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1 – Difficultés de l’enquête
Si quelqu’un me demande de lui préciser certain aspect de la théorie des « Idées platoniciennes », je puis supposer que mon interlocuteur est déjà au courant de la philosophie; je n’aurai donc pas à lui raconter la vie de Platon, ni à lui expliquer ce que c’est que la Grèce, ce que c’est que la philosophie en général et la philosophie grecque en particulier. Il en sera de même pour tous les philosophes et les thèmes familiers à nos programmes; nous disposons de références préalablement acquises, lesquelles allègent nos dialogues.
En revanche, si le même interlocuteur, résolu à sortir de son « provincialisme culturel », me demande de lui expliquer ce que c’est que le shî’isme duodécimain dont il m’avoue ignorer à peu près tout, me voilà jeté d’emblée dans un certain embarras, dans la crainte d’avoir à expliquer obscurum per obscurius.
Je puis commencer par répondre que le mot shî’isme est un mot français bien étrange, car il est formé d’un suffixe tiré du grec et accolé à un élément tiré du mot arabe shî’a, lequel provient d’une racine verbale connotant l’idée de suivre, accompagner.
Le mot shî’a peut désigner en arabe tout groupe d’adhérents et d’adeptes, une école (on parlera, par exemple, de la shî’a de Platon); mais employé de façon absolue, c’est le terme par lequel se désignent eux-mêmes, en Islam, ceux qui ont conscience de professer l’Islam authentique et intégral, parce qu’ils sont les adhérents et les adeptes des Douze Imâms.
Il me faudra immédiatement préciser que le mot imâm veut dire « celui qui se tient devant », « celui qui guide ». Parce que dans l’usage liturgique général, l’imâm est celui qui guide la Prière rituelle, celui sur qui les participants modèlent leurs gestes et attitudes rituelles, le mot désigne couramment, en Islam sunnite, le desservant d’une mosquée. Dans la terminologie de l’Islam shî’ite, le mot Imâm prend une acception éminente, réservée aux douze descendants du Prophète depuis ‘Alî ibn Abî-Tâlib, époux de sa fille Fâtima al-Zahra (Fâtima « qui a l’éclat des fleurs »), jusqu’à celui qui, depuis bientôt onze siècles, est le XIIe Imâm ou l’ « Imâm caché ». Ce groupe complet, ce plérôme des Douze Imâms, est celui des Guides spirituels, ceux qui sont à la fois les Trésors et les Trésoriers de la Révélation divine, par conséquent les guides pour la compréhension du sens vrai de cette Révélation, pour l’herméneutique (du grec hermeneia) qui est l’acte de comprendre et de faire comprendre les sens cachés, les sens « ésotériques » (du grec taésô, les choses intérieures), sens cachés sous l’apparence extérieure littérale. Dès ce moment, il me faudra expliquer la notion de walâyat, c’est-à-dire cette prédilection divine qui sacralise les saints Imâms comme Proches ou Amis de Dieu (Awliyâ’ Allah), dire non seulement comment et pourquoi cette notion est la notion complémentaire de la prophétie (nobowwat), mais comment elle est, chez le Prophète lui-même, la source de sa mission prophétique, comment elle est définie, en bref, comme 1′ « ésotérique », c’est-à-dire l’aspect interne de la prophétie (bâtin al-nobowwat). Il me faudra rappeler d’emblée que la prophétie ne consiste pas à prédire l’avenir, mais à proférer une Parole divine.
Mais, ayant dit tout cela, je serai en devoir d’expliquer la théologie de la Révélation en Islam, dire ce qu’est le Qorân comme Livre saint révélé du Ciel, pour arriver à expliquer la mission du Prophète, le sens de cette mission et de celles qui l’ont précédée, et pourquoi la mission prophétique postule, selon le shî’isme, le complément nécessaire qui est l’Imâmat.
Lorsque j’aurai expliqué que le shî’isme duodécimain se caractérise par le fait que, pour lui, l’Imâmat a sa plénitude (son plérôme) en la personne de douze Imâms, sans plus, il me faudra expliquer la différence avec le shî’isme septimanien ou Ismaélisme, dont la pensée, dominée par le septénaire, procède par groupe de sept Imâms.
Finalement, lorsque j’aurai indiqué que le shî’isme duodécimain est, depuis bientôt cinq siècles, la religion officielle de la nation iranienne, mais que dès les origines, dès l’implantation de l’Islam en Iran, de multiples témoignages nous attestent la prédilection des Iraniens pour cette forme de l’Islam, – lorsque, en outre, j’aurai suggéré que l’idée shî’ite du XIIe Imâm, l’Imâm « caché », l’imâm « attendu », présente une affinité remarquable avec celle du Sauveur ou Saoshyant de l’ancienne Perse zoroastrienne, peut-être aurai-je plongé mon bienveillant interlocuteur dans un abîme de réflexions ou d’hésitations, mais je n’aurai fait qu’énoncer le programme d’une réponse dont le détail menacera de prendre des proportions écrasantes.
Et cela, parce que toutes mes allusions risqueront d’être obscures, parce que chaque explication en nécessitera une nouvelle, et que toutes mes références seront sans précédent.
Tout se passe comme si toute « problématique » de philosophie religieuse concernait une autre planète, dès que nous sortons de l’horizon familier aux débats du monde chrétien ou postchrétien.
Et pourtant, plus que ceux de toute autre religion, nous devraient être intimement proches les problèmes posés et vécus en Islam comme religion prophétique, centrée sur le Livre révélé, puisque le mot Qorân, le « Livre », ne signifie pas autre chose que notre mot Bible. Ou bien y aurait-il, inconsciemment, la crainte de courir le risque que les problèmes, tels qu’ils se sont posés et se posent en Islam, nous obligent, justement en raison de leur proximité, à revoir les termes dans lesquels nous avons l’habitude de poser les nôtres ? Le renoncement à toute apologétique marquerait pourtant la plus féconde des rencontres. Malheureusement, les idéologies postchrétiennes ont déjà si bien réussi à ravager de vastes régions de la conscience islamique, que l’heure de cette rencontre est peut-être encore lointaine. Les pessimistes diront plutôt qu’elle est déjà dépassée.
Nous ne le croyons pas. Toujours est-il qu’en essayant de renseigner brièvement mon interlocuteur, je ne puis le renvoyer qu’à un nombre infime d’ouvrages traitant des points de théologie ou de philosophie que mes explications auront soulevés. Ils sont rares, tandis que ne manquent pas recherches et études qui ne sont pas même, pour nous, une introduction à la vraie question.
Car ce qui nous occupera au long de ces pages, c’est essentiellement la spiritualité shî’ite, le shî’isme comme vie de l’homme spirituel.
Cela présuppose que l’on admette l’existence d’univers spirituels permanents, posant à l’homme une interrogation permanente, lui adressant une invite permanente. On ne peut l’admettre, certes, sans avoir vaincu le « réflexe agnostique » spontané chez l’homme occidental de nos jours. A qui n’a pas vaincu ce réflexe, il ne reste plus qu’à confondre la philosophie avec la sociologie de la philosophie. Il y a un abîme entre l’une et l’autre recherche, et c’est parce qu’ils n’en ont même pas conscience, que tant de colloques de bonne volonté passent à côté des questions essentielles. Nous professons ici que les traditions spirituelles de l’Occident et de l’Orient ont un sens permanent; aussi, ce sens est-il toujours en train de s’accomplir en nous-mêmes. Il dépend de nous qu’elles soient mises au présent, notre présent, et c’est sous cet aspect qu’il y a lieu de parler de leur historicité. Ce sens historique ne consiste pas à les localiser dans un passé clos et dépassé, à les faire dépendre de circonstances sociales ou sociopolitiques, dépassées ou non, dont, partout et toujours, elles ont assumé la mission de libérer l’homme.
Quand on prononcera ici les mots de faits spirituels, il s’agira bien de faits réels, mais dont la réalité n’est pas celle des faits historiques extérieurs, parce que la réalité n’en est pas liée à la chronologie extérieure. Faire dépendre une vérité spirituel d’un moment du calendrier, l’expliquer par la date à laquelle elle fut énoncée en ce monde, c’est ce que l’on appelle en général « historicisme », et c’est une confusion entre le « temps de l’âme » et le v, temps tombé dans l’histoire » (nos auteurs nous apprendront eux-mêmes ici la différence). L’homme occidental a peutêtre fait naufrage dans l’historicisme, en entraînant déjà dans son naufrage plus d’une civilisation traditionnelle.
Voilà pour les difficultés tenant à nous-mêmes. Est-ce à dire que, si nous en triomphons, tout deviendra facile? Non pas, car la pénétration du monde spirituel shî’iîe dont il s’agit ici, n’est pas particulièrement aisée. Tout d’abord l’enquête exabrupto, questionnaire et calepin à la main, est exclue. Interroger de prime abord un shî’ite sur sa religion (même et surtout s’il est parfaitement instruit de celle-ci) est le plus sûr moyen de le faire se fermer, très courtoisement, à toute question ultérieure, à moins qu’il ne préfère se débarrasser du questionneur en répondant par d’inoffensives fantaisies. Il y a de multiples raisons à cette attitude. On pourrait dire qu’elle est un réflexe hérité de périodes de persécutions acharnées, mais la raison ne serait encore qu’occasionnelle. En fait, l’impératif de la taqîyeh ou kettmân, la « discrétion » (la « discipline de l’arcane »), fut imposée par les saints Imâms eux-mêmes, non pas seulement comme une clause de sauvegarde personnelle, mais comme une attitude commandée par le respect absolu envers de hautes doctrines : n’a strictement le droit de les entendre que celui qui est à même d’entendre et de comprendre la vérité. Agir autrement, c’est livrer à l’indigne le dépôt qui vous a été confié; c’est commettre, à la légère, une grave trahison spirituelle.
D’où un sentiment d’extrême pudeur à l’égard de toutes choses religieuses, une discrétion et une réserve dont la rigueur ne se relâche qu’une fois acquise la conviction que l’interlocuteur professe lui-même une sympathie et une compréhension totales à l’égard de ces choses. Participant à un cercle d’études shî’ites à Téhéran (auquel il sera fait encore allusion ici), j’ai observé plus d’une fois que le Shaykh qui en était l’âme, ne se décidait à parler qu’une fois identifié par lui chacun des assistants. Je crois bien avoir compris en Iran shî’ite ce qu’est une religion ésotérique vivante. C’est aussi bien la même discrétion que l’on relève dans l’absence d’ « esprit missionnaire », de prosélytisme, dans le shî’isme iranien en général. Dans ce même cercle, j’entendais récemment un jeune Mollâ d’une trentaine d’années déclarer avec une conviction profonde, que le shî’isme tout en s’adressant à tous, ne pouvait recevoir l’assentiment que d’une élite spirituelle et tendre à dégager cette élite. Et cela, les Imâms le savaient très bien. Combien de fois aussi ai-je entendu ce propos : « Si l’Imâm ne vous a pas guidé lui-même vers ces choses, s’il n’y a pas en vous l’aptitude à les comprendre, toutes les paroles que l’on peut vous adresser de l’extérieur frapperont en vain votre oreille. »
Nous verrons plus loin que cette idée de l’Imâm comme Guide intérieur domine en effet toute la spiritualité shî’ite.
Il s’ensuit que cette attitude procédant d’un parfait esprit initiatique, ne favorise pas exagérément l’enquête scientifique.
La littérature shî’ite est immense, tant en arabe qu’en persan, tant en livres imprimés qu’en réserves manuscrites. Aller droit au but et exiger d’emblée des listes bibliographiques, n’est pas la démarche forcément promise au succès. On découvrira les livres petit à petit, non pas seulement en de longues stations dans les bibliothèques (dont les catalogues sont en grand progrès), mais au cours d’entretiens amicaux, de rencontres imprévues, de même qu’il arrivera que l’on « découvre » quelque lieu de pèlerinage pourtant célèbre. Si vous vous étonnez, demandant pourquoi vous n’avez pas connu cela plus tôt, pourquoi l’on ne vous en a pas parlé, la réponse est à peu près invariable : parce que c’est seulement maintenant que vous deviez connaître le livre ou la chose. Il n’y a pas de hasard.
Bref, dans le cas du shî’isme, plus encore peut-être que pour tout autre univers religieux, la condition sine qua non pour en pénétrer et en vivre l’esprit, c’est d’en être l’hôte spirituel.
Mais être l’hôte d’un univers spirituel, c’est commencer par lui faire en vous-même une demeure. Il n’est possible de vivre dans l’univers spirituel shî’ite, comme en tout autre univers spirituel, et de comprendre comment l’on y vit, qu’à la condition qu’il vive aussi en vous.
Sans cette intériorisation, on n’en parlera que de l’extérieur et probablement à contresens, car l’on ne peut décrire un édifice dans lequel on n’a jamais pénétré.
Lorsque nos philosophes ishrâqîyûn, ceux de la lignée de Sohrawardî, rendent inséparables philosophie et spiritualité, ils donnent ainsi sa marque propre à la pensée de l’Islam iranien, mais par là même ils provoquent le chercheur à une grande aventure spirituelle, à une queste prolongée. Sa qualité d’hôte ne peut être celle d’un visiteur en week-end, mais celle d’un hôte à demeure, finalement celle d’un adopté, partageant les obligations des fils de la maison. Car il lui arrivera peut-être d’être le premier à discerner et à formuler un péril, et il lui incombera d’aider ses frères d’adoption à y faire face, afin que la Demeure continue de remplir son rôle pour tout homme qui y prend refuge.
Demeure « ésotérique » sans doute. Certes, il est fait chez nous un usage abusif de ce mot qui irrite parfois à bon droit le lecteur occidental, parce que trop souvent il ne s’agit que de pseudo ésotérismes visant des choses très profanes ou des vanités très mondaines. Mais le mot traduira ici rigoureusement ce que connotent les termes arabes bâtin, ghayb etc., comme qualifications de ce monde spirituel qui ne peut être atteint par la perception commune des sens ni par la raison abstraite. Monde intérieur et invisible de l’Ame, qui est comme tel le seul où soit pratiquée l’hospitalité des âmes, parce que toutes les traditions spirituelles, celles que l’on appelle « ésotériques » justement, témoignent des mêmes réalités transcendantes, intérieures et cachées. Elles sont sagesse divine, étymologiquement theosophia, et convergent au but d’une même queste, parce que la demeure de la Sagesse, Domus Sapientiae, au sommet de l’âme, est partout où le sommet est atteint, de même que le centre est partout où le centre est atteint.
Le chercheur, au cours de sa queste, verra se résoudre les difficultés du côté shî’ite par l’élan même de sa recherche, quand celle-ci est en vérité un élan du cour. Il n’y a peut-être pas lieu d’être aussi optimiste quant aux difficultés qui l’attendent, en retour, du côté occidental. Il aura parfois l’impression que certaines explications sommaires, admises une fois pour toutes et depuis longtemps, paralysent les remises en question nécessaires pour accéder à cet univers spirituel. En conséquence, il lui semblera parfois déceler comme une volonté étrange de minimiser la signification et l’importance du phénomène religieux shî’ite, comme si la reconnaissance de ses facteurs proprement spirituels dût mettre en péril certaines positions acquises, tantôt scientifiques, tantôt apologétiques. Il lui faudra enfin faire face aux conséquences de l’impact occidental sur une civilisation traditionnelle, conséquences dont les premières victimes sont ses propres amis shî’ites. Il est une loi mystérieure : « Seule guérit la blessure, l’arme qui la fit. » Peut-être si l’Occident a sécrété le poison, est-il celui qui est en mesure de sécréter l’antidote.
Mais il n’est pas certain qu’il ait eu conscience jusqu’ici de cette responsabilité. On voudrait préciser encore ces difficultés.