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Chacune des doctrines économiques que nous avons exposées(1) forme une partie d’une doctrine complète qui traite des différents aspects et branches de la vie. Ainsi, l’Economie islamique est une partie de la Doctrine islamique qui englobe tous les secteurs de la vie ; l’Economie capitaliste est une partie de la démocratie capitaliste qui inclut dans sa vision organisationnelle l’ensemble de la société ; et il en va de même pour l’Economie marxiste, qui constitue elle aussi une partie de la doctrine marxiste qui cristallise toute la vie sociale dans son cadre spécifique.
Ces doctrines diffèrent dans leurs germes idéologiques fondamentaux et dans leurs racines principales d’où elles tirent leur âme et leur identité, et diffèrent par conséquent dans les caractères spécifiques que chacune d’elles présente.
Ainsi, l’Economie marxiste a, selon le marxisme, un caractère scientifique, car elle constitue, selon ses adeptes, une conséquence inévitable des lois naturelles qui dominent l’Histoire et la mènent à leur guise. En revanche, les tenants de la doctrine capitaliste ne considèrent pas celle-ci, nous l’avons vu précédemment(2), comme un résultat nécessaire de la nature et des lois de l’Histoire, mais comme une forme sociale qui concorde avec les valeurs pratiques et les idéaux auxquels ils souscrivent.
Pour ce qui concerne la Doctrine islamique, elle ne s’attribue pas un caractère scientifique, comme le fait le marxisme, mais elle n’est pas, non plus, dépourvue d’un fondement doctrinal ni d’une vision englobant les principes de la vie et de l’univers, comme c’est le cas du capitalisme.
Lorsque nous disons de l’Economie islamique qu’elle n’est pas une science, nous entendons que l’Islam se charge de l’appel à l’organisation de la vie économique, tout comme il traite tous les aspects de la vie, et qu’elle n’est pas une science économique à la manière de la science de l’Economie politique. En d’autres termes, elle est une révolution visant à bouleverser la réalité corrompue et à la transformer en une réalité saine, et non pas une interprétation objective de la réalité. Ainsi, lorsqu’elle propose le principe de la double propriété, par exemple, elle ne prétend pas par-là expliquer la réalité historique d’une phase déterminée de la vie de l’humanité, ni refléter les lois naturelles de l’Histoire, comme le fait le marxisme lorsqu’il présente le principe de la propriété collective comme un état inévitable -et la seule explication- d’une phase déterminée de l’Histoire.
Sur ce plan, l’Economie islamique ressemble à l’Economie capitaliste doctrinale, en ceci qu’elle se veut une opération de changement de la réalité, et non pas une opération d’explication de cette réalité. La mission doctrinale vis-à-vis de l’Economie islamique est de découvrir l’image intégrale de la vie économique qui soit conforme à la Législation islamique, et d’étudier les idées et les conceptions générales qui se dégagent de cette image, telle que l’idée de la séparation de la forme de la distribution et de la qualité de la production, ainsi que bien d’autres idées semblables. Quant à la mission scientifique vis-à-vis de l’Economie islamique, son rôle intervient ensuite, et consiste à mettre en évidence le cours réel de la vie et les lois de ce cours dans le cadre d’une société islamique qui applique entièrement la Doctrine islamique. Ainsi, le chercheur scientifique doit-il prendre l’Economie doctrinale en Islam comme une base fixe de la société. Puis il doit essayer de l’interpréter et d’en lier les événements les uns aux autres. En cela, l’Economie doctrinale islamique ressemble à l’Economie politique dans laquelle les économistes capitalistes, après avoir fini de poser leurs lignes doctrinales, se sont mis à interpréter la réalité dans le cadre de ces lignes, et à étudier la nature des lois qui régissent la société dans laquelle elles sont appliquées. C’est de cette étude qu’est née la science de l’Economie politique. Et c’est de cette manière que peut se constituer une science de l’Economie islamique, c’est-à-dire après qu’on l’aura étudiée d’une façon doctrinale complète à travers l’étude de la réalité dans ce cadre. La question qui se pose est de savoir quand et comment on peut constituer l’Economie islamique, à la manière dont les capitalistes ont fondé la science de l’Economie politique ou, en d’autres termes, la science économique qui interprète les événements de la société capitaliste.
La réponse à cette question est que l’explication scientifique de la vie économique repose sur l’une des deux choses suivantes :
1- Rassembler les événements à partir de l’expérience réelle de la vie, et les organiser d’une façon scientifique qui permette de découvrir les lois qui les régissent dans le domaine de cette vie et de ses conditions spécifiques.
2- Commencer la recherche scientifique à partir des axiomes que l’on suppose pour déduire à leur lumière la direction économique et le cours des événements.
L’explication scientifique faite sur la base du premier fondement dépend de l’incarnation de la doctrine dans une entité réelle et effective, car cela permettrait au chercheur d’enregistrer les événements de cette réalité et d’en déduire leurs phénomènes et lois généraux. C’est exactement le résultat obtenu par les économistes capitalistes lorsqu’ils ont vécu dans une société qui croit au capitalisme et qui l’applique, et qu’ils ont pu ainsi fonder leurs théories sur les expériences de la réalité sociale qu’ils avaient vécues. Mais de telles conditions ne s’offriront pas aux économistes islamiques tant que l’Economie islamique restera écartée de la scène de la vie, car ils n’ont pas aujourd’hui dans leur vie des expériences tirées de l’application de l’Economie islamique, pour qu’ils puissent percevoir, à leur lumière, la nature des lois qui régissent une vie sociale fondée sur l’Islam.
Quant à l’explication scientifique faite sur la base du second fondement, on peut l’utiliser pour éclairer certaines vérités qui caractérisent la vie économique dans la société islamique, et ce en commençant par des points doctrinaux précis dont on suit les conséquences dans le domaine de l’application supposée, et en terminant par la formulation des théories générales sur l’aspect économique de la société islamique, à la lumière de ces points doctrinaux.
Ainsi, le chercheur islamique peut, par exemple, dire que les intérêts commerciaux concordent, dans la société islamique, avec les intérêts des financiers et des banquiers, car la banque dans la société islamique repose sur la société en commandite et non sur l’usure. Elle fait du commerce avec l’argent de ses clients et partage avec eux les bénéfices réalisés, selon un pourcentage déterminé. Et, en fin de compte, sa situation financière dépendra du gain commercial qu’elle réalisera, et non pas des intérêts qu’elle prélèverait sur les dettes. Ce phénomène, le phénomène de concordance des intérêts des banques et des intérêts du commerce, est, de par sa nature, un phénomène objectif, que le chercheur déduit à partir d’un point, à savoir l’abolition du système usuraire des banques dans la société islamique.
En partant d’un tel point, le chercheur peut aussi constater un autre phénomène objectif, à savoir que la société islamique est débarrassée d’un facteur principal des crises qui secouent la vie économique dans la société capitaliste ; en effet, les cycles de la production et de la consommation dans une société fondée sur l’usure sont entravés par cette grande partie de la fortune populaire que les gens épargnent en vue d’en tirer un intérêt usuraire, et qui influe très négativement sur les cours de la production et de la consommation, et conduit à un marasme dans une grande partie de la production sociale des marchandises capitalistes et de consommation. Par contre, dans la société fondée sur l’Economie islamique, où l’intérêt usuraire est catégoriquement interdit, et la thésaurisation empêchée, soit par son interdiction, soit en la pénalisant par des impôts, tout le monde aura tendance à dépenser sa fortune.
Dans ce genre d’interprétation, nous supposons l’existence d’une réalité sociale et économique reposant sur des fondements donnés, et nous nous appliquons à interpréter cette réalité supposée et à en découvrir les caractéristiques générales à la lumière de ces fondements.
Mais ces interprétations ne nous fournissent pas avec précision la conception scientifique globale de la vie économique dans la société islamique, si les matériaux de l’étude scientifique ne sont pas tirés de l’expérience de la réalité sensible. Il arrive souvent qu’il y ait des différences entre la vie réelle d’un système et les interprétations qu’on fait de cette vie, fondées sur des suppositions. C’est ce qui est arrivé avec les économistes capitalistes qui, après avoir échafaudé beaucoup de leurs théories analytiques sur une base conjecturelle, sont parvenus à des résultats contredisant la réalité qu’ils vivaient, car plusieurs facteurs qui n’avaient pas été prévus dans le domaine de l’hypothèse ont été découverts dans celui de la vie réelle.
A cela, il faut ajouter que l’élément spirituel et intellectuel, ou en d’autres termes le tempérament psychologique général de la société islamique, exerce une grande influence sur le cours de la vie économique. Or, ce tempérament n’a pas un degré déterminé ni une formule précise que l’on puisse présupposer et sur la base desquels on échafauderait les différentes théories.
L’Economie islamique ne peut donc naître vraiment que si elle est incarnée, avec ses racines, ses aspects et ses détails, dans l’entité de la société, et que les événements et les expériences économiques qu’elle traverse sont étudiés régulièrement.
LES RAPPORTS DE DISTRIBUTION SONT SEPARES DE LA FORME DE PRODUCTION.
Les gens pratiquent dans leur vie sociale deux opérations différentes : l’une est l’opération de production, l’autre l’opération de distribution. D’une part, ils livrent un combat contre la nature pour la soumettre à leurs désirs, en s’armant des outils de production que leur expérience leur permet de se procurer ; et d’autre part, ils établissent entre eux des rapports précis qui déterminent les relations des individus les uns avec les autres dans les différentes affaires de la vie. Ce sont ces rapports que nous appelons le système social, dans lequel sont inclus les rapports de distribution de la richesse que la société produit. Ainsi, dans l’opération de production, les gens obtiennent leurs gains de la nature, et dans le système social, qui détermine les relations entre eux, ils se les partagent (les gains).
Il va sans dire que l’opération de production est en évolution et en transformation fondamentale permanentes, et ce comme conséquence du développement de la science. Ainsi, alors que l’homme utilisait jadis la charrue dans sa production, il utilise aujourd’hui l’électricité et l’atome. De même, le système social qui détermine les rapports des gens les uns avec les autres, y compris les rapports de distribution, ne s’est pas figé, lui non plus, dans une formule fixe, à travers l’histoire de l’homme. Il a pris des formes diverses selon la diversité et le changement des circonstances.
La question fondamentale qui se pose à ce propos est de savoir quel est le lien entre l’évolution des formes de production et l’évolution des rapports sociaux, y compris les rapports de distribution (le système social).
En effet, cette question constitue le centre de la principale différence entre l’Economie marxiste et l’Economie islamique, et l’un des points importants de différends entre le marxisme et l’Islam en général.
Ainsi, pour l’Economie marxiste, toute évolution dans les opérations et les formes de production est accompagnée d’une évolution inévitable des rapports sociaux en général, et des rapports de distribution en particulier ; il n’est pas possible que la forme de production change, alors que les rapports sociaux conservent leur ancienne forme, tout comme il n’est pas possible que les rapports sociaux devancent, dans leur évolution, la forme de production. Le marxisme en conclut qu’il est impossible qu’un seul système social conserve son existence à la longue, ou qu’il puisse convenir à la vie de l’humanité pendant plusieurs phases de la production, car les formes de production évoluent toujours à travers l’expérience humaine, entraînant du même coup l’évolution des rapports sociaux ; et que le système qui convient à la société de l’électricité et de l’atome, par exemple, ne peut être le même qui convenait à la société de production artisanale, tant la forme de production est différente dans les deux sociétés. C’est pour cela que le marxisme présente la doctrine socialiste comme le remède nécessaire au problème social dans une phase historique donnée, conformément aux exigences de la nouvelle forme de production dans cette phase.
Quant à l’Islam, il refuse ce lien prétendument nécessaire entre la production et l’évolution du système social, et estime que l’homme a deux domaines. Dans l’un, il travaille avec la nature et essaie, par tous les moyens dont il dispose, de l’exploiter et de l’asservir pour satisfaire ses besoins ; et dans l’autre, il établit des rapports avec ses semblables dans les divers domaines de la vie sociale. Les formes de production sont le produit du premier domaine, les systèmes sociaux du second. Chacun de ces deux domaines a subi, à travers son existence historique, de nombreuses évolutions dans la forme de production ou le système social. Mais l’Islam n’établit pas un lien nécessaire entre les évolutions de formes de production et les évolutions des systèmes sociaux. C’est pourquoi il croit qu’un seul système social peut conserver son identité et sa pertinence à la longue, quels que soient les changements que subissent les formes de production.
C’est sur la base de ce principe (le principe de séparation entre le système social et les formes de production) que l’Islam présente son système social, sa Doctrine économique comprise, comme un système social convenable pour la Ummah dans les différentes phases de la production, et capable d’assurer le bonheur de la Ummah lorsqu’elle disposera du secret de l’atome, tout comme il assurait son bonheur lorsqu’elle labourait la terre manuellement.
Cette différence essentielle entre le marxisme et l’Islam quant à leur vision du système social tient à leur différence, en général, dans l’interprétation de la vie sociale que le système social se charge d’organiser et de régler. Pour le marxisme, la vie sociale de l’homme est le fruit des forces de production, celles-ci étant la base fondamentale et le facteur primordial dans toute l’histoire de l’homme. Si la forme des forces de production change, il est naturel que, par voie de conséquence, change la forme de la vie sociale, représentée par le régime social en vigueur, et qu’un nouveau régime social adapté à la nouvelle forme de production naisse.
Ayant fait une critique exhaustive des conceptions de l’Histoire présentées par le matérialisme historique, lorsque nous traitions de ce sujet précédemment(3), il serait superflu de commenter ce qui vient d’être dit ci-dessus. En effet, nous avons démontré très clairement que les forces de production ne constituent pas le facteur fondamental de l’Histoire.
En revanche, dans l’optique de l’Islam, la vie sociale, sous toutes ses formes, n’est pas issue des formes diverses de la production, mais des besoins de l’homme lui-même, lequel est la force motrice de l’Histoire -et non pas les moyens de production- et contient les sources de la vie sociale. Car Allah a créé l’homme naturellement porté à l’amour de soi, à la satisfaction de ses besoins, et par conséquent à l’utilisation de tout ce qui l’entoure pour y parvenir. Il était donc naturel que l’homme se trouvât contraint de se servir de son semblable pour atteindre ce même but, n’étant capable de satisfaire ses besoins qu’en coopérant avec les autres. Il s’en est suivi que les rapports sociaux ont été établis conformément à ces besoins, et qu’ils se sont développés suivant l’élargissement et le développement desdits besoins, à travers la longue expérience de l’homme dans la vie. La vie sociale est donc le produit des besoins humains, et le système social est la forme qui organise la vie sociale conformément à ces besoins humains.
Lorsque nous étudions les besoins de l’homme, nous remarquons qu’ils comprennent un aspect principal qui reste constant à travers le temps, et d’autres aspects qui évoluent selon les circonstances et les situations. Cette permanence que l’on trouve dans la structure organique de l’homme, dans ses forces générales, dans les organes de nourriture et de régénération et les possibilités de perception et de sensibilité qu’il renferme, signifie nécessairement que toute l’humanité a en commun certains besoins, certaines caractéristiques et certaines qualités générales ; c’est ce qui explique pourquoi Allah a fait d’elle une seule communauté dans les Paroles qu’Il adresse à Ses Prophètes : «Cette communauté qui est la vôtre est une communauté unique. Je suis votre Seigneur ! Adorez-moi donc !» (Sourate al-Anbiyâ’, 21 : 92)
D’un autre côté, nous remarquons qu’un grand nombre de besoins entrent progressivement dans la vie humaine, et se développent à travers les expériences de la vie et l’augmentation de l’expérimentation avec ses équivoques et ses caractéristiques. Donc, les besoins principaux sont constants alors que les besoins secondaires se renouvellent et évoluent conformément à l’accroissement de l’expérience de la vie et de ses complications.
Et si nous savons, en outre, que la vie sociale découle des besoins humains, et que le système social est la forme qui organise la vie sociale conformément à ces besoins, comme cela a été dit, nous pouvons tirer la conclusion suivante : le système social qui convient à l’humanité n’a pas besoin nécessairement d’évoluer et de changer généralement pour pouvoir suivre le développement de la vie sociale. De même, il n’est pas rationnel qu’il mette les généralités et les détails de la vie dans des formules fixes. Le régime social doit comporter un aspect principal constant, et des aspects ouverts à l’évolution et au changement, tant que la base de la vie sociale (les besoins humains) comporte des aspects immuables et des aspects changeants qui, tous deux, se reflètent sur le système social pertinent.
Telle est exactement la réalité du système social en Islam : il comporte, d’une part, un côté constant relatif au traitement des besoins fondamentaux constants dans la vie de l’homme, tels que son besoin de garantie des moyens d’existence, de génération et de sécurité, ainsi que d’autres besoins similaires abordés dans les statuts de la distribution de la richesse, les statuts du mariage et du divorce, les statuts des peines et sanctions, et autres statuts promulgués dans le Livre et la Sunnah.
Et, d’autre part, il comporte des côtés ouverts au changement suivant les intérêts et les besoins nouveaux. Ce sont les domaines dans lesquels l’Islam a permis au Tuteur de promulguer lui-même les statuts appropriés, conformément à l’intérêt général et au besoin, et à la lumière du côté constant du système. De même, le côté constant du système est doté de règles législatives constantes dans leurs formules juridiques, mais dont l’application est adaptable aux circonstances et aux époques, ce qui leur permet de déterminer le moyen adéquat de satisfaire les besoins constants dont les modes de satisfaction se diversifient malgré leur permanence. L’exemple de ce genre de règles est “la règle de “ni dommage ni endommagement” en Islam”(4), et “la règle de la non-gêne dans la Religion”(5).
Ainsi, contrairement au marxisme qui fait dépendre les rapports de distribution, et par conséquent tout le système social, des formes de production, nous pouvons séparer les rapports de distribution de la forme de distribution. Car il est possible qu’un même système social fournisse à la société humaine des rapports de distribution convenables aux différentes circonstances et formes de la production, et ce contrairement à ce qu’affirme le marxisme lorsqu’il déclare que chaque sorte de rapport de distribution est liée à une forme précise des formes de production, et qu’elle ne peut ni la devancer ni lui survivre.
C’est sur cette base que l’Islam et le marxisme diffèrent dans leur vision des autres systèmes de distribution qui ont été appliqués à travers l’Histoire, et dans leur jugement sur ces systèmes. Ainsi, le marxisme étudie chaque système de distribution à travers les circonstances de production en vigueur dans la société, et le juge sain s’il suit le développement des formes de production, malsain et méritant que l’on se soulève contre lui s’il constitue un obstacle devant leur voie montante. C’est pourquoi on voit le marxisme bénir l’esclavagisme jusqu’au bout et le plus sauvagement du monde dans une société qui vit de la production manuelle de l’homme car, dans son optique, une telle société ne peut être portée à doubler l’activité productive que par des coups de fouet que l’on administre à l’écrasante majorité de ses membres, et seulement si l’on oblige ceux-ci à travailler au rythme des coups de fouets et des piqûres de poignard. Pour le marxisme, celui qui entreprend une opération de répression terrible et qui tient le fouet dans sa main est le progressiste à l’avant-garde de cette société, car c’est lui qui veille inconsciemment sur la réalisation de la volonté de l’Histoire. Par contre, celui qui dédaigne de participer à l’opération d’asservissement, et manque cette occasion en or, est digne de tous les noms dont le capitaliste est qualifié aujourd’hui par les socialistes, parce qu’il s’oppose à l’opération du progrès humain.
Quant à l’Islam, il juge chaque système à la lumière de son lien (rapport) avec les divers besoins humains. Pour lui, le système doit adapter la vie de façon à garantir la satisfaction de ces besoins considérés comme la base de la formation de la vie sociale. Il n’accepte pas que telle ou telle autre forme de production soit la justification de l’instauration d’un système social et de rapports de distribution qui ne garantissent pas la satisfaction de ces besoins, car il nie ce prétendu lien nécessaire entre les formes de production et les systèmes sociaux.
Lorsque l’Islam nie ce lien, il ne le fait pas seulement théoriquement, mais il en fournit la preuve pratique qu’il tire de son existence historique. En effet, l’Islam a pu enregistrer une victoire idéologique sur la prétention de l’existence d’un lien entre le système social et les formes de production, et présenter un argument vivant qui dément cette prétention. Il a démontré que l’humanité peut adapter son existence sociale d’une façon révolutionnaire et nouvelle, tout en conservant intact son mode de production.
La réalité islamique que l’humanité a vécue pendant une courte phase du long âge du temps, et qui a enregistré pendant cette phase l’évolution la plus merveilleuse que la communauté humaine ait jamais connue, cette réalité révolutionnaire qui a créé une Ummah, fondé une Civilisation, et rectifié la marche de l’Histoire… cette réalité islamique n’est pas le produit d’un nouveau mode de production ni d’un changement dans les formes et les forces de celui-ci.
Si l’on se fiait à la logique de l’interprétation socialiste de l’Histoire, qui lie le système social aux moyens de production, cette révolution globale qui a couvert tous les aspects de la vie, sans être précédée d’aucune transformation fondamentale dans les conditions de la production, n’aurait pas pu se produire.
Ainsi donc, la réalité islamique a défié la logique marxiste de l’Histoire ainsi que tous ses calculs ; oui, tous ses calculs. Elle a défié le marxisme à propos de l’idée de l’égalité, car le marxisme considère que l’idée de l’égalité émane de la société industrielle, laquelle est développée par la classe qui porte le drapeau de l’égalité, en l’occurrence la bourgeoisie, et que ce drapeau ne peut être porté avant que l’évolution historique ne parvienne au stade industriel.
L’Islam adopte une attitude moqueuse vis-à-vis de cette logique qui attribue toute conscience et toute idée à l’évolution de la production, car lui-même il a pu hisser l’étendard de l’égalité, et faire naître dans l’humanité une conscience saine, une prise de conscience globale dont il a reflété l’essence dans la réalité des rapports sociaux, jusqu’à un degré que la bourgeoisie n’a pas atteint. Oui, il a pu faire tout cela avant qu’Allah ait permis l’apparition de la classe bourgeoise, et dix siècles avant que ne se réunissent les conditions de cette apparition. En effet, l’Islam a appelé à l’égalité avant que l’outil ne soit inventé, lorsqu’il a déclaré : «Vous êtes tous d’Adam, et Adam est de terre», «Les gens sont égaux comme les dents d’un peigne», «Pas de préférence entre un Arabe et un non-Arabe, si ce n’est par le critère de la crainte révérencielle d’Allah».
Cette égalité, la société islamique l’a-t-elle empruntée aux moyens de production de la bourgeoisie, laquelle n’apparaîtra que mille ans plus tard ? Ou bien, l’a-t-elle empruntée aux moyens agricoles et commerciaux primitifs en vigueur dans la société du Hijaz, moyens que l’on retrouvait, encore plus évolués et plus développés, dans d’autres sociétés de l’Arabie et du monde ? Et pourquoi ces moyens de production auraient-ils inspiré cette idée de l’égalité à la société du Hijaz, et l’auraient-ils chargée du plus merveilleux rôle historique en vue de réaliser cette idée, sans faire de même pour les sociétés arabes au Yémen, à Hîrah(6) ou en Syrie ?
L’Islam a défié également les calculs du matérialisme historique sur un autre registre, lorsqu’il a auguré l’instauration d’une société universelle qui réunit toute l’humanité sur une même échelle, et œuvré sérieusement en vue de réaliser cette idée dans un milieu grouillant de luttes tribales et fourmillant de milliers de sociétés claniques opposées les unes aux autres. Il a transformé ces petites unités en une grande unité humaine, et élevé les Musulmans du stade de l’idée d’une société tribale régie par les liens de sang, de parenté et de voisinage, au stade de l’idée d’une société qui n’ait rien de ces limitations étroites, une société fondée sur la base idéologique islamique. Quel outil de production aurait transformé, en si peu de temps, ces gens dont l’esprit ne supportait guère l’idée d’une société nationale, en guide et porte-drapeau de la société universelle ?
L’Islam a défié une troisième fois la prétendue logique historique (du marxisme), lorsqu’il a établi des rapports de distribution, impossibles à établir selon le calcul de l’Economie socialiste dans une société qui n’a pas encore atteint un certain degré du stade industriel et mécanique de la production. Il a en effet rétréci le cercle de la propriété privée, réduit son domaine, corrigé sa conception, lui a assigné des limites et des restrictions, lui a imposé une solidarité envers les pauvres, et proposé, en outre, des garanties suffisantes pour préserver l’équilibre et la justice dans la distribution. Il a devancé ainsi les conditions matérielles, selon le marxisme, de telles sortes de rapports. En effet, alors qu’au XVIIIe siècle on disait(7) : «Il n’y a qu’un sot qui ignore que les classes inférieures doivent rester pauvres pour être laborieuses», et alors qu’on affirmait(8) au XIXe siècle : «Celui qui naît dans un monde qui est déjà approprié n’a pas le droit de se nourrir, s’il ne parvient pas à assurer ses moyens d’existence par le travail ou sa famille. Il devient un parasite dans la société, et son existence n’a pas de raison d’être. La nature n’a pas de place pour lui, elle lui ordonne de s’en aller, et elle n’hésite pas à mettre son ordre à exécution», l’Islam annonçait déjà plusieurs siècles auparavant, selon le hadith, le principe de la garantie sociale : «Celui qui a perdu sa maison, je lui en offre une, et celui qui a laissé une dette impayée, c’est moi qui la règle», et l’Economie islamique disait clairement : la pauvreté et la privation ne sont pas nées de la nature elle-même ; elles sont le produit de la mauvaise distribution et de la déviation des rapports sains qui doivent lier les riches aux pauvres. Le hadith dit, en effet : «Un pauvre n’est affamé que par ce dont jouit un riche».
Cette conscience islamique des problèmes de la justice sociale dans la distribution, que l’on ne retrouve pas même dans des sociétés plus évoluées que la société islamique sur le plan des conditions matérielles, ne saurait être le produit de la charrue, du commerce primitif, de l’industrie manuelle, ou d’autres moyens d’existence qu’ont connus les sociétés.
D’aucuns disent que cette conscience ou cette révolution sociale, ou plutôt cette montée islamique extraordinaire qui s’est étendue à l’histoire du monde entier… était le résultat de la croissance commerciale et des conditions commerciales de La Mecque, qui exigeaient la fondation d’un Etat stable que l’on devait soutenir par toutes les exigences sociales et intellectuelles s’adaptant à la situation commerciale en vigueur !
Il est vraiment ridicule d’expliquer cette transformation historique complète dans la vie de toute l’humanité par les conditions commerciales de l’une des villes de la Péninsule arabique !
Je ne vois pas comment les circonstances commerciales auraient permis à La Mecque, à l’exclusion des autres régions du monde et de la nation arabe, lesquelles connaissaient des vies citadines plus évoluées et des conditions matérielles plus développées, et qui étaient supérieures à La Mecque quant à leurs conditions politiques et économiques, de jouer ce rôle grandiose ? N’était-il pas inévitable, selon la logique du matérialisme historique, que ce nouveau développement se produisît dans ces régions-là ? Comment des circonstances commerciales précises auraient-elles créé, dans un pays comme La Mecque, une nouvelle histoire de l’humanité, alors que d’autres circonstances semblables, ou même plus évoluées et plus développées, n’ont pas pu le faire ?
Si La Mecque jouissait de circonstances commerciales propices au passage du commerce entre le Yémen et la Syrie, les Nabatéens jouissaient, eux aussi, de circonstances commerciales importantes lorsqu’ils avaient construit Pétra comme carrefour des routes commerciales, et y avaient fondé une vie citadine plus évoluée que toutes les vies citadines arabes, au point que leur influence s’était étendue au-delà des frontières de leur pays, qu’ils y ont installé des régiments pour défendre les convois commerciaux, et des sites pour exploiter les mines, que leur ville était devenue pendant un temps la ville étape principale des convois, et un centre commercial important, que leurs activités commerciales s’étaient étendues vers des régions très vastes, à tel point que l’on a retrouvé les traces de leur commerce à Solûqiyyah, dans les ports de la Syrie et d’Alexandrie, qu’ils achetaient l'”afâwiyah“(9) du Yémen, la soie de la Chine, le henné de ‘Asqalân, les verreries et la teinture de pourpre de Tyr et de Saydûn, les perles du Golfe persique, les poteries de Rome, et qu’ils produisaient dans leur pays l’or, l’argent, le goudron et l’huile de sésame… Malgré ce niveau de commerce et de production, auquel La Mecque n’était pas parvenue, les Nabatéens étaient restés tels quels dans leurs rapports sociaux, attendant le rôle divin de La Mecque pour faire évoluer l’Histoire.
Il en va de même pour Hîrah, qui a connu un grand développement industriel et commercial à l’époque de Manâthirah. Dans cette ville, l’industrie textile, celles de l’armement, de la poterie, de la céramique et de la gravure se sont épanouies. Les Manâthirah ont pu étendre leur influence commerciale au centre, au sud et à l’ouest de la Péninsule arabique. Ils envoyaient leurs convois commerciaux, chargés de leurs produits, vers les principaux marchés.
Il y eut aussi la civilisation de Tadmor, qui s’étendit sur plusieurs siècles, et sous laquelle le commerce a prospéré, des relations commerciales ont été nouées avec différents pays, tels que la Chine, l’Inde, Babylone, les villes phéniciennes et “Bilâd al-Jazirah” (la Péninsule arabique) sans parler des civilisations qui ont enrichi l’histoire du Yémen depuis les époques les plus reculées.
L’étude de ces civilisations et vies citadines, ainsi que leurs conditions commerciales et économiques, et leur comparaison avec la réalité “civilisationnelle” et citadine de La Mecque antéislamique, prouvent que la révolution islamique dans les rapports sociaux et la vie intellectuelle n’avait rien à voir avec des conditions matérielles et des circonstances économiques et commerciales, et que, par conséquent, les rapports sociaux, y compris les rapports de distribution, sont séparés de la forme de la production et de la situation économique des forces productives.
L’Islam n’a-t-il donc pas le droit, après tout ce qui vient d’être montré, de démentir en toute confiance et en toute assurance cette prétendue fatalité historique qui lie tout mode de distribution à un mode de production, et d’annoncer, preuves matérielles concrètes à l’appui, qu’un système repose sur des fondements idéologiques et spirituels, et non pas sur le mode matérialiste de satisfaction des besoins de la vie ?
Notes:
1-Dans la première partie de “Iqtiçâdonâ”.
2-Dans la première partie de “Iqtiçâdonâ”.
3-Voir la première partie de “Notre Economie”
4-Selon le hadith du Prophète : «Lâ dharara wa lâ dhirâr.»
5-Selon le Verset coranique : «Allah ne vous a imposé aucune gêne dans la Religion…» (Sourate al-Hajj, 22 : 78) ; voir aussi la Sourate al-Mâ’idah, 5 : 6.
6-Ville arabe historique en Iraq, située près de Kûfa, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Baghdâd.
7-Un écrivain du XVIIIe siècle, Arthur Young.
8-Maltus, un écrivain du début du XIXe siècle.
9-Pluriel de “Afwâh” : 1- épices ; 2- récipients cristallins pour le parfum (flacons). (N.D.T.)
Voir : “Asmâ’onâ”, ‘Abboud Ahmad al-Khazrajî, éd. Al-Mo’assassah al-‘Arabîyyah lil-Dirâsât wal-Nachr, Beyrouth, 1986.