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La structure générale de l’Economie islamique se compose de trois piliers qui en déterminent le contenu doctrinal et la font se distinguer de toutes les autres doctrines économiques dans leurs lignes générales. Ces piliers sont :
1- Le principe de la double propriété.
2- Le principe de la liberté économique dans un cadre limité.
3- Le principe de la justice sociale.
Nous allons expliquer et interpréter ces trois piliers principaux pour nous faire une idée générale de l’Economie islamique et pour pouvoir par conséquent traiter d’une façon plus exhaustive de ses détails et de ses traits caractéristiques doctrinaux.
Le principe de la double propriété.
L’Islam diffère substantiellement du capitalisme et du socialisme quant au type de propriété qu’il admet.
La société capitaliste croit, en effet, à la forme particulière et individuelle de la propriété – c’est-à-dire la propriété privée – comme règle générale. Elle reconnaît aux individus le droit à la propriété privée de toutes les sortes de richesses du pays selon leurs activités publiques, et n’y apporte de restrictions que lorsque la nécessité sociale l’impose, et que l’expérience établit un tel secteur public. Ainsi cette nécessité constitue un cas de dérogation au principe de la propriété privée et permet d’y faire exception pour un secteur donné ou une richesse donnée.
La société socialiste fait exactement le contraire. La propriété commune y est le principe général qui s’applique à toutes les sortes de richesses du pays, et la propriété privée de certaines richesses du pays n’y est qu’une anomalie et une exception, qu’on pourrait admettre parfois à la suite d’une nécessité sociale contraignante.
C’est à partir de ces deux théories opposées, du capitalisme et du socialisme, qu’on appelle “société capitaliste” toute société qui croit à la propriété privée comme principe unique, et à la nationalisation comme une exception et un palliatif à une nécessité sociale, et “société socialiste” toute société qui considère la propriété socialiste comme étant le principe, et qui ne reconnaît la propriété privée que dans des cas exceptionnels.
Quant à la société islamique, elle ne comporte la caractéristique essentielle d’aucune des deux sociétés précitées. Car la Doctrine islamique ne s’accorde ni avec le capitalisme dans son affirmation que la propriété privée est le principe, ni avec le socialisme lorsqu’il considère la propriété socialiste comme principe général. Elle admet en même temps les différentes formes de la propriété lorsqu’elle adopte le principe de la double propriété (propriété à formes diverses) au lieu de celui de la forme unique de la propriété que font leur le capitalisme et le socialisme. C’est un principe qui croit à la propriété privée, à la propriété publique et à la propriété de l’Etat. Il consacre à chacune de ces trois formes de propriété un champ particulier dans lequel elle œuvre, et il ne considère aucune d’elles comme une anomalie, une exception ou un remède provisoire exigé par les circonstances.
Il est donc erroné d’appeler la société islamique, une société capitaliste, même lorsqu’elle autorise la propriété privée d’un certain nombre de capitaux et de moyens de production ; car la propriété privée n’y est pas la règle générale. De même il est erroné de l’appeler société socialiste même si elle (la société islamique) se sert du principe de la propriété publique et de la propriété de l’Etat, pour certaines richesses et certains capitaux, étant donné que la forme socialiste de la propriété n’y est pas la règle générale. Et enfin, il est aussi erroné de la considérer comme un mélange de celle-ci et de celle-là, car la diversité des formes principales de la propriété dans la société islamique ne signifie pas que l’Islam est un mélange des deux doctrines capitaliste et socialiste, ni qu’il a adopté un aspect de chacune d’elles. Il faut voir dans cette diversité des formes de la propriété qui le caractérise comme un plan doctrinal original fondé sur des règles de pensée précises, et comme un sujet inclus dans un cadre particulier de valeurs et de conceptions qui contredisent les bases, les règles, les valeurs et les conceptions sur lesquels ont été fondés le capitalisme libéral et le socialisme marxiste.
La preuve la plus évidente de la justesse de la position islamique vis-à-vis de la propriété (possession fondée sur le principe de la double propriété) nous est fournie par la réalité de l’expérience capitaliste et de l’expérience socialiste elles-mêmes, puisque chacune d’elles a été contrainte d’admettre la forme de propriété de l’autre, donc de reconnaître la nécessité d’une forme de propriété opposée à celle qui constitue la règle générale chez elle après que la réalité leur a prouvé l’erreur de l’idée de la forme unique de propriété.
Ainsi, la société capitaliste a commencé depuis longtemps à appliquer l’idée de la nationalisation et à exclure certains secteurs du cadre de la propriété privée. Ce mouvement de nationalisation constitue un aveu, de la part des sociétés capitalistes, de l’inadéquation du principe capitaliste de la propriété, et une tentative de pallier les complications et contradictions découlant de ce principe.
De même, la société socialiste, malgré son jeune âge, s’est trouvée, sur un autre plan, elle aussi contrainte de reconnaître la propriété privée, tantôt d’une manière légale, tantôt illégale. L’exemple de l’aveu légal est illustré par l’Article sept de la Constitution soviétique, qui stipule : «Chacune des familles de la ferme coopérative obtient, outre le revenu principal provenant de l’Economie commune de la ferme coopérative, un morceau de terrain qui lui est propre et rattaché au lieu de logement ; ce terrain lui permet donc d’avoir une maison d’habitation, une Economie supplémentaire, du bétail productif, des volailles et des instruments agricoles simples, à titre de propriété privée.» L’Article neuf aussi autorise les paysans et les artisans à posséder, individuellement, de petits projets économiques, et permet la constitution de ces petites propriétés à côté du système socialiste en vigueur.
Le principe de la liberté économique dans un cadre limité.
Le second pilier de l’Economie islamique est le fait d’accorder aux individus une liberté économique, dans les limites des valeurs morales et éthiques auxquelles croit l’Islam.
Dans ce pilier également, nous remarquons une différence saillante entre l’Economie islamique d’une part et les deux Economies capitaliste et socialiste de l’autre. Ainsi, alors que les individus jouissent de libertés illimitées dans l’Economie capitaliste, et que l’Economie socialiste confisque la liberté de tout le monde, l’Economie islamique adopte une attitude conforme à sa nature générale en autorisant les individus à exercer leurs libertés dans le cadre de valeurs et d’idéaux qui domptent et polissent la liberté, et en font un instrument de bien pour toute l’humanité.
La limitation islamique de la liberté sociale dans le domaine économique est de deux sortes:
1- L’autolimitation qui émane des profondeurs de la personne et qui puise son crédit dans le contenu spirituel et intellectuel de la personnalité islamique.
2- La limitation objective qui exprime une force extérieure délimitant et réglant la conduite sociale.
L’autolimitation :
Elle se forme dans le cadre de l’éducation spéciale que l’Islam dispense à l’individu dans une société où l’Islam régit tous les secteurs de la vie (de la société islamique). En effet, les cadres intellectuels et spirituels à l’intérieur desquels l’Islam forge la personnalité islamique, lorsqu’il offre l’occasion d’entrer dans la réalité de la vie et de faire l’histoire sur la base de cette réalité, ont une force morale énorme et exercent une grande influence sur l’autolimitation ou la limitation naturelle de la liberté accordée aux individus de la société islamique et sur son orientation dans la discipline, et sans que les individus aient le sentiment que leurs libertés seraient tant soit peu confisquées, car la limitation étant le produit de leur réalité spirituelle et intellectuelle, les individus n’y voient pas une limitation de leurs libertés. C’est pourquoi autolimitation n’est pas vraiment une limitation de la liberté, mais une opération de formation du contenu intérieur de l’homme libre, une formation morale et saine, dans laquelle la liberté accomplit son vrai message.
Cette autolimitation a produit des résultats splendides et des effets grandioses dans la formation de la nature de la société islamique et son tempérament général. Bien que l’expérience islamique complète fût de courte durée, elle a porté ses fruits et fait exploser dans l’âme humaine ses possibilités idéales et sublimes tout en donnant à l’humanité un crédit spirituel riche en sentiments de justice, de bien, et de bienveillance. Et si cette expérience s’était prolongée dans la vie plus longtemps que la courte période historique qu’elle a vécue effectivement, elle aurait pu prouver la compétence de l’humanité pour être le représentant d’Allah sur la terre, forger un nouveau monde imprégné de sentiments de justice et de miséricorde, et extirper de l’âme humaine tous les éléments de mal et tous les mobiles d’injustice et de corruption qu’il est possible d’extirper.
En outre, il ne faut pas oublier que l’une des conséquences bénéfiques de autolimitation est le fait que celle-ci demeure la seule garantie fondamentale des œuvres bonnes dans la Communauté musulmane, depuis que l’Islam a cessé son expérience de la vie et perdu sa direction politique et son imamat social. Et bien que les Musulmans se soient écartés de l’esprit de cette expérience et de cette direction d’une distance temporelle de plusieurs siècles, et d’une distance spirituelle dont la mesure est le degré d’abaissement de leurs niveaux intellectuel et psychologique, et de leur accoutumance à d’autres modes de vie sociale et politique, autolimitation dont le premier noyau fut posé par l’Islam lors de son expérience complète de la vie, a joué un rôle positif et efficace dans le maintien des œuvres bonnes qui se traduit par le fait que des millions de Musulmans payent de leur plein gré, lequel est cristallisé dans le cadre de cette autolimitation, la Zakât et d’autres obligations contractées envers Allah, et contribuent à la réalisation des conceptions islamiques de la justice sociale. A la lumière de ce fait, combien plus grands auraient été les résultats si ces Musulmans vivaient l’expérience islamique complète, et si leur société était l’incarnation complète de l’Islam, dans ses pensées, ses valeurs et sa politique, et l’expression pratique de ses conceptions et idéaux.
La limitation objective de la liberté :
Elle signifie ici la limitation imposée de l’extérieur, par la force de la Loi, à l’individu dans la société islamique. Cette limitation objective de la liberté en Islam est fondée sur le principe selon lequel il n’y a pas de liberté pour l’individu en ce qui concerne les activités qui s’opposent aux idéaux et aux objectifs à la nécessité desquels l’Islam croit, et qui sont explicitement soulignés dans la Charî’ah.
On a exécuté ce principe en Islam de la façon suivante :
La Charî’ah s’est chargée, dans ses sources générales, d’interdire explicitement une série d’activités économiques et sociales, telles que l’usure, le monopole, etc., susceptibles, selon l’optique islamique, d’entraver la réalisation de certains idéaux et valeurs adoptés par l’Islam.
La Charî’ah(1) a posé le principe de la supervision, par le Tuteur(2), de l’activité générale, et de l’intervention de l’Etat dans la limitation des libertés des individus dans les travaux qu’ils exercent, et ce, afin de protéger et de préserver les intérêts généraux. Il était nécessaire pour l’Islam de poser ce principe afin de garantir à la longue la réalisation de ses idéaux et de ses conceptions de la justice sociale. Car les exigences de la justice sociale à laquelle appelle l’Islam diffèrent selon les circonstances économiques de la société et les situations matérielles qu’elle traverse. Ainsi, une activité donnée pourrait être nuisible à la société et à son entité à un certain moment historique, et non pas à un autre. Aussi ne peut-on pas en expliciter les détails dans des formules constitutionnelles constantes. Le seul moyen possible est de permettre au Tuteur d’exercer sa fonction en sa qualité d’autorité chargée de surveiller, orienter et limiter les libertés afin que leur exercice légal soit conforme à l’idéal islamique de la société.
L’origine législative du principe de la supervision et de l’intervention est le noble Coran, et précisément dans ce Verset :
«Obéissez à Allah, obéissez au Prophète et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité.» (3)
Ce Texte indique clairement la nécessité d’obéir au Tuteur (celui qui détient l’autorité). Si les Musulmans divergent quant à la nomination et à la détermination des conditions et des qualités des Tuteurs, ils sont unanimement d’accord pour dire que ceux-ci sont les détenteurs de l’autorité légale dans la société islamique. L’autorité islamique suprême a donc droit à l’obéissance, et dispose du droit d’intervenir en vue de protéger la société et d’y réaliser l’équilibre islamique, à condition toutefois que cette intervention se situe dans le cadre de la Charî’ah sacrée. L’Etat, ou le Tuteur, n’a pas le droit, par exemple, de légaliser l’usure, d’autoriser la tromperie, de suspendre la loi sur l’héritage, ou d’abolir une propriété établie dans la société selon une base islamique. En Islam, le Tuteur est autorisé seulement à intervenir dans les conduites et les activités dans lesquelles la Charî’ah lui laisse la liberté d’action. Il peut ainsi les interdire ou les imposer conformément à l’idéal social islamique. La mise en valeur de la terre, l’extraction des minerais, le creusement de cours d’eau et d’autres activités et commerces similaires sont autorisés généralement par la Charî’ah, laquelle a fixé pour chacune des activités de ce genre des conséquences légales qui en découlent. Si le Tuteur estime qu’il faut entreprendre ou interdire l’une de ces activités, dans les limites de ses compétences, il peut le faire conformément au principe précité.
Le Saint Prophète (saw) appliquait ce principe d’intervention lorsque le cas l’exigeait et que la situation nécessitait intervention et orientation. Parmi les exemples illustrant cette intervention, citons ce que le Hadith(4) lui attribue : le Saint Prophète (saw) a déclaré aux gens de Médine, concernant l’eau d’arrosage des dattiers, que l’on n’interdise pas l’utilisation d’une chose, et aux gens de la “Bâdiyah”, que l’on n’interdise pas le surplus d’une eau afin de ne pas interdire le surplus de l’herbe. Et il a dit : «Ni dommage ni endommagement.» (5)
Il est évident pour les faqîh(6) que le fait d’empêcher l’utilisation d’une chose, ou du surplus de l’eau, n’est pas prohibé d’une manière générale dans la sainte Charî’ah. A la lumière de quoi nous comprenons que l’interdiction faite par le Saint Prophète (saw) aux gens de Médine de faire obstacle à une chose, ou d’empêcher le surplus de l’eau, n’a pas été prononcée en sa qualité de Messager chargé de communiquer les “statuts légaux”(7) généraux, mais en sa qualité de Tuteur, responsable de l’organisation de la vie économique de la société et de son orientation d’une façon qui ne s’oppose pas à l’intérêt général qu’il apprécie lui-même. C’est sans doute la raison pour laquelle le “récit”(8) a exprimé la prohibition du Saint Prophète (saw) par le terme “décret” et non “interdiction”, étant donné que le “décret” est une sorte de “jugement”(9).
Le principe de la justice sociale.
Le troisième pilier de l’Economie islamique est le principe de la justice sociale, que l’Islam a incarnée en pourvoyant le système de distribution de la richesse dans la société islamique, en éléments et garanties assurant à la distribution la possibilité de réaliser la justice sociale, et mettant ledit système en harmonie avec les valeurs sur lesquelles il est fondé. En effet, lorsque l’Islam a inclus la justice sociale dans les principes essentiels dont est constitué son principe économique, il n’a pas adopté la justice sociale dans sa conception générale abstraite, ni ne s’en est réclamé d’une façon susceptible d’accepter toutes sortes d’interprétations, ni ne l’a confiée aux sociétés humaines qui diffèrent dans leurs visions de la justice sociale selon la différence de leurs idées sur la civilisation et de leur conceptions de la vie…
L’Islam a déterminé et cristallisé ce principe dans un plan social spécifique, et a pu par la suite incarner ce plan dans une réalité sociale vivante dans les artères et veines de laquelle coule la conception islamique de la justice.
Il ne suffit pas de connaître de l’Islam son appel à la justice sociale, mais il faut connaître aussi ses conceptions détaillées de la justice et la signification islamique particulière de celle-ci.
L’image islamique de la justice sociale comporte deux principes généraux. Le premier est le principe de la solidarité générale ; l’autre est le principe de l’équilibre social. C’est par cette solidarité et cet équilibre, compris dans leur conception islamique, que se réalisent les valeurs de la justice sociale, et c’est par eux que s’incarne l’idéal islamique de la justice sociale, comme nous le verrons dans un chapitre prochain.
Les pas que l’Islam a franchis, dans son expérience historique rayonnante, pour instaurer la meilleure société humaine, ont montré clairement combien il prend soin de ce troisième pilier principal de son Economie. Ce soin s’est reflété clairement dans le premier discours prononcé par le Saint Prophète (saw) lorsqu’il a entrepris la première action politique dans son nouvel Etat. En effet, selon les “récits”, le Saint Prophète (saw) a inauguré ses communiqués d’orientation par le discours suivant :
«O gens ! Oeuvrez en vue de votre Salut final. Par Allah ! Sachez qu’Allah peut faire mourir chacun de vous (à tout moment) en laissant ses moutons sans berger. Puis son Seigneur lui dira : «Mon Messager n’est-il pas venu pour te communiquer Mon Message ? Ne t’ai-Je pas accordé des biens et des faveurs ? Qu’as-tu donc fait pour ton Salut ?» L’homme regardera alors à gauche et à droite, et il ne verra rien. Puis il regardera devant lui, et il ne verra que l’Enfer. Donc, quiconque peut s’épargner l’Enfer, qu’il le fasse -même avec (en offrant) la moitié d’une datte. Et s’il ne le peut pas, qu’il le fasse avec un mot gentil, lequel peut récompenser une bonne action de dix à sept cents fois sa valeur. Que la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions d’Allah soient sur vous.»
Il a commencé son action politique par la fraternisation qu’il a établie entre les Muhajirîn (les Emigrés) et les Ançar (les Partisans), et l’application du principe de la solidarité entre eux, en vue de réaliser la justice sociale escomptée par l’Islam.
Tels sont donc les piliers principaux de l’Economie islamique :
1- Une propriété à formes multiples en fonction desquelles se détermine la distribution.
2- Une liberté limitée par les valeurs islamiques dans les domaines de la production, de l’échange et de la consommation.
3- Une justice sociale garantissant à la société son bonheur, et dont l’ossature est la solidarité et l’équilibre.
Deux caractéristiques essentielles de la Doctrine économique islamique.
La Doctrine économique islamique a deux qualités essentielles qui rayonnent de tous ses détails et lignes. Ce sont le réalisme et la morale. En effet, l’Economie islamique est à la fois réaliste et morale dans les buts qu’elle veut réaliser et dans la méthode qu’elle adopte.
C’est une Economie réaliste dans ses buts, car elle vise, dans ses règlements et lois, des buts qui concordent avec la réalité de l’humanité dans toute sa nature, ses penchants et ses caractéristiques générales, et s’efforce toujours de ne pas épuiser l’humanité dans ses calculs législatifs et de ne pas la faire voler vers des horizons fictifs lointains qui ne sont pas à sa portée. Elle fonde toujours son plan économique sur la vision réaliste de l’homme, et poursuit des buts réalistes qui se conforment à cette vision. Une Economie utopiste, l’Economie communiste par exemple, se plairait à se fixer un but irréaliste et à aspirer à la réalisation d’une humanité nouvelle, dépouillée de tous les penchants égoïstes, capable de distribuer entre ses membres le travail et les biens sans le recours à un appareil gouvernemental chargé de cette distribution, et dépourvue de toute sorte de discorde et de lutte. Mais cette vision ne concorde pas avec la nature de la Législation islamique et le réalisme qui caractérise ses buts et objectifs.
En outre, c’est une Economie réaliste dans sa méthode aussi. De même qu’elle vise des buts réalistes et réalisables, de même elle garantit la réalisation de ces buts d’une façon réaliste et matérielle, et ne se contente pas d’une garantie sous forme de conseils et d’orientations prodigués par des prédicateurs et des conseillers, car elle veut parvenir à la réalisation de ses buts, et ne se contente pas de les laisser à la merci du hasard et de la conjoncture. Ainsi, lorsqu’elle vise par l’exemple l’instauration de la solidarité générale dans la société, elle ne se contente pas, pour ce faire, de mesures d’orientation et de galvanisation de sentiments, mais recourt à une garantie législative qui rend la réalisation de cette solidarité irréversiblement nécessaire.
La deuxième qualité de l’Economie islamique, la qualité morale, signifie, en ce qui concerne le but, que l’Islam ne choisit pas les objectifs qu’il s’efforce d’atteindre dans la vie économique de la société, à partir des circonstances matérielles et des conditions naturelles indépendantes de l’homme lui-même, comme cela est le cas du marxisme dont les buts sont inspirés de la situation et des circonstances des forces productives. L’Islam regarde ces buts comme étant l’expression des valeurs pratiques dont la réalisation est moralement nécessaire. Lorsqu’il décide la garantie de la vie de l’ouvrier, par exemple, il ne pense pas que cette garantie sociale qu’il a fixée, découle des circonstances matérielles de la production, mais la considère en tant qu’une valeur pratique qu’il faut réaliser, comme nous allons l’étudier d’une façon détaillée dans des pages suivantes de ce chapitre.
La qualité morale, sur le plan de la méthode, signifie que l’Islam s’intéresse au facteur psychologique dans la méthode qu’il suit pour atteindre ses buts et objectifs. Dans la méthode qu’il propose à cet effet, il ne se contente pas de s’occuper de l’aspect objectif seulement, c’est-à-dire la réalisation de ces objectifs, mais prend un soin particulier à insérer le facteur psychologique et subjectif dans la méthode de réalisation de ces buts. On pourrait par exemple prendre de l’argent au riche pour satisfaire les besoins du pauvre, réalisant ainsi l’objectif que l’Economie islamique poursuit à travers le principe de la solidarité. Mais cela n’est pas tout dans le calcul de l’Islam. Il y a en Islam la méthode par laquelle on doit réaliser la solidarité générale. Car cette méthode pourrait signifier tout simplement l’utilisation de la force pour prélever un impôt sur les biens des riches pour satisfaire les besoins des pauvres. Mais bien que ceci suffise pour réaliser l’aspect objectif du problème, c’est-à-dire la satisfaction des besoins du pauvre, l’Islam ne l’admet pas, étant donné que la méthode de la réalisation de la solidarité est dépourvue d’une motivation morale et du facteur de bienfaisance dans l’âme du riche. C’est pourquoi l’Islam est intervenu pour faire des obligations fiscales, par lesquelles il vise l’instauration de la solidarité, des actes cultuels légaux (prescrits) qui doivent émaner d’une motivation intérieure éclairée poussant l’homme à participer, d’une façon consciente et volontaire, et dans l’espoir de se rapprocher d’Allah et de le contenter, à la réalisation des buts de l’Economie islamique.
Il n’est pas étonnant que l’Islam s’occupe tellement de ce facteur psychologique et qu’il prenne un soin particulier à la forger spirituellement et intellectuellement conformément à ses buts et conceptions ; car la nature des facteurs subjectifs qui se meuvent dans l’âme humaine a une grande influence sur la formation de la personnalité de l’homme et la détermination de son contenu spirituel. De même, le facteur objectif exerce une influence importante sur la vie sociale, ses problèmes et les solutions de ces problèmes. Il devient évident pour tout le monde aujourd’hui que le facteur psychologique joue un rôle principal dans le domaine économique : il influe sur l’avènement des crises périodiques dont souffre énormément l’Economie européenne, et affecte également la courbe de l’offre et de la demande, la productivité de l’ouvrier et d’autres éléments de l’Economie.
L’Islam ne se borne pas, dans sa Doctrine et ses Enseignements, à organiser la façade extérieure de la société, mais pénètre dans ses profondeurs spirituelles et intellectuelles pour créer une harmonie entre le contenu intérieur et le plan économique et social qu’il établit. Il ne se contente pas, dans sa méthode, de choisir n’importe quel moyen susceptible de réaliser ses buts, mais fusionne ce moyen dans le facteur psychologique et la motivation subjective qui concordent avec lesdits buts et leurs conceptions.
Notes:
1-La Loi islamique, la Législation islamique.
2-L’autorité légale.
3-Sourate al-Nisâ’, 4 : 59
4-Parole du Prophète
5- «Lâ Dharara wa lâ Dhirâr»
6-Faqîh : jurisconsulte.
7-Al-Ahkâm al-Char’iyyah
8-Riwâyah
9-Certains faqîh ont pensé que le décret du Prophète (saw) concernant le non-interdiction du surplus de l’eau ou de l’utilisation d’une chose, est une interdiction de contrainte et non une interdiction de prohibition. S’ils ont été acculés à ce type d’interprétation, et à écarter le caractère d’inévitabilité et d’obligation du décret du Prophète, c’est parce qu’ils ont considéré que le hadith en question ne peut avoir que l’une des deux significations suivantes : ou bien l’interdiction du Prophète est une prohibition, auquel cas l’interdiction du surplus de l’eau et de l’herbe est prohibée dans la Charî’ah, à l’instar de la prohibition de l’alcool et d’autres prohibitions générales, ou bien cette interdiction a pour effet de suggérer au propriétaire qu’il est préférable et qu’il vaut mieux qu’il offre généreusement le surplus de son eau. Et étant donné que la première signification est étrangère à l’esprit de la jurisprudence, il faut donc retenir la seconde interprétation. Mais ceci ne justifie pas en réalité que l’on interprète le décret du Saint Prophète et qu’on le traduise comme un “tarjîh” (préférence) et “istihsân” (approbation comme bien), dès lors que nous pouvons conserver audit décret son caractère d'”inévitabilité” et d’obligation, comme le texte nous le suggère, et de le comprendre en tant que jugement émis par le Prophète en sa qualité de Tuteur (Gouvernant légal) vu les circonstances particulières dans lesquelles vivaient les Musulmans, et non pas en tant que jugement légal général semblable à la prohibition de l’alcool et des jeux de hasard.