innovation introduite dans le christianisme. Mais la gnose islamique propose de meilleurs exercices qui passent par veiller sur le licite et l’illicite islamiquement décrétés et la soumission absolue à l’école des Ahl – ul- bayt (as)[10]. Le père de la gnose islamique Ali ibn Abi Taleb (as) dit : «La législation divine s’articule autour de l’initiation de l’âme »[11]. Les savants érudits versés en gnose partagent le même avis. Abou Ali Sina a des propos sur l’initiation de l’âme : « On peut éloigner de l’âme tout désir concupiscent par l’adoration et l’empêcher ainsi d’interférer dans la concentration vers Dieu »[12]. La législation, la voie et la vérité sont indissociables parce que la gnose islamique tient ses racines des versets coraniques et des traditions des Ahl – ul- Bayt (as). La sharia ou législation islamique est l’ensemble des lois, préceptes et dispositions légales que les jurisconsultes dégagent du Saint Coran et de la Sunna. Les gnostiques musulmans croient que la législation islamique est fondée sur la vérité et tout ce qui est bien pour l’homme qui peut parvenir à la félicité s’il les observe. La mise en application des préceptes divins est la condition dans la gnose islamique. Les gnostiques comme Mahya Din ibn Arabi reconnaissent le critère de la gnose dans l’existence de l’ordre de la part de Dieu et la nécessité de s’en soumettre[13]. Janid Bagdadi affirme : « Toutes les voies ne conduisent nulle part ; seule la voie du Prophète (ç) et des Imams infaillibles (as) ; et l’homme reste sur le coup de l’ordonnance même dans la contemplation et la béatitude »[14]. Allameh Tabataba’i l’un des grands gnostiques musulmans affirme : « Les obligations, les interdits et les dispositions pratiques générales sont destinées à tout le monde. Et plus on se soumet à Dieu, plus les obligations accroît, mais nul n’est exempte de devoirs et d’obligation »[15].
La voie qui constitue l’esprit de la législation islamique décrit les situations et les états pour l’initié. Et le plus haut niveau est la béatitude[16].
Donc les gnostiques musulmans dans la gnose islamique traversent les étapes d’initiation vers la perfection avec amour et dévotion pour Dieu dont ils se rapprochent avec sincérité, pratique, ascétisme, humilité, désintéressement pour ce monde, purification extérieure et intérieure, veillée nocturne et la soumission en la wilaya. La gnose islamique signifie l’illumination réelle qui sort l’homme du sommeil et des illusions du monde et l’éloigne de toute souillure et penchants, pour le porter vers la lumière et perfection. Le gnostique est celui qui pense en même temps à la perfection et l’au – delà, et aussi comment faire pour gagner sa vie et tenir les mains des autres. Comme le guide des chiites Ali ibn Abi Taleb (as), le maître des gnostiques qui a pu venir en lui tous les talents et les valeurs humaines en lui. Il se livrait à l’adoration durant la nuit, comme le dit le Noble Prophète (ç) : « Il (Ali) est l’épris de Dieu et ne pense qu’à Lui ». Il n’était pas loin de la communauté, ni isoler d’elle. Il était secoué par les cris des orphelins et portait du pain et des dattes sur son dos qu’Il distribuait aux pauvres. Il était particulièrement rigoureux dans la répartition des biens de la trésorerie publique[17].
2- Comme vous l’avez constatez, la gnose islamique découle des enseignements des Ahl – ul- bayt (as) avec des branches et des caractéristiques réservées à un individu, qu’on ne peut trouver pareil dans d’autres gnoses. De la même manière que les gnostiques dans l’Islam se sont éloignés des enseignements des Ahl – ul- bayt (as), ils se sont aussi éloignés de la vraie gnose. Quelques éléments importants de la gnose islamique[18] ont été tirés des textes religieux islamiques et le gnostique a constamment à faire avec ces branches dans la perspective islamique. Et il est évident qu’attirer l’attention des gens sur ces branches suscitera probablement l’intérêt vers l’Islam :
1- Le respect de la législation islamique (on l’a déjà brièvement expliqué).
2- Le Jihad et la lutte :
L’islam est une religion qui prend en considération tous les aspects de la vie de l’homme qui évoluent harmonieusement ensemble. L’épopée constitue un mouvement de la vie de l’homme, et la gnose en est un autre. Les gens qui ne se focalisent uniquement que sur l’épopée ou sur l’adoration, éduquent mal leur âme. L’Imam Ali (as) dit sur les mérites du jihad : « Le jihad est l’une des portes du paradis que Dieu n’a ouverte qu’à ceux qui sont épris de lui…Celui qui par désintéressement abandonne le jihad, Dieu le couvrira du manteau de l’humiliation… Et il subira au fond de lui un manque et un sentiment d’abrutissement et d’ineptie. Il ne sera pas capable de se défendre et préserver ses droits dans la société, il sera privé de justice »[19].
3- L’émancipation intellectuelle et le savoir.
Une branche importante de la gnose islamique consiste à redoubler d’efforts pour l’augmentation du niveau intellectuel et l’éveil de l’intelligence. Il est écrit dans le Saint Coran : « Ceux qui ne savent pas et ceux qui savent sont – ils pareils ? » Sourate Zoumar : 9. Le Messager de Dieu dit : « Celui dont le niveau intellectuel est plus élevé a plus de valeur »[20].
4- Le travail, l’activité économique et le refus d’une vie de moine. Le Prophète (ç) dit : « Celui qui gagne sa vie de la sueur de son front, traversera le pont le jour du jugement comme l’éclair »[21].
5- La gloire et le prestige de l’âme.
Il est écrit dans le Saint Coran : « La gloire appartient à Dieu, au Prophète (ç) et au croyant » Sourate Mounafiqoune : 8
6- Assister les pauvres et les démunis
Belarzi et Ahmad Hanbal écrivent : « L’Imam Ali (as) avait 40000 dinars de blé, d’orge et de raisins séchés qu’Il a tout donné dans la voie de Dieu. Il vendit ensuite son épée pour le pain de nuit en disant : « Si j’avais de quoi manger la nuit, je n’aurais pas vendu mon épée »[22].
3- Le Coran est la source de la gnose et le Prophète (ç) et les Imams infaillibles (as) vrais gnostiques, et les vrais commentateurs du Coran. Ils sont donc les vrais maîtres pour éduquer et mener l’homme vers la perfection. S’imprégner de la vie et la biographie des hommes complets c’est- à- dire les gnostiques qui se sont illustrés dans la société par l’ascétisme, la foi, la lutte et le dynamisme, peut servir à démontrer les capacités de la gnose islamique dans la formation des hommes parfaits, et combler l’engouement des épris de la beauté de cette gnose.
Les liens entre Irfân ou la gnose mystique et la Loi islamique
En lisant tout simplement les versets du Coran, on s’aperçoit que la religion musulmane prête une considération profonde à la spiritualité. Elle a encouragé ses adeptes à des pratiques qui constitueront plus tard les principes et les piliers du mystique. La Charî‘ah[23]., la Tarîqah[24]. et la Haqîqah[25].
Parmi les questions qui font l’objet de désaccord entre les ‘urafâ’ (les gnostiques) et les autres -notamment les jurisconsultes – c’est l’opinion particulière des premiers sur la Chari‘a, la Tarîqah, et la Haqîqah.
Ainsi, si les ‘urafâ’ et les jurisconsultes s’accordent pour dire que la charî‘ah –les statuts légaux de l’Islâm- est fondée sur une série d’intérêts et de vérités, ils divergent quant à la finalité de ces intérêts et vérités que le jurisconsulte considère comme le moyen de conduire l’homme au bonheur et l’utilisation maximale des dons matériels et moraux, alors que les ‘urafâ’ les voient comme une voie qui mène vers Allâh et qu’ils constituent des chemins qui dirigent le serviteur vers son Créateur.
En d’autres termes, alors que les jurisconsultes estiment que la série des intérêts qui se trouvent derrière la charî‘ah équivalent aux causes et à l’esprit de celle-ci, et que l’application de la charî‘ah est le seul moyen de réaliser ces intérêts, les ‘urafâ’ pensent que les intérêts et les vérités qui sous-tendent la législation islamique sont une sorte de positions et d’étapes qui conduisent l’homme à s’approcher du Trône divin et à atteindre à la Vérité, et ils croient que l’intérieur de la Charî‘ah est la Vérité, c’est-à-dire le monothéisme au sens que nous avons déjà défini et auquel le ‘âref (le gnostique) aboutit après avoir anéanti son soi et après s’être débarrassé de son ego. En résumé, d’après eux, le ‘âref croit en trois choses: la charî‘ah, la tarîqah et la Haqîqah, et que la charî‘ah est un moyen d’arriver à la tarîqah et que la tarîqah et un moyen d’atteindre à la Vérité.
Les jurisconsultes divisent les statuts légaux islamiques en trois catégories:
1-Les fondements des croyances dont traite la théologie scolastique (‘ilm al-Kalâm): le musulman doit en effet croire en toutes les questions relatives aux fondements de la doctrine, d’une façon rationnelle qui ne souffrent d’aucun doute.
2-Les commandements qui expliquent les devoirs de l’homme sur les plans des vertus et des vices moraux, et c’est la science de l’éthique qui s’en occupe.
3-Les statuts légaux relatifs aux actes et aux comportements extérieurs de l’homme, et c’est la science de fiqh (jurisprudence musulmane) qui s’en charge.
Ces trois catégories ou branches sont séparées les unes des autres, puisque la branche des croyances est liée à l’esprit et à la pensée, la branche de l’éthique est liée à l’âme et à ses dons et habitudes, et celle des statuts des actes extérieurs concerne les membres de l’homme.
Par contre, les ‘urafâ’ ne se contentent pas, concernant la branche des croyances, de la simple croyance mentale et rationnelle, mais considèrent qu’il est nécessaire de toucher ce à quoi il faut croire, et pour ce faire, on doit obligatoirement enlever les voiles qui séparent entre l’homme et ces vérités, et dans la seconde branche, ils ne se contentent pas des morales fixes et déterminées, et proposent de remplacer l’éthique pratique et philosophique par la conduite ou le cheminement (sayr) et le comportement (sulûk) ‘irfânites5qui a ses étapes bien déterminées. Concernant la troisième branche, ils n’ont pas d’objection majeure (à la vue des jurisconsultes susmentionnée), à l’exception de quelques points qu’on peut considérer comme contradictoires parfois avec les statuts légaux de la jurisprudence.
Les ‘urafâ’ ont appelé ces trois branches: la Charî‘ah, la Tarîqah et la Haqîqah, et pensent que de même que l’homme n’est pas divisible en trois parties séparées, puisque le corps, l’âme et l’esprit, lesquelles sont unies dans leur différence même, et que le rapport entre elles est le même rapport entre l’apparent et le caché, il en va de même pour la Charî‘ah, la Tarîqah et la Haqîqah, c’est à dire que l’une d’elles est l’apparent, l’autre le caché, et la troisième le caché du caché, bien qu’ils professent que les positions de l’existence de l’homme soient plus que trois positions ou étapes et croient aussi qu’il y a des positions et des étapes au-delà de l’esprit. Comme nous allons l’expliquer plus loin.
Notes:
1-ilm-us-sayr wa-s-sulûk علم السير والسلوك
2- En arabe : tâ’ir al-Qods. (طائر القدس)
3- En d’autres termes, on ne parvient pas à ce stade par un effort de réflexion et de raisonnement mais par un travail spécifique et acharné de rééducation de l’âme.
4- Dieu a dit: « … et le monachisme qu’ils ont instauré – nous ne le leur avons pas prescrit – uniquement dans la quête de l’agrément d’Allah; ils ne l’ont pas observé comme il se devait » (Coran LVII, 27).
5-Ali a dit: » Dieu n’est pas celui qui peut entrer dans une des catégories de la connaissance. Dieu est Celui qui guide la raison vers Lui », Bihâr al-anwâr, vol. II. p. 186.
6- Un hadith célèbre repris spécialement dans les œuvres des Soufis et gnostiques connus, shi’ites et sunnites ensemble.
7- Ce hadith est également trouvé dans beaucoup d’œuvres gnostiques, aussi bien shi’ites que sunnites.
8 – Irfan et Tasawouf, Mohammd Reza Kashefi, page 72, règle d’initiation, Ayatollah Tahiri, page 6.
9 – Rawdha Kafi, page 150.
10 – Règle d’initiation, Ayatollah Tahiri.
11 – Mizan al Hikma, vol 4, page 207.
12 – Esharât wa Tanbihât, chapitre 3.
13 – Rasâ’il, page 233, ibn Arabi, recherche Mohammad Hezat
14 – La gnose théorique, page 373, Yahya Yathribi.
15 – Wilayat Nameh, page 46, traduction Hamayoun Hemmati
16 – Asrar Tawhid fi Maqamat, Sheikh Abou Sa’id, page 352, Mohammad ibn Nour.
17 – Ali, le symbole de la gnose, Nezam Zadeh Qomi
18 – La gnose théorique, Kitab Ali, page 91- 150
19 – Nahjul Balagha, discours 27
20 – Amali de Sheikh Sadouq, 6ème séance, hadith 4
21 – Behar anouar, vol 103, page 9
22 – Manaqib ibn Shahr Ashoub, vol 2, page 7
23 -Charî‘ah : la Loi islamique.
24 -Tarîqah : la Voie
25 -Haqîqah : La Vérité