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La bataille du Jamal (Bataille du chameau)
La Marche de ‘Alî contre ‘Âyechah
Finalement, une armée de neuf cents hommes put être levée difficilement. L’attitude froide des Médinois dans cette conjoncture critique découragea tellement ‘Alî qu’il décida de ne pas revenir parmi eux et de choisir un autre endroit pour le siège de son gouvernement. Il sortit cependant à la tête de cette petite force de neuf cents hommes(1) dans l’intention de surprendre les rebelles sur leur chemin vers Basrah.
Arrivé à Rabdhah (aux abords de Najd), il constata que les insurgés étaient déjà partis et qu’ils se trouvaient bien loin devant. Bien que rejoint dans sa marche par les Banî Tay et quelques autres tribus loyales, il n’était pas suffisamment équipé pour avancer davantage. Aussi ordonna-t-il qu’on fasse halte à Thî-Q’ar (Thî-Qâr), en attendant l’arrivée de renforts de Kûfa, ville à laquelle il avait envoyé Mohammad Ibn Abî Bakr et ‘Abdullâh Ibn Ja’far pour demander à son gouverneur Abû Mûsâ al-Ach’arî d’inciter les gens à rejoindre leur Calife afin d’aller avec lui auprès des rebelles et d’essayer de réunir les gens divisés.
La Conduite d’Abû Mûsâ al-Ach’arî envers le Calife
Abû Mûsâ al-Ach’arî n’était pas bien disposé envers le Calife, qui avait auparavant envoyé ‘Ammâr Ibn Chahab pour le remplacer, comme nous l’avons déjà vu. En outre, c’était un homme qui manquait d’enthousiasme dans l’accomplissement de ses tâches. ‘Âyechah lui avait déjà écrit des lettres pour dissuader ses concitoyens de prêter serment d’allégeance à ‘Alî et pour les persuader de se lever pour venger le meurtre de ‘Othmân. Prenant acte du succès de ‘Âyechah à Basrah, il avait déjà commencé à nuancer son allégeance à ‘Alî et à défendre la cause de ‘Âyechah devant les gens.
Lorsque les messagers du Calife arrivèrent à Kûfa et qu’ils délivrèrent leur message, un silence complet régna sur l’assemblée dans la mosquée. Finalement les gens demandèrent à Abû Mûsâ ce qu’il leur conseillait à propos de la demande du Calife de le rejoindre. Il répondit gravement que sortir ou rester à la maison étaient deux choses différentes. Le premier était un acte pour le monde d’ici-bas, le second pour celui de la vie future. A eux donc de choisir.
Choqués par ces propos tendancieux, les envoyés du Calife lui en firent le reproche. Ce à quoi il répondit que le serment d’allégeance envers ‘Othmân l’engageait encore – tout comme il engageait encore leur maître (c’est-à-dire ‘Alî) – ainsi que son peuple, lequel était déterminé à liquider les assassins du défunt Calife où qu’ils se trouvent, et que, aussi longtemps que les meurtriers resteraient tranquilles, il ne participerait à aucune expédition.(2) Il demanda à Mohammad Ibn Abî Bakr et ‘Abdullâh Ibn Ja’far de retourner chez ‘Alî pour lui répéter ce qu’il venait de leur dire.
Dans l’intervalle, ‘Othmân Ibn Honayf, l’ex-Gouverneur de Basrah, se rendit à Thî-Qa’r. Il était dans un drôle d’état.(3) Le Calife le reconnut et lui dit en souriant qu’il l’avait laissé un vieil homme et qu’il revenait auprès de lui tel un jeune imberbe. En fait, ‘Othmân avait eu une barbe remarquablement belle, dont la perte, doublée de la perte de ses cheveux et sourcils lui donnait une apparence étrange. Il raconta à ‘Alî ses mésaventures avec les dirigeants des insurgés, et le Calife sympathisa avec lui pour les souffrances qu’il avait subies, et le réconforta en l’assurant que ses peines seraient comptées comme mérites. Puis il dit que les hommes qui avaient été les premiers à le reconnaître comme Calife, étaient aussi les premiers à abjurer leur serment d’allégeance et les premiers à se rebeller contre lui. Il s’étonna de leur soumission volontaire à Abû Bakr, ‘Omar et ‘Othmân, et de leur opposition à lui-même.
Aussitôt que Mohammad Ibn Abî Bakr et ‘Abdullâh Ibn Ja’far retournèrent à Médine et rapportèrent ce qu’Abû Mûsâ avait dit, le Calife dépêcha(4) Ibn ‘Abbâs et Mâlik al-Achtar à Kûfa où ils délivrèrent le message du Calife demandant l’assistance des Kûfites. Mais au lieu d’encourager ces derniers à répondre à l’appel du Calife, Abû Mûsâ leur dit:
«Frères! Les Compagnons du Prophète sont plus savants que les Non-Compagnons à propos de Dieu et de Son Prophète. Le désaccord est parmi les Compagnons qui savent mieux à qui il faut faire confiance. Vous ne devez donc pas vous mêler de leurs affaires, car le Prophète a dit une fois: “Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux (pour le Musulman) être couché que réveillé, réveillé qu’assis, assis que debout, debout qu’en marche, en marche que sur une monture”. Rengainez donc vos épées, cassez vos arcs et déposez vos lances. Gardez tranquillement vos maisons et accueillez-y avec hospitalité les blessés jusqu’à ce que les troubles cessent. Laissez les Compagnons du Prophète se mettre tous d’accord entre eux. Vous n’avez besoin de faire la guerre contre aucun d’entre eux. Que ceux qui sont venus vous voir de Médine, retournent d’où ils sont venus».
Abû Mûsâ al-Ach’arî démis de ses Fonctions de Gouverneur de Kûfa
Lorsque Ibn ‘Abbâs et Mâlik al-Achtar retournèrent à Médine et rapportèrent au Calife ce qu’avait fait Abû Mûsâ al-Ach’arî, il envoya son fils, al-Hassan, accompagné de ‘Ammâr Ibn Yâcir qui avait été pendant un temps Gouverneur de Kûfa durant le règne du Calife ‘Omar, et qui avait été très maltraité par la suite par le Calife ‘Othmân pour ses remarques franches. Mâlik al-Achtar (un homme d’initiative et de détermination, qui exerçait une grande influence sur les Kûfites) et qui avait été irrité par les équivoques d’Abû Mûsâ lors de sa précédentes mission, suivit al-Hassan dans son voyage, en compagnie de Qardhah Ibn Ka’b al-Ançârî qui venait d’être nommé Gouverneur de Kûfa en remplacement d’Abû Mûsâ al-Ach’arî.
Abû Mûsâ les reçut tout à fait respectueusement, mais lorsqu’on demanda aux Kûfites, rassemblés dans la mosquée, leur participation à l’expédition contre les insurgés, conformément au message du Calife, il s’y opposa aussi vigoureusement qu’il l’avait fait auparavant, invoquant le même hadith, cité dans le précédent paragraphe, à savoir: «Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux être couché que réveillé, etc.».
‘Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable Compagnon favori du Prophète, âgé alors d’environ quatre-vingt-dix ans, un soldat austère et vétéran, et à présent général de Cavalerie dans l’armée de ‘Alî, ayant entendu le discours malicieux d’Abû Mûsâ, lui répliqua vivement qu’il avait fait un mauvais usage de la parole du Prophète, laquelle visait à réprimander des hommes de l’espèce d’Abû Mûsâ lui-même, qu’il valait mieux qu’ils restent couchés que réveillés, assis que debout, etc… Cependant, Abû Mûsâ persistait à décourager les gens de répondre aux propositions des envoyés de ‘Alî. Un tumulte s’éleva lorsque Zayd Ibn Sihân intervint pour lire une lettre de ‘Âyechah lui commandant soit de rester neutre soit de la rejoindre.(5)
Après avoir fait la lecture de cette lettre, il en sortit une autre adressée au grand public de Kûfa, leur demandant de faire de même. Après la lecture de ces deux lettres, il fit remarquer: «Le Coran et le Prophète commandent qu’elle (‘Âyechah) reste tranquille chez elle, et que nous combattions jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition. Elle nous ordonne donc de jouer son rôle alors qu’elle a pris le nôtre pour elle». D’aucuns parmi l’assistance reprochèrent à Zayd sa remarque contre la Mère des Croyants.
Abû Mûsâ reprit son discours pour poursuivre son opposition au Calife, ce qui conduisit certains parmi les auditeurs à lui reprocher son infidélité et sa déloyauté et à l’obliger à quitter la chaire qui fut ensuite occupée par al-Hssan Ibn ‘Alî. Abû Mûsâ dut quitter non seulement la chaire, mais aussi la mosquée tout de suite, quelques soldats de la garnison stationnée au palais du Gouverneur étant venus se plaindre d’avoir été battus sévèrement avec des bâtons.(6)
Il est à noter que le débat se déroulait à la mosquée, Mâlik al-Achtar avait pris avec lui un groupe de ses partisans et s’était emparé par surprise du palais du Gouverneur, et les hommes de la garnison avaient été bruyamment battus et envoyés à la mosquée pour interrompre le débat. Cette prompte action eut l’effet escompté. En outre elle rendit l’impassibilité froide de la conduite d’Abû Mûsâ tellement ridicule et méprisable que les sentiments du peuple se retournèrent immédiatement contre lui. Lorsqu’il sortit de la mosquée, il se rendit hâtivement à son palais où Mâlik lui ordonna de vider les lieux immédiatement. La foule assemblée à l’entrée était prête à piller ses biens, mais Mâlik intervint et impartit à Abû Mûsâ un délai de vingt-quatre heures pour qu’il emportât ses effets.
Al-Hassan Ibn ‘Alî Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites
Du haut de sa chaire, al-Hassan adressa avec éloquence à l’assemblée un discours dans lequel: «il confirma l’innocence de son père en ce qui concerne l’assassinat de ‘Othmân. Il dit que son père, soit avait tort, soit subissait une injustice. S’il avait tort, Dieu 1’en punirait et s’il subissait une injustice, IL lui viendrait en aide. L’affaire était donc entre les Mains du Très-Haut. Talhah et Zubayr qui avaient été les premiers à inaugurer son Califat, avaient été aussi les premiers à se retourner contre lui. Qu’avait-il donc fait, en tant que Calife, pour mériter cette opposition? Quelle injustice avait-il commise? Quelle avidité ou quel égoïsme avait-il manifestés». (“Successors of Mohammad” de W. Irving, p. 177).
L’éloquence d’al-Hassan eut un pouvoir réel sur l’assistance. Les chefs des tribus se dirent les uns aux autres qu’ils avaient tendu leurs mains en guise d’allégeance à ‘Alî, et que ce dernier leur avait fait honneur en leur demandant d’être les arbitres dans une si importante affaire. Ils regrettèrent de n’avoir pas tenu compte des précédents messagers du Calife, ce qui avait conduit ce dernier à députer son fils pour demander leur assistance. Ils conclurent finalement qu’ils devaient obéir à leur Calife et répondre à une demande si raisonnable.
Al-Hassan leur dit qu’il allait retourner auprès de son père et que ceux qui se croyaient prêts à l’accompagner devaient le faire, alors que les autres pouvaient le suivre par voie de terre ou par bateaux. Ainsi neuf mille Kûfites(7) rejoignirent ‘Alî par terre et par bateaux. En leur souhaitant la bienvenue, ‘Alî leur dit: «Je vous ai fait venir ici pour être témoins entre nous et nos frères de Basrah. S’ils acceptent de se soumettre pacifiquement, c’est tout ce que nous désirons, mais s’ils persistent dans leur révolte, nous les amènerons à la réconciliation gentiment, à moins qu’ils ne se mettent à nous offenser. Pour notre part, nous ne négligerons rien qui puisse, d’une façon ou d’une autre, contribuer à un arrangement que nous devons préférer à la désolation de la guerre». (“History of the Saracens” de S. Ockley, p. 305).
L’armée du Calife, ayant reçu des renforts de diverses régions, devint forte d’environ vingt mille hommes qui s’avancèrent vers Basrah. Pendant qu’il était stationné avec son année à Thî-Qâr, ‘Alî avait écrit des lettres à ‘Âyechah, Talhah et Zubayr pour les mettre en garde contre les démarches déraisonnables qu’ils avaient entreprises, et pour leur dire qu’aucun d’entre eux ne pouvait prétendre être le vengeur du sang de ‘Othmân, ce dernier étant un Omayyade, alors qu’aucun d’eux n’appartenait aux Banî ‘Omayyah.(8)
‘Âyechah avait répondu que les choses étaient arrivées à un point où les avertissements n’avaient plus aucune utilité, alors que Talhah et Zubayr ne donnèrent pas de réponse écrite, se contentant de faire parvenir à ‘Alî un mot pour l’informer qu’ils n’étaient pas disposés à obéir à ses ordres et qu’il avait toute la liberté de faire ce qu’il voulait.
L’Arrivée de ‘Alî à Basrah
L’armée de ‘Âyechah comptait trente mille hommes dont la plupart étaient de nouvelles recrues, alors que celle de ‘Alî se composait principalement de vétérans, d’hommes ayant déjà servi dans les forces armées, et de Compagnons du Prophète. Lorsque ‘Alî apparut avec ses forces armées déployées en un imposant ordre de bataille devant Basrah, ‘Âyechah et ses confédérés furent frappés de terreur. Une fois proche de Basrah, ‘Alî envoya Qa’qâ’ Ibn ‘Amr, un Compagnon du Prophète, aux dirigeants des rebelles en vue de négocier avec eux un plan de paix,(9) si possible.
‘Âyechah répondit que ‘Alî devait négocier personnellement avec eux. Lorsque ‘Alî arriva, des messages circulèrent dans les rangs des forces hostiles en vue de compromettre la négociation.(10) On voyait ‘Alî, Talhah et Zubayr tenir de longues conversations, faisant le va-et-vient ensemble à la vue des deux armées, et les négociations paraissaient tellement dans la bonne voie que tout le monde pensa qu’on allait aboutir sûrement à un arrangement pacifique; car par son impressionnante éloquence, ‘Alî toucha les cœurs de Talhah et de Zubayr en les mettant en garde contre le jugement du Ciel et en les défiant à une ordalie où l’on invoquerait la malédiction divine contre ceux qui avaient encouragé et suggéré le meurtre de ‘Othmân et incité les malfaiteurs à le commettre.
Au cours de l’un de leurs entretiens, ‘Alî demanda à Zubayr: «As-tu oublié le jour où le Messager de Dieu t’avait demandé si tu n’aimais pas son cher “fils” ‘Alî et où tu lui as répondu: “Si”. Ne te rappelles-tu pas cette prédiction du Prophète: “Cependant, il arrivera un jour où tu te soulèveras contre lui et où tu apporteras des misères à lui et à tous les Musulmans”».
Zubayr répondit qu’il s’en souvenait parfaitement, qu’il se sentait désolé, que s’il s’en était souvenu auparavant, il n’aurait jamais porté les armes contre lui. Zubayr semblait donc déterminé à ne pas se battre contre ‘Alî. Il retourna à son camp et informa ‘Âyechah de ce qui s’était passé entre lui et ‘Alî.
«On dit qu’à la suite de cette allusion à la prédiction du Prophète, Zubayr renonça à combattre contre ‘Alî, mais malgré ladite prédiction prophétique, ‘Âyechah était si pleine de haine contre ‘Alî qu’elle ne pouvait accepter aucun arrangement, à n’importe quelle condition. D’autres disent que c’est le fils de Zubayr, ‘Abdullâh (adopté par ‘Âyechah) qui l’avait fait changer d’avis en lui demandant si c’était la peur des troupes de ‘Alî qui l’avait conduit à cette volte-face. A ceci Zubayr répondit “Non mais le serment prêté à ‘Alî”. ‘Abdullâh lui suggéra alors d’expier son serment en libérant un esclave, ce qui l’amena à se préparer sans plus d’hésitation à combattre contre ‘Alî». (“History of the Saracens” de S. Ockley, p. 307).
Les deux armées étaient face à face sur le même champ de bataille. Durant la nuit chaque partie chargea l’autre, les deux parties s’accusant mutuellement d’avoir ouvert les hostilités. Le lecteur pourra lui-même déduire quelle est la partie à blâmer pour cette attaque nocturne, quelle partie essayait d’arriver à un arrangement pacifique pour éviter l’effusion de sang et laquelle mettait en échec ces tentatives de paix. Les circonstances relatées ci-dessus sont assez claires pour éclairer et indiquer la vérité.
La Bataille d’Al-Jamal (du Chameau)
Le lendemain matin, tôt, le vendredi 16 Jamâdî II de l’an 36 H. (Nov., 656 ap. J. -C.), ‘Âyechah entra dans le champ de bataille, assise dans une litière sur son grand chameau, al-‘Askar. Elle fit l’inspection de ses troupes, qu’elle animait par sa présence et par sa voix. Dans l’histoire, cette bataille fut appelée “La Bataille du Chameau”, en raison de la présence de la bête étrange sur laquelle était montée ‘Âyechah, et ce, bien qu’elle fût livrée à Khoraybah, près de Basrah.
L’armée de ‘Alî faisait face à l’ennemi en ordre de bataille, mais le Calife avait ordonné à ses combattants de ne charger que si l’ennemi les attaquait le premier. En outre, il leur donna l’ordre strict de ne jamais achever un blessé, de ne jamais poursuivre un fuyard, de ne pas s’emparer de butin et de ne jamais violer une maison. Et alors qu’une pluie de flèches lancées par l’ennemi tombait sur les troupes de ‘Alî, celui-ci ordonna à ses soldats de ne pas répondre au tir et d’attendre.
«Jusqu’au dernier moment ‘Alî fit preuve d’une répugnance implacable à l’effusion du sang de Musulmans, et juste avant la bataille il s’efforçait encore d’obtenir l’allégeance de l’adversaire par un appel solennel au Coran. Une personne, nommée Muslim, s’avança alors immédiatement, levant un exemplaire du Coran dans sa main droite. Muslim se mit à fustiger l’ennemi pour l’amener à renoncer à ses desseins injustifiés. Mais la main qui portait le Livre Sacré fut coupée par un soldat de l’armée ennemie. Il porta alors le Coran dans sa main gauche, mais celle-ci fut à son tour coupée par un autre cimeterre. L’homme ne fut pas pour autant décourager, et il sera le Coran contre sa poitrine avec ses bras mutilés, continuant ses exhortations jusqu’à ce qu’il fût achevé par les sabres de l’ennemi. Son corps fut par la suite récupéré par ses amis et des prières furent faites sur lui par ‘Alî lui-même. Le Calife ramassa ensuite une poignée de sable, la lança en direction des insurgés, invoquant contre eux la vengeance de Dieu. En même temps, l’impétuosité des hommes de ‘Alî ne pouvait être retenue plus longtemps. Tirant leurs sabres et pointant leurs lances, ils se lancèrent vaillamment dans le combat qui fut livré de tous côtés avec une férocité et une animosité extraordinaires». (“Mohammadan History” de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 308).
Le Sort de Talhah
Alors que la bataille faisait rage et que la victoire commençait à pencher du côté de ‘Alî, Marwân Ibn al-Hakm (le Secrétaire Particulier du précédent Calife, ‘Othmân), l’un des officiers de l’armée de ‘Âyechah, remarqua que Talhah incitait ses troupes à se battre vaillamment.(11) «Voyez ce traître! dit-il à son serviteur. Tout récemment encore, il était l’un des assassins du vieux Calife. Et le voilà qui prétend être le vengeur de son sang. Quelle plaisanterie!» Ce disant, il tira dans un accès de haine et de furie une flèche qui perça sa jambe droite et la traversa pour toucher son cheval qui se cabra et jeta le cavalier par terre.
En ce moment d’angoisse, Talhah s’écria: «Ô mon Dieu! Venge ‘Othmân sur moi selon Ta Volonté», avant d’appeler au secours. Constatant que ses chaussures ruisselaient de sang, il demanda à l’un de ses hommes de le ramasser, de le faire monter sur son cheval, derrière lui, et de le convoyer à Basrah. Et sentant sa fin proche, il appela l’un des hommes de ‘Alî qui se trouvait là par hasard: «Donne-moi ta main, dit le mourant repentant, afin que j’y pose la mienne en guise de renouvellement de mon serment d’allégeance à ‘Alî». Talhah rendit son dernier soupir en prononçant ces mots de repentir.
Lorsque ‘Alî entendit le récit de sa mort, son cœur généreux fut touché, et il dit: «Allâh ne voulait pas l’appeler au Ciel avant d’effacer sa première violation de serment par ce dernier serment de fidélité». Le fils de Talhah, Mohammad, fut lui aussi tué dans cette bataille.
Le Sort de Zubayr
Les remords et la componction avaient envahi le cœur de Zubayr après avoir écouté le rappel par ‘Alî de la prédiction du Prophète. Il ne fait pas de doute qu’il avait participé à la bataille sur l’instance de ‘Âyechah et de son fils et à contrecœur. Par la suite, il avait vu ‘Ammâr Ibn Yâcir,(12) le vénérable et vieux Compagnon du Prophète, connu pour sa probité et son intégrité, être un Général dans l’armée de ‘Alî. Il s’était rappelé alors avoir entendu de la bouche du Prophète que ‘Ammâr serait toujours du côté des partisans de la justice et du bon droit et qu’il tomberait sous les sabres de mauvais rebelles. Tout avait semblé donc être de mauvais augure pour participer à cette bataille. Aussi se retira-t-il du champ de bataille et prit-il le chemin de la Mecque tout seul.
Lorsqu’il arriva à la vallée traversée par le ruisseau de Saba, où Ahnaf Ibn Qays avait campé avec une horde d’Arabes dans l’attente de l’issue du combat, il fut reconnu de loin par Ahnaf. «Personne ne peut-il m’apporter des nouvelles de Zubayr?» dit-il à l’adresse de ses hommes. L’un de ceux-ci, ‘Amr Ibn Jarmuz, comprit l’insinuation et se mit en route. Zubayr voyant cet homme s’approcher, le soupçonna de mauvaises intentions à son égard. Aussi lui ordonna-t-il de rester à distance. Mais après avoir échangé quelques paroles, ils devinrent amis et tous deux descendirent de leurs chevaux pour faire la Prière, étant donné qu’il en était l’heure. Lorsque Zubayr se prosterna en accomplissant sa Prière, ‘Amr saisit l’occasion et coupa sa tête avec son cimeterre.
Il apporta sa tête à ‘Alî qui pleura à la vue de cette tête. Car il s’agissait de la tête de quelqu’un qui avait été son ami. Se tournant vers l’homme qui lui avait apporté ce cadeau macabre, il s’écria, indigné: «Va-t-en maudit. Apporte tes nouvelles à Ibn Safiyah en enfer». Cette malédiction inattendue enragea le misérable qui s’attendait plutôt à une récompense, et il proféra une bordée d’injures à l’adresse de ‘Alî. Puis, dans un accès de désespoir, il dégaina son sabre et l’enfonça dans son propre cœur.
La Défaite de ‘Âyechah
Tel fut donc le sort des deux grands dirigeants des rebelles. Quant à ‘Âyechah, l’implacable âme de la révolte, la femme de guerre, elle continua à hurler inlassablement de sa voix stridente: «Tuez les assassins de ‘Othmân», incitant ses hommes à se battre. Mais les troupes, privées de leurs dirigeants, s’étaient senties déjà démoralisées et avaient commencé à retourner à la ville.
Toutefois, voyant que ‘Âyechah était en danger, ses partisans arrêtèrent leur fuite et revinrent à son secours. Se rassemblant autour de son chameau, ils essayèrent l’un après l’autre d’en saisir la bride et de prendre l’etendard, mais ils furent abattus à tour de rôle. Ainsi soixante-dix hommes périrent par la bride de cet animal maudit. La litière de ‘Âyechah, en tôle d’acier et construite comme une cage, était hérissée de dards et de flèches, et sur la bosse de l’énorme bête, elle ressemblait à un hérisson effrayant et en colère.
«Convaincu que la bataille ne pourrait être interrompue aussi longtemps que le chameau continuerait à s’amuser de la sorte avec les défenseurs de ‘Âyechah, ‘Alî exprima aux hommes qui l’entouraient son désir de les voir s’efforcer de terrasser l’animal. Après plusieurs assauts désespérants, Mâlik al-Achtar réussit enfin à forcer un passage et à casser l’une des pattes du chameau. Mais malgré cela, l’animal resta debout et impassible, et persévéra dans son attitude. Une autre patte fut brisée, mais sans résultat. Mâlik al-Achtar, étonné et terrifié par le comportement du chameau ne savait pas s’il devait continuer ou non. ‘Alî s’approcha et lui demanda de frapper sans hésitation même si l’animal paraissait bénéficier du soutien d’un agent surnaturel. Stimulé, Mâlik frappa la troisième patte et l’animal fut immédiatement terrassé.
»La litière de ‘Âyechah étant maintenant à terre, ‘Alî ordonna à Mohammad, fils d’Abû Bakr, de se charger de sa sœur et de la protéger des flèches qui continuaient à tomber de partout. Mohammad s’exécuta, s’approcha de la litière, et y introduisant sa main qui toucha par hasard celle de ‘Âyechah, il entendit cette dernière l’accabler d’insultes et crier, interrogative, quel vaurien osait toucher sa main que personne d’autre que le Prophète n’avait l’autorisation de toucher. Mohammad répondit que bien que cette main fût celle de la personne la plus proche d’elle par le sang, elle était aussi celle de son pire ennemi. Reconnaissant alors la voix bien connue de son frère, ‘Âyechah se défit rapidement de ses appréhensions». (“Mohammadan History” de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 310).
La Magnanimité de ‘Alî envers l’ennemi
«’Âyechah pouvait s’attendre logiquement à un traitement sévère de la part de ‘Alî, étant donné qu’elle était son ennemie vindicative et acharnée, mais ‘Alî était trop magnanime pour se venger d’un adversaire vaincu». (“Successors of Mohammad” de W. Irving, p. 179).
Une fois que toutes les confusions liées à la bataille se furent estompées, ‘Alî vint voir ‘Âyechah et lui demanda comment elle allait. Ayant constaté qu’elle allait bien et qu’elle avait été sauvée sans subir aucun mal, il lui dit sur un ton de reproche: «Le Prophète aurait-il accepté que tu agisses ainsi?» Elle répondit: «Tu es victorieux. Sois donc bon envers ton adversaire vaincu». ‘Alî ne lui fit plus de reproches et ordonna à son frère Mohammad d’emmener sa sur à la maison de ‘Abdullâh Ibn Khalaf, un Khozâ’ite, notable citoyen de Basrah, tué alors qu’il combattait pour ‘Âyechah. Celle-ci demanda à son frère de chercher les traces de ‘Abdullâh, fils de Zubayr, qu’on trouvera par la suite, blessé, parmi les morts et les blessés qui jonchaient le champ de bataille.
Selon le désir de ‘Âyechah il fut amené devant ‘Alî pour obtenir son pardon. Le très généreux vainqueur promulgua alors avec magnanimité une amnistie générale pour tous les rebelles et leurs alliés, y compris ‘Abdullâh Ibn Zubayr. Malgré toutes ces mesures de clémence, Marwân et les Omayyades s’enfuirent chez Mu’âwiyeh en Syrie, ou à la Mecque.
Le Carnage dans la Bataille
Les pertes dans cette bataille furent très lourdes. Certains historiens(13) avancent le chiffre de seize mille sept cent quatre-vingt-seize tués parmi les hommes de ‘Âyechah et de mille soixante-dix parmi ceux de ‘Alî. D’autres(14) parlent de dix mille tués parmi les partisans de ‘Âyechah et cinq mille parmi ceux de ‘Alî. En tout état de cause, les cadavres jonchaient le champ de bataille. Une fosse fut creusée dans laquelle furent enterrés sur ordre du Calife aussi bien les partisans que les adversaires tués dans les combats.
La Retraite de ‘Âyechah
Lorsque le calme fut revenu, ‘Alî envoya ‘Abdullâh Ibn ‘Abbâs pour demander à ‘Âyechah de partir pour Médine,(15) mais elle déclina l’offre, insistant sur le fait qu’elle ne voulait pas aller dans un endroit où il y avait des Hâchimites. Quelques propos de reproches furent échangés entre l’émissaire de ‘Alî et ‘Âyechah, et le premier revint auprès du Calife pour lui signifier son refus. Mâlik al-Achtar fut envoyé alors avec la même mission, mais il échoua lui aussi dans sa tentative de la persuader d’accepter l’offre du Calife. Puis ‘Alî lui-même alla la voir et lui dit qu’elle avait le devoir de rester tranquille à sa maison où elle devait aller maintenant afin de retrouver le gîte dans lequel le Prophète l’avait laissée, et d’oublier le passé. «Que Dieu te pardonne, ajouta-t-il, pour ce que tu as fait, et qu’IL te couvre de Sa Clémence». Mais ‘Âyechah ne prêta pas attention à la parole de ‘Alî.
Ce dernier lui envoya enfin, son fils al-Hassan(16) pour l’avertir que si elle persistait dans son refus de regagner son foyer à Médine, elle serait traitée de la façon qu’elle connaissait bien. Lorsqu’al-Hassan arriva, elle était en train de se coiffer, mais ayant entendu le message, elle fut si embarrassée qu’elle laissa ses cheveux à moitié coiffés, se leva tout de suite et donna l’ordre de se préparer immédiatement en vue de voyager. Après le départ d’al-Hassan les dames de la maison lui demandèrent ce que ce garçon avait de particulier qui l’avait mise si mal à l’aise alors qu’elle n’avait pas hésité auparavant à repousser la proposition de Ibn ‘Abbâs, Mâlik al-Achtar et même de ‘Alî lui-même. ‘Âyechah raconta alors comment le Prophète avait donné à ‘Alî le pouvoir de prononcer lui-même le divorce des femmes du Prophète aussi bien de son vivant qu’après sa mort.
«Al-Hassan, dit-elle, était porteur de ce message d’avertissement de ‘Alî» qui lui faisait valoir son autorité, ce qui l’avait mise si mal à l’aise. ‘Alî fit alors les arrangements convenables pour le voyage de ‘Âyechah et ordonna à ses deux fils, al-Hassan et al-Hussayn, de l’escorter pendant une étape, et il l’accompagna lui-même jusqu’à une certaine distance.
»Sur ordre de ‘Alî, ‘Âyechah fut escortée par une suite de femmes (quarante ou soixante-dix), déguisées en hommes, dont l’approche familière fit l’objet de plaintes constantes. Mais une fois arrivée à Médine, ‘Âyechah découvrit la délicatesse de la ruse et devint aussi généreuse, dans sa reconnaissance, qu’elle l’avait été auparavant dans ses reproches». (“Mohammadan History” de Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 310).
Les Butins de Guerre
Comme il a été mentionné plus haut, ‘Alî avait interdit à ses armées tout pillage.
«Ainsi, les ordres de ‘Alî concernant l’interdiction du pillage avaient été respectés avec un tel scrupule que tout ce qu’on avait trouvé sur le champ de bataille ou dans le camp de l’ennemi fut rassemblé dans la grande mosquée, de sorte que chacun pouvait réclamer la restitution de son bien. Aux mécontents qui se plaignaient de n’avoir pas la permission de puiser dans le butin, ‘Alî répondit que les droits de la guerre avaient duré aussi longtemps que les rangs étaient en ordre de bataille, les uns face aux autres, et que tout de suite après leur soumission, les insurgés avaient recouvré leurs droits et privilèges de frères Musulmans. Une fois entré dans la ville, il divisa le contenu du trésor parmi les troupes qui avaient combattu pour lui, tout en leur promettant une récompense encore plus grande lorsque Dieu aurait fait délivrer la Syrie». (“Annals of the Early Caliphate” de W. Muir, p. 366).
Le Transfert du Siège du Gouvernement
Le séjour de ‘Alî à Basrah ne dura pas longtemps. Après avoir nommé ‘Abdullâh Ibn ‘Abbâs Gouverneur de cette ville, le Calife repartit pour Kûfa au mois de Rajab de l’an 36 H. Craignant les mauvais desseins de Mu’âwiyeh à son égard, le Calife considéra Kûfa comme un lieu bien situé pour faire face à toute attaque contre la région de l’Irak ou de la Mésopotamie. Peut-être aussi en reconnaissance de l’assistance qu’il avait reçue de la part des Irakiens, il estima bon de transférer de Médine à Kûfa le siège de son gouvernement. Il fit ainsi de cette ville le centre de l’Islam et la capitale de l’Empire, et c’était d’autant plus à bon escient que Kûfa était géographiquement au centre de ses provinces.
La Zone de Domination de ‘Alî
La conspiration de ‘Âyechah, Talhah et Zubayr ayant fait long feu sur le champ de bataille de Khoraybah, ‘Alî jouit d’une victoire qui lui assurait désormais une domination totale sur un territoire s’étendant du Khorâsân à l’est à l’Egypte à l’ouest, à l’exception des provinces situées au nord-ouest de l’Arabie, lesquelles étaient sous l’influence du gouverneur de Syrie, Mu’âwiyeh.
Les Activités Préliminaires de Mu’âwiyeh
Nous avons déjà noté que pendant son séjour à Médine, à l’occasion de sa visite au Calife ‘Othmân, Mu’âwiyeh avait demandé un jour à Ka’b al-Ahbar de prédire comment les troubles actuels contre ‘Othmân se termineraient. Ka’b avait prédit que ‘Othmân serait assassiné et qu’après une longue course la Mule Grise (c’est-à-dire Mu’âwiyeh) réussirait à s’emparer du pouvoir. Confiant dans cette prédiction, Mu’âwiyeh cherchait les occasions susceptibles de le mener à l’autorité suprême et n’omettait jamais de faire le nécessaire pour réaliser cet objectif qu’il ne perdra jamais de vue dans toutes les actions qu’il entreprendra.
Et c’est par rapport à cet objectif qu’il faut comprendre pourquoi Mu’âwiyeh ne s’était pas empressé d’envoyer le secours(17) demandé par ‘Othmân lorsque celui-ci avait été assiégé, pourquoi, une fois ‘Othmân assassiné, il s’était attaché à inciter les Syriens à venger son sang en exhibant du haut de sa chaire la chemise ensanglantée du Calife assassinée, pourquoi il avait retenu pendant longtemps le messager de ‘Alî et évité de donner une réponse définitive à sa demande de lui faire son allégeance, espérant ainsi que l’esprit de révolte ne tarderait pas à se répandre parmi les Syriens, pourquoi il avait rassemblé autour de lui tous les notables en disgrâce, tels que ‘Obaydullâh (le fils du Calife ‘Omar, le meurtrier qui avait fui, de peur d’être traduit en justice devant ‘Alî),(18) ‘Abdullâh Ibn Abî Sarh (l’ex Gouverneur d’Egypte, qui avait été révoqué lorsque ‘Alî avait accédé au Califat), Marwân (le Secrétaire et le mauvais génie du Calife ‘Othmân), ainsi que presque tous les proches partisans de ce Calife, et les Omayyades qui avaient fui chez lui après la défaite de ‘Âyechah à Basrah, pourquoi il s’était assuré l’alliance de ‘Amr Ibn al-‘Âç, le conquérant de l’Egypte et l’ex-Gouverneur de ce pays, maintenant résidant en Palestine en tant que propriétaire, mais aussi en tant que contestataire (ayant obtenu l’assurance de Mu’âwiyeh de reprendre son poste de gouverneur de ce pays en contrepartie de sa coopération en vue de la déposition de ‘Alî, il prêta serment d’allégeance à Mu’âwiyeh, le reconnaissant comme le Calife légal en présence de toute l’armée, laquelle lui emboîta le pas, et fut suivie par le grand public de la Syrie, qui se joignit à cette cérémonie d’acclamation),(19) pourquoi il avait cherché l’allégeance(20) de nombreux Compagnons distingués du Prophète, tels que Sa’d Ibn Abî Waqqâç, ‘Abdullâh Ibn ‘Omar, Osâmah Ibn Zayd, Mohammad Ibn Maslamah qui s’étaient fait remarquer par leur non-prestation de serment d’allégeance à ‘Alî lors de l’inauguration de son Califat, mais qui avaient rejeté également la sollicitation de Mu’âwiyeh et lui avaient écrit des lettres de reproches, choisissant ainsi, de rester à l’écart des deux parties (à cette époque, Abû Horayrah, Abû al-Dardâ’, Abû Osâmah al-Bâhilî et No’mân Ibn Bachîr al-Ançârî étaient les seuls Compagnons du Prophète en service auprès de la Cour de Mu’âwiyeh), pourquoi, étant pendant plus de vingt ans le Gouverneur de cette riche province de Syrie et ayant adopté une politique clairvoyante depuis le tout début, comme nous l’avons déjà noté, il avait amassé un immense trésor et préparé une puissante armée qui lui était totalement inféodée.
Maintenant, les préjugés tendant à impliquer ‘Alî dans l’assassinat de ‘Othmân, qu’il avait inculqués perfidement aux Syriens en général et à l’armée en particulier, militaient en sa faveur. La chemise tachée du sang de ‘Othmân pendait encore sur la chaire dans la grande mosquée de Damas, et les gens, enflammés par la vue de cet objet macabre, sanglotaient à chaudes larmes et criaient vengeance contre les meurtriers et leurs protecteurs. Tel était le terrible adversaire à qui ‘Alî avait affaire après en avoir fini avec ‘Âyechah, Talhah et Zubayr.
La Marche de ‘Alî vers la Frontière Syrienne
Ayant été mis au courant de toutes ces agitations en Syrie, ‘Alî essaya une fois de plus (en Cha’bân 36 H., soit Janvier 657 ap. J. -C.) de recourir aux moyens pacifiques pour régler la situation, en envoyant à Mu’âwiyeh un chef des Banî Bajila , nommé Jarîr, Gouverneur de Hamadân, qui se trouvait à ce moment-là à Kûfa à la suite de la convocation qu’il avait reçue pour prêter serment d’allégeance au nouveau Calife. Il était connu pour ses relations amicales avec Mu’âwiyeh. Son retour à Kûfa se fit attendre avec angoisse. Finalement, il y revint, après trois mois d’absence, porteur d’un message oral de Mu’âwiyeh, selon lequel ce dernier ne pourrait faire son allégeance que si les meurtriers de ‘Othmân étaient punis.
Mâlik al-Achtar accusa le messager d’avoir perdu son temps à prendre du plaisir en compagnie de Mu’âwiyeh, lequel le retint intentionnellement aussi longtemps que possible afin d’achever l’élaboration de ses plans d’hostilité. Prétendant être offensé par cette imputation, Jarîr quitta Kûfa et rejoignit Mu’âwiyeh.
Constatant qu’il n’y avait aucun espoir à ramener Mu’âwiyeh à la raison, ‘Alî se résolut à marcher sur la Syrie sans plus attendre. Au mois de Thilqa’dah, 36 H. (soit en Avril 657 ap. J. -C.) il envoya un détachement comme garde avancée pour le rencontrer à Riqqah, alors qu’il se dirigeait, avec son armée vers Madâ’in. De là, il dépêcha un contingent, et marcha à travers le désert mésopotamien.
La Source Miraculeuse dans le Désert Mésopotamien
Sur sa route, il dut faire halte à un endroit, où il n’y avait pas d’eau disponible, et le manque s’en fit profondément ressentir par l’armée. Un ermite chrétien qui vivait dans une grotte près du campement de l’armée fut appelé, et on lui demanda de trouver un puits. Il assura à ‘Alî qu’il n’y avait pas de puits à proximité, mais un simple réservoir ne contenant pas plus de trois seaux d’eau de pluie.
‘Alî lui dit alors: «Je sais pourtant que certains des Prophètes de Banî Isrâ’îl des époques reculées ont fixé leur demeure à cet endroit, et creusé un puits pour leur réserve d’eau». L’ermite répondit que lui aussi en avait entendu parler, mais que le puits avait été rebouché depuis bien longtemps, qu’il n’en restait aucune trace, et que selon une vieille tradition, personne si ce n’était un prophète ou quelqu’un d’envoyé par un prophète, ne le découvrirait ni ne l’ouvrirait.
«Puis, dit la tradition arabe, il présenta un rouleau de parchemin sur lequel Simeon Ibn Çafâ (Simon Cephos), l’un des plus grands apôtres de Jésus-Christ, avait écrit la prédiction de la venue de Mohammad, le dernier des Prophètes, et la découverte et la réouverture de ce puits par son héritier et successeur légal.(21) ‘Alî écouta attentivement cette prédiction, puis se tournant vers ses accompagnateurs et pointant son doigt sur un endroit précis, leur dit: “Creusez ici”. Ils s’exécutèrent et après quelque temps de creusement ils heurtèrent une énorme pierre qu’ils déplacèrent avec beaucoup de difficultés pour découvrir le puits miraculeux qui fournit à l’armée une provision bien opportune, ainsi que la preuve de la légitimité du Califat de ‘Alî. Le vénérable ermite fut complètement convaincu, se jeta aux pieds de ‘Alî et embrassa ses genoux, et il ne le quitta plus jamais à l’avenir». (“Successors of Mohammad” de W. Irving, p. 180).
Après avoir remercié Dieu et pris suffisamment d’eau pour l’année, ‘Alî se remit en route. Traversant le désert mésopotamien, il arriva à Riqqah, aux bords de l’Euphrate. Un pont de bateaux fut installée et l’armée traversa le fleuve, puis s’avança vers l’ouest où elle rencontra l’avant-poste syrien à Sour-al-Rûm. Après quelques escarmouches entre les avant-gardes des deux armées, l’ennemi prit la fuite et l’armée de ‘Alî poursuivit son avance pour arriver à un point où elle était en vue du principal corps des forces de Mu’âwiyeh, déjà stationnées à Çiffîn. (Mois de Thilhaj, 36 H., soit Mai 657 ap. J. -C.).
Notes:
- “Târîkh Islâm (History of Islam)” de Zakir Hussayn, vol. II, p. 100.
- “Al-Tabarî”; “Ibn Athîr”; “Rawdhat al-Ahbâb”.
- “Târîkh al-Khamîs”.
- Ibid.
- “Rawdhat al-Ahbâb”; Al-Baghawî dans son “Mu’jam”.
- “Rawdhat al-Ahbâb”; “Târîkh al-Khamîs”; “Rawdhat al-Çafâ'”; “Habîb al-Sayyâr”.
- “Abdul-Fidâ'”; “Ibn Athîr”.
- “Rawdhat al-Ahbâb”; “Izâlat al-Khifâ”; “Târîkh al-Khamîs”.
- “Târîkh al-Khamîs”.
- “Madârij al-Nubuwwah”; “Mustadrak al-Hâkim”; “Firdaws al-Akhbâr”.
- “Tafsîr al-Durr al-Manthûr”; “Al-Sîrah al-Muhammadiyyah”; “Al-Sîr al-Halabiyyah”; Târîkh al-Khamîs”; Rawdhat al-Ahbâb”.
- “Abul-Fidâ'”; “Habîb al-Sayyâr”; “Al-Tabarî”.
- “Ibn Sa’d”: “Ibn Hajar”; “Ibn Monda”.
- “Çahîh al-Bokhârî”.
- Mo’attah: le fils d’un cousin maternel d’Abû Bakr, Zayd Ibn Rifâ’ah; Hamna Bint Johach et ‘Abdullâh Ibn Obay, accusèrent ‘Âyechah de libertinage, et le poète Hassan, récita des épigrammes contre elle. ‘Abdullâh Ibn Obay fut le premier à soulever le scandale et à l’attiser au maximum par haine contre Mohammad.
- “Ibn Athîr”; “Izâlalat al-Khifâ”; “Madârij al-Nubuwwah”; “Habîb al-Sayyâr”; “Rawdhat al-Ahbâb”.
- “Ibn Athîr”; “Rawdhal al-Ahbâb”; “Habîb al-Sayyâr”; “Ibn Hichâm”.
- “Abul-Fidâ'”; “Habîb al-Sayyâr”; “Ibn Jâbir”.
- “Al-Tabarî”; “Ibn Athîr”; “Ibn Hichâm”.
- “Abul-Fidâ'”.
- “Habîb al-Sayyâr”; “Târîkh al-Kirâm”.