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Comment Dieu connaît le monde invisible?
Dans le Coran, il est souvent question de mystère ou monde invisible (ghayb) et de son pendant, le monde manifesté ou monde du témoignage (shahâda). Il est fait davantage mention du mystère que de la manifestation, peut-être à cause du caractère moins problématique de la manifestation. Croire en l’invisible et au mystère est un pilier de la foi musulmane. Le Saint Coran dit à propos des croyants : « Ils croient au mystère, accomplissent la prière, font dépense sur Notre attribution … » (sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 3) ; « Il tient les clefs du mystère ; Il est le seul à les connaître… » (sourate Al-An‘âm (Les bestiaux) ; 6 : 59).
Le mystère (ghayb) signifie ce qui est caché. Il est de deux sortes ; un invisible ou mystère relatif et un invisible absolu. Est qualifié de mystère relatif une chose qui échappe à la perception d’une personne pour la raison que cette chose est trop éloignée de sa vue ou pour une cause similaire à celle-ci. Par exemple, quand vous êtes au marché, vous êtes invisible chez vous et inversement quand vous êtes chez vous, vous êtes invisible ailleurs. Cette absence peut se situer aussi dans le temps et pas seulement dans l’espace. Le Coran nous offre un exemple dans le verset suivant : « C’est là une histoire d’entre celles du mystère. Nous te la révélons… » (sourate Hûd (nom de prophète) ; 11 : 49).
Le mystère relatif peut désigner aussi les mystères dénoués par la science. Toutes les lois de la physique, de la chimie et des autres sciences étaient des mystères avant d’avoir été élucidées par les savants, même si elles gardent encore une part de mystère. Lorsqu’on a démontré que la terre était ronde et qu’elle tournait autour du soleil, c’était un « mystère » qui venait d’être éclairci.
Cela pour le mystère relatif. Mais là où le Coran décrit les croyants comme ceux qui croient au mystère, il s’agit là d’un mystère qui n’est pas relatif. Quand nous disons qu’il y a deux sortes de mystère, il ne faut pas comprendre par là qu’il y a deux mystères distincts et homonymes, mais seulement que la partie du mystère qui est donnée aux hommes de connaître peut s’accroître en fonction de leur savoir ésotérique ou exotérique, mais qu’il subsistera toujours une grande partie du mystère qui sera jalousement gardée auprès de Dieu. Le mystère relatif est infiniment petit par rapport au mystère absolu, malgré le sentiment de fierté que possèdent les hommes eu égard à leur savoir : la part de ce que nous savons sera toujours infime par rapport à la part de ce que nous ignorons. Depuis que nous avons été créés, nous puisons notre savoir dans le mystère relatif ; quant au mystère absolu, il nous est inaccessible.
Le mystère relatif est accessible ou concerne tout le monde, croyant ou mécréant. Mais lorsque le Coran dit : « Il tient les clefs du mystère ; Il est le seul à les connaître … », il est question du mystère absolu qui ne s’accommode pas du mystère relatif, car le mystère absolu est lié exclusivement à l’Essence divine et personne d’autre que Lui n’en a connaissance. Lorsque le mystère et la manifestation sont mentionnés côte à côte, comme dans ce verset :
« Il est Dieu, il n’est de dieu que Lui, Il est Celui qui connaît le mystère et la présence. Il est le Tout-miséricorde, le Miséricordieux. » (sourate Al-Hashr (Le regroupement) ; 59 : 22), cela signifie que Dieu connaît ce qui relève du monde sensible aussi bien que ce qui relève du monde suprasensible et le mystère dont il est question est celui du mystère absolu, pas du mystère relatif.
Pour expliquer le lien entre : « Il tient les clefs du mystère ; Il est le seul à les connaître … » et le verset qui le précède, les commentateurs ont dit que puisqu’à la fin du verset qui le précède, on peut lire : « … Dieu est le Meilleur pour connaître les iniques » (sourate Al-An‘âm (Les bestiaux) ; 6 : 58), on peut comprendre que par la suite Dieu ajoute : « Il tient les clefs du mystère ; Il est le seul à les connaître … » (6 : 59). Mais cette explication n’éclaire pas de façon suffisante, le sens exclusif du fragment : « Il est le seul à les connaître ».
Le mieux serait de dire à ce propos que le lien du verset n’est pas seulement avec la fin du verset précédent, mais plutôt avec le sens de l’ensemble des deux versets précédents. Car ce sens global des deux versets indique que le miracle que les incrédules avaient suggéré au Prophète (s) d’accomplir, et ce qui en est résulté à savoir le rejet de leur demande par l’Envoyé de Dieu sont quelque chose que Dieu seul peut connaître et juger. C’est Lui qui n’est jamais sujet à erreur dans Son jugement et dans le châtiment qu’Il impose aux injustes, car Il est plus Connaissant que tout être et Il connait l’invisible et le manifesté.
Il sait tout ce qui est menu ou gros, Il ne Se trompe pas dans Son jugement et n’oublie rien. Personne ne partage ces qualités avec Lui, ni ne Le traite sur un pied d’égalité. Ce sens se dégage des deux versets précédents. A présent, le verset que nous commentons ajoute que seul Dieu, exalté soit-Il, connaît l’invisible (le mystère) et que Sa Science embrasse toute chose. Puis dans les trois versets suivants, ce même sens est complété. Ainsi, le contexte de ces quelques versets est un contexte d’autres versets qui apparaissent, comme le verset du dialogue de ce prophète avec son peuple lorsque le peuple lui dit :
« ‘’ Es-tu venu, dirent-ils, nous détourner de nos dieux ? Amène-nous ce dont tu nous menaces, si tu es des véridiques‘’. Il dit : ‘’ La science n’en appartient qu’à Dieu. Je me borne à vous faire la communication en vue de laquelle je suis envoyé. Mais je vois que vous êtes un peuple d’ignorance ’’. » (sourate Al-Ahqâf (nom de lieu) ; 46 : 22 et 23).
« Il tient les clefs du mystère… ». Le mot arabe traduit par clefs est mafâtih, qui est le pluriel de maftah, qui signifie réserve, un lieu où l’on entrepose des choses. Il peut aussi être le pluriel de miftâh qui signifie clef. Cette lecture est aussi probable. Car elle est renforcée par une lecture peu attestée du pluriel mafâtih qui se lisait mafâtîh (avec un i long) qui lui est véritablement le pluriel régulier de miftâh, clef. Bien sûr, les deux significations reviennent au même, parce que celui qui a en mains les clefs des réserves invisibles connaît forcément ce que ces réserves contiennent et peut en disposer à sa guise au même titre que celui qui possède lesdites réserves. D’ailleurs, c’est une figure de style que de dire d’un magasin par exemple : j’en ai les clefs, pour signifier que l’on peut y pénétrer et disposer de son contenu. Quant au fait que tous les versets relatifs à ce thème ne fassent pas usage du terme mafâtîh, il n’est pas exclu que le sens visé par mafâtih al-ghayb soit bien celui de « réserves du mystère ». Voici quelques uns des versets en question :
« Possèdent-ils les trésors de ton Seigneur … » (sourate Al-Tûr (Le mont) ; 52 : 37).
« Je ne me vante pas auprès de vous de détenir les trésors de Dieu ». (sourate Hûd (nom de prophète) ; 11 : 31).
« Il n’est rien dont Nous ne possédions les réserves » (sourate Al-Hijr ; 15 : 21).
« Or Dieu tient les réserves des cieux et de la terre … » (sourate Al-munâfiqûn (Les hypocrites) ; 63 : 7).
« Ou est-ce qu’ils disposeraient des réserves de miséricorde de ton Seigneur … ? » (sourate Sâd ; 38 : 9).
Quoiqu’il en soit, les réserves de l’Invisible et le sens visé par les clefs de l’invisible (clavis absconditum), en un mot, le contenu du segment : « Il tient les clefs du mystère ; Il est le seul à les connaître … » en attribue exclusivement la possession à Dieu. Ceci est dû au fait que seul Dieu a connaissance du « lieu » où se trouvent les réserves de l’invisible et possède les clefs de ces réserves. Quel que soit le sens que nous donnions à ce verset, il signifie toujours que personne d’autre que Dieu ne possède les clefs de ces réserves pour en ouvrir les portes et disposer de leur contenu à sa guise. Même si le centre du verset réserve à Dieu la connaissance exclusive du mystère, il nous informe à la fin que la science de Dieu ne se limite pas à la connaissance du mystère, mais embrasse aussi bien la connaissance de la présence du monde visible. Il affirme que rien de sec ni d’humide n’échappe à Sa connaissance. En outre, on remarque que le verset n’a pas évoqué de façon exhaustive tous les mystères, mais seulement ceux des réserves aux portes fermées ou qui sont derrière les voiles de l’amphibologie, comme en fait état ce verset : « Il n’est rien dont Nous ne possédions les réserves » (sourate Al-Hijr ; 15 : 21). Les réserves du mystère sont considérées comme des choses auxquelles les critères sensibles qui mesurent en général toutes les choses de ce monde ne peuvent s’appliquer, car les unités de mesures communes des hommes ne peuvent pas en délimiter les contours. Sans doute, de tels mystères sont scellés de par leur nature même, c’est-à-dire pour la raison qu’ils sont infinis et incommensurables. Et tant qu’ils ne seront pas descendus du monde dans lequel ils se trouvent dans le monde de la présence, de la manifestation (shuhûd), où ils passeront par un processus d’individuation, c’est-à-dire tant qu’ils ne seront pas des êtres de ce monde des limites, ils demeureront dans l’état d’immuabilité (thubût), comme en témoigne le verset, et notre intelligence qui ne connait que des essences individuées sera dans l’incapacité de les connaître. Toutes les choses qui sont dans ce monde et dans les limites du temps, « étaient » auprès de Dieu à l’état d’immuabilité et enfermées dans les réserves du mystère, non affectées par quelque déterminant ou identifiant que ce soit. Quoiqu’il en soit, nous sommes incapables de connaître en quoi consiste la modalité de cette immuabilité.
Il est possible que d’autres choses soient accumulées et occultées dans ces réserves et qui ne soient pas du genre d’êtres temporels. On pourrait ainsi distinguer deux sortes de réserves du mystère divin : d’un côté, les mystères qui ont traversé l’étape de la présence, et d’autre part, les mystères qui sont hors du monde de la manifestation, et que nous appelons le mystère absolu (ghayb motlaq).
Naturellement, les mystères qui sont entrés dans le domaine de l’existence et de la présence ainsi que du monde de la limite et de la mesure – et compte non tenu de la limite et de la dimension qu’ils ont reçues – retourneront aussi au mystère absolu. Ils sont déjà le mystère absolu même. Si nous les appelons présence ou manifestation, c’est en gardant à l’esprit la mesure et la limite qu’ils possèdent ; ils peuvent faire partie des objets de notre connaissance. Ils ne sont présents qu’en tant qu’objets de notre connaissance. Autrement, ils demeurent des mystères. Bien sûr, il est possible que nous dénommions « mystère relatif » les objets du monde qui ne sont pas encore devenus des objets de notre connaissance. Par exemple, quelque chose qui se trouverait à la maison qui soit perceptible est invisible ou mystérieux relativement à quelqu’un qui se trouverait hors de la maison, alors que pour nous qui sommes dans la maison, cette chose ne serait pas un mystère. De même, la lumière et les couleurs sont « présence » pour la perception oculaire et « mystère » pour la perception auditive. Et les mêmes choses qui sont perceptibles pour un être humain possédant les deux sens (vision et audition) sont des présences, alors qu’elles sont absence et mystère pour un être humain qui serait sourd et aveugle. Sur la base de quoi, nous pouvons affirmer que les mystères que Dieu a évoqués dans le verset en discussion : « … Il sait ce qui habite la terre ferme et la mer. Pas de feuille qui tombe sans qu’Il ne le sache ; ni de grains dans les ténèbres du sol, ni rien de sec ni d’humide qui ne s’inscrive au Livre explicite. » (Sourate Al-an‘âm (Les bestiaux) ; 6 : 59) font partie de cette sorte de mystères relatifs, parce que tous les éléments qui sont mentionnés dans le verset sont des objets connus, bien définis, et dont la connaissance par les hommes n’est pas impossible.
Le sens du Livre explicite (Al-Kitâb al-Mubîn)
Ce verset nous indique que ces choses se trouvent dans le Livre explicite (kitâb mubîn). La question se pose alors de savoir si c’est en raison de leur caractère mystérieux et de leur caractère de présence qu’elles sont dans le Livre, ou si elles y sont seulement à cause de leur caractère de mystère. En d’autres termes, est-ce que le Livre explicite consiste en ce monde même de l’existence dont nous avons parlé ? Ou est-ce un livre dans lequel sont consignés de façon spéciale tous les êtres, dans un chapitre spécifique de telle sorte qu’il échappe à la perception de toute intelligence et au domaine embrassé par tout possesseur de science ? Nous savons que si telle était la signification du Livre explicite, son contenu serait le mystère absolu (ghayb motlaq).
Reposons la question en d’autres termes : est-ce que les êtres contenus dans l’enveloppe de ce monde et dont le verset en discussion a mentionné le nom seraient semblables à des lignes qui seraient tracées dans un livre ? Ou bien seraient-ils semblables à des choses extérieures dont un chroniqueur rendrait compte par écrit en les exprimant avec des mots dans son livre, et que par la suite, des significations font leur apparition extérieure conformément à ces mots ? Est-ce que les choses qui sont insérées dans le Livre le sont de cette dernière façon ou bien de l’autre ?
Du verset suivant : « Aucun malheur ne s’abat sur la Terre ou sur vos propres personnes qui ne figure déjà dans un Livre, avant même que Nous le fassions survenir. Et c’est une chose si aisée pour le Seigneur » (sourate Al-hadîd (Le fer) ; 57 : 22), il ressort que la relation du Livre explicite avec le monde phénoménal est la relation qu’entretiennent les lignes d’un programme d’action avec la mise en œuvre de ce programme. Et du verset :
« …Il n’échappe à ton seigneur ni le poids d’un atome sur terre ou dans le ciel, ni un poids plus petit ou plus grand qui ne soit déjà inscrit dans un Livre évident. » (sourate Yûnus (Jonas) ; 10 : 61), ainsi que du verset : « – le Connaisseur de l’Inconnaissable. Rien ne Lui échappe fût-il du poids d’un atome dans les cieux, comme sur la terre. Et rien n’existe de plus petit ni de plus grand, qui ne soit inscrit dans un Livre explicite. » (sourate Saba’ (Saba) ; 34 : 3), et du verset : « [Pharaon] dit : ‘’ Qu’en est-il des générations premières [qui comme nous étaient des idolâtres] ? ’’ Moïse dit : “La connaissance de leur sort est auprès de mon Seigneur, dans un livre. Mon Seigneur [ne commet] ni erreur ni oubli. » (sourate Taha ; 20 : 51 et 52) et d’autres versets encore, on peut déduire que, quoi qu’il en soit, le Livre explicite présente une sorte de dissemblance avec les êtres externes, un livre ayant une antériorité sur les êtres externes, et qui leur survit après leur retour à l’état d’extinction, exactement comme un programme d’action écrit et qui demeure même quand les actions ont été réalisées.
Un autre indice en faveur de la thèse que le Livre explicité doit s’entendre dans le premier sens consiste dans le fait que nous voyons de nos propres yeux que les êtres et les phénomènes du monde surviennent conformément aux lois générales et ne cessent pas de varier et de se transformer ; ceci alors que les versets du Coran indiquent plutôt que ce qui se trouve dans le Livre explicite ne subit pas de variation ni de changement. Comme par exemple dans ce verset :
« Dieu abolit ce qu’Il veut, ou le confirme : Il tient le Livre original. » (sourate Al-ra‘d (Le tonnerre) ; 13 : 39) ; ou ce fragment de verset : « (le Coran) Issu d’une table bien gardée » (sourate Al-Burûj (Les châteaux) ; 85 : 22) ; ou encore celui-ci : « Nous avons un Livre où tout est conservé » (sourate Qâf ; 50 : 4).
Comme on le voit, ces versets montrent que ce Livre, tout en faisant état et consignant l’ensemble des spécificités relatives aux évènements et aux hommes et femmes concernés ainsi que les transformations qu’ils subiront, ce Livre, disons-nous, reste en lui-même invariable et ne connaît aucune transformation.
La différence entre le Livre explicite et les Réserves du Mystère
C’est ici que l’on comprend que le Livre explicite se distingue des réserves du Mystère qui contiennent les choses qui sont auprès de Dieu. Dieu a décrit les réserves comme étant dotées de dimensions illimitées. Les choses qu’elles contiennent ne deviennent limitées que lorsqu’elles en sortent et viennent à l’être externe dans le monde phénoménal qui est celui où nous vivons. Face à cela, Il a décrit le Livre explicite comme composé d’êtres et comme le dépôt d’êtres et de phénomènes méticuleusement définis et délimités. Pour cette même raison, le Livre explicite se distingue nettement des réserves de l’invisible (ou du mystère). Le Livre explicite est une chose que Dieu a amené à l’être afin d’y enregistrer la totalité des êtres individués après leur sortie des réserves du mystère et de les préserver avant de parvenir au monde de l’existence, et aussi après cela et après avoir traversé leur cycle dans ce monde. Témoigne de cette signification le fait que Dieu a mentionné ce Livre dans le Coran dans des contextes où Il a voulu faire connaître que Sa Seigneurie embrasse de Sa science les essences de tous les êtres et évènements survenant dans l’univers, aussi bien les êtres et évènements qui nous sont perceptibles que ceux qui nous sont invisibles et mystérieux. Quant au Mystère absolu auquel nul n’a accès, il a été décrit ainsi qu’il consiste en réserves et autres lieux secrets qui se trouvent auprès de Dieu et que personne d’autre que Dieu ne connaît ; certains versets laissent penser ou au moins donnent l’impression que la possibilité est donnée à certains êtres de connaître le Livre explicite, mais l’accès aux trésors et réserves du mystère est exclusivement réservé à la science divine. Comme ce verset par exemple :
« Ceci est une noble lecture de passages d’un Livre caché que touchent seulement les purifiés. » (sourate Al-Wâqi‘a (L’Echéante) ; 56 : 77 à 79).
Ainsi, on voit qu’il n’existe pas de différences entre les réserves et le Livre explicite, en ce que chacun d’eux englobe l’ensemble des êtres. De même, il n’est aucun être qui ne relève d’une réserve auprès de Dieu, de laquelle il puise son soutien, de même qu’il n’est aucun être qui ne soit enregistré dans le Livre explicite, avant sa venue à l’existence, au moment de sa venue à l’existence et après sa venue à l’existence – excepté le fait que le degré du Livre explicite est d’un échelon inférieur par rapport au degré des « Réserves auprès de Dieu ». Et c’est ici que s’éclaircit pour tout savant averti que le Livre explicite, en même temps qu’il n’est qu’un livre et rien de plus, n’est pas non plus un livre écrit sur du papier ou sur une table, car des feuilles matérielles, aussi immenses soient-elles ou qu’on les supposerait telles, n’offriraient jamais l’espace suffisant pour qu’on y inscrive leur propre histoire prééternelle et à plus forte raison l’histoire d’un être prééternel et post éternel d’un être autre qu’elles, encore moins de contenir l’histoire éternelle de l’ensemble des êtres. De ce qui précède, deux points ont été éclaircis : premièrement, le sens visé par « réserves du mystère » est celui-là même de trésors divins qui englobe le mystère de l’ensemble des êtres, aussi bien ceux qui ont mis le pied dans cet espace terrestre (ce monde) que ceux qui ne l’ont pas mis. Bref, le sens du verset en discussion est celui-là même que donne le verset :
« Il n’est rien dont Nous ne possédions les réserves, et Nous n’en faisons rien descendre que selon une mesure déterminée. » (sourate Al-Hijr ; 15 : 21).
Deuxièmement, ce qu’il faut entendre par Livre explicite est quelque chose dont la relation avec les êtres est comme la relation d’un programme d’action avec chacune des actions réalisées. A chacun des êtres de ce Livre sont affectées une grandeur et une estimation déterminées, sauf que ce Livre est une entité qui a existé avant tout être et qui continuera d’exister pendant l’avènement de cet être et après la disparition de cet être. Il est un être qui englobe la science que Dieu a des choses, cette science qui n’est jamais atteinte par l’oubli et l’égarement. C’est pourquoi on peut deviner que la signification réelle du Livre explicite est le degré réel ainsi que la réalisation externe des choses qui n’admettent aucune forme de variation dans la scène de ce monde. Autrement, avant de tomber dans ce monde, il n’est pas impossible qu’ils soient atteints par le changement. C’est pourquoi il a été dit : « Aucune chose ne change par rapport à l’état dans lequel elle a été créée. »
Bref, ce Livre est un livre dans lequel sont énumérés tous les êtres qui font partie intégrante du monde de l’existentiation (îjâd) et de l’innovation. Tout ce qui a été, est ou sera, y est mentionné, sans que la plume y omette la moindre chose. Outre ce livre, il existe évidemment des Tables et d’autres livres qui admettent le changement, la substitution, l’abolition (effacement) ou la confirmation.
Le verset « Dieu abolit ce qu’Il veut, ou le confirme : Il tient le Livre original. » (sourate Al-Ra‘d (Le tonnerre) ; 13 : 39) fait état de l’existence de ces livres. Parce que c’est par rapport à la « Mère du Livre » (umm al-kitâb) que s’effectuent l’abolition et la confirmation et cela constitue en soi une preuve de ce que cette abrogation et cette confirmation ont lieu dans le Livre explicite. C’est ici que devient claire la raison du lien unissant le verset en discussion avec ce qui le précède. Parce que le verset précédent disait : ce que vous avez demandé, ce que vous avez souhaité pour qu’entre nous tout soit aplani, n’est pas à la portée de mon pouvoir. Et en admettant que cela fut à ma portée et que je l’aurais fait, les choses se seraient aplanies entre vous et moi de telle sorte que vous auriez été livrés aux châtiments réservés aux oppresseurs parce qu’un Dieu dont la science ne contient aucun mélange d’ignorance sait parfaitement qui de vous et de moi est l’oppresseur. Ce sens se dégage pour nous de la phrase : « Les réserves du mystère sont auprès de Lui » et de « Il connaît ce qui est dans la terre et dans la mer ». La première phrase fait allusion au fait que l’Envoyé de Dieu n’est pas capable, par lui-même, de répondre positivement à leur demande capricieuse ni de fixer un critère décisif entre lui et eux, alors que la deuxième phrase prouve que Dieu qui connaît tous les êtres de la mer et de la terre sèche ne commet jamais d’erreur sur les injustes et sur l’injustice, car rien de grand ou de petit n’est omis dans le Livre explicite.
Par conséquent, le sens du mystère qui est mentionné dans le verset est bien celui du « mystère absolu » (ghayb motlaq) et le membre de la phrase « Nul ne les connaît … » (lâ ya‘lamuhâ) est une phrase qui indique l’état du fait que les réserves du mystère sont prédiquées de la science divine, pas de cette science que nous connaissons qui résulte d’une saisie mentale d’une chose ayant déjà reçu une forme définie et limitée qui est ensuite représentée comme image. Les réserves du mystère ne sont pas concernées par l’état post rem des choses mais plutôt, comme nous l’avions expliqué, il s’agit d’une science des êtres ante rem, c’est-à-dire avant même de venir à l’être extérieur. Il s’agit donc d’une science infinie qui n’est pas de nature empirique, réagissant aux connaissables et y puisant ses informations. Rien ne s’ajoute à Sa science et rien ne s’en retranche.
(Universalité et infinité de la science divine). « Il sait ce qui est sur terre et dans la mer ». Le membre de phrase : « Il sait ce qui est sur terre et dans la mer » nous informe de l’universalité de la science divine et nous fait comprendre la partie des êtres qui pourrait faire partie de la connaissance des autres ; si certains n’en ont pas la science, il est possible que d’autres encore en aient la science. Tout et entièrement tout est connu par Dieu. Et s’Il a mentionné les terres et ce qui s’y trouve en premier (avant la mer), c’est pour la raison qu’Il s’adresse à des hommes dont l’essentiel des activités se passent sur terre.
Dans la phrase : « Pas de feuille qui tombe sans qu’Il ne le sache », Il a fait mention du nom de la feuille d’un arbre pour donner l’exemple de l’infinité de la science de Dieu, car la grande quantité de feuilles des arbres est telle que l’homme est incapable de les décompter et de les distinguer les unes des autres, ni de connaître les spécificités et les différences entre chacune des feuilles ni de surveiller et déterminer l’arbre duquel tombe telle ou telle feuille. Il semble aussi que le membre de phrase : « ni aucun grain dans les ténèbres du sol » et le membre : « ni rien d’humide ni de sec » soient rattachés à « pas de feuille qui tombe … ». Par les ténèbres du sol, il veut dire les profondeurs du sol où germent les graines et où d’autres pourrissent, et aucune feuille humide ou sèche ne tombe au sol sans que Dieu ne le sache. Par conséquent le membre : « qui ne s’inscrive au livre explicite » est un substitut pour « sans qu’Il ne le sache », car il exprime la même signification. Il n’y a rien de sec ni d’humide qui ne soit porté ni inscrit dans le Livre explicite. Si le mot « explicite » (mubîn) est pris dans son sens de « ce qui rend clair et précis dans l’énoncé » (explicitant), cela voudrait dire que le Noble Coran exprime la réalité de chaque chose telle qu’elle est sans ambigüité, ni substitution, ni modification. Et si le mot explicite est pris dans son sens de « clair et manifeste », le même sens s’en dégagera aussi, et le Livre en sera ainsi qualifié pour la raison que le Livre consiste justement dans ce qu’il contient et la réalité de ce qui s’y trouve inscrit consiste dans les sens que dégagent les mots qui s’y trouvent. Et lorsque ces mots ne comportent aucune amphibologie, ils deviennent forcément explicites et manifestes, et le Livre deviendra forcément un Livre explicite.
« C’est Lui qui la nuit (au moment de votre sommeil) vous récupère (votre âme), non sans connaître vos actions du jour, après quoi Il vous fait ressurgir (de votre sommeil), pour qu’un terme fixé s’accomplisse, et puis vers Lui sera votre retour, et alors Il vous informera de ce que vous avez fait. » (sourate Al-An‘âm (Les bestiaux) ; 6 : 60).
Seul Dieu connaît les secrets du monde
S’adressant au Prophète (s), Dieu lui dit : Informe les gens que Je suis le Maître et le Décideur et dis-leur : « je ne m’arroge personnellement ni avantage ni dommage, sinon ce que Dieu voudra … » (sourate Al-A‘râf ; 7 : 188). Ce verset réaffirme que toute la puissance appartient à Dieu et que l’homme ne l’a qu’en tant qu’il la reçoit de Dieu, car c’est Dieu qui la met à notre disposition. En d’autres termes, Dieu est le Maître de toutes les puissances et Celui qui décide en toute souveraineté et de par Son Essence. Seul Lui possède cette Puissance réellement et cette Maîtrise, alors que les autres, y compris les prophètes et les anges, la possèdent par autrui. Le fragment « sinon ce que Dieu voudra » confirme aussi cela.
Dans de nombreux autres versets du Coran, on trouve un rejet de l’idée que le dommage et l’avantage puissent procéder d’une autre décision que celle de Dieu, et c’est la raison pour laquelle l’adoration des idoles est déconseillée et frappée d’interdit. Comme en atteste ce verset :
« Pourtant, ils se donnent en Sa place des dieux qui ne créent rien : eux-mêmes créés, ils n’ont pouvoir de leur apporter dommage non plus qu’avantage, n’ont pouvoir ni de mort, ni de vie, ni de résurrection. » (sourate Al-Furqân (Le critère) ; 25 : 3).
Cela fait partie des éléments définitoires de la foi d’un musulman que de professer que personne ne peut être par essence créateur, pourvoyeur de richesse, garant du gain ou de la perte excepté Dieu. Car hormis Dieu, il n’y a que des êtres créés qui n’ont aucun pouvoir de s’assurer de réussite, de victoire ni même de se nuire sans l’aide et la volonté de Dieu. Et quand le croyant obtient quelque chose qu’il a demandée à quelqu’un, il n’oublie jamais que les créatures ne sont que des causes secondes et que tout vient de Dieu. L’erreur de ceux qui prennent ce genre de versets comme des prétextes pour nier toute sorte de quête d’intercession auprès des prophètes (as) et des Imâms (as) et qui ont imaginé que cela constituait une sorte de polythéisme provient de ce qu’ils se sont représenté que l’intercession des prophètes et des Imâms était opposée et indépendante de la volonté de Dieu et qu’ils détenaient le pouvoir d’avantager ou de nuire. Après avoir expliqué ce point, attirons l’attention sur une autre question importante qui a été posée à un prophète par un groupe de gens et au terme de laquelle Dieu donne la réponse à Son prophète :
« … Si j’avais connaissance du mystère, j’abonderais en bien, nul mal ne m’effleurerait … » (sourate Al-A‘râf (Les Redans) ; 7 : 188).
En fait, dans le verset plus haut, le segment « Je ne connais pas le mystère » a été supprimé et la phrase qui suit prouve que celui qui a la connaissance de tous les secrets du monde aura la possibilité d’aller à la rencontre des évènements qui lui seront favorables et saura éviter les évènements qui pourraient lui être préjudiciables. Il se voit donc devant la nécessité de rappeler son rang réel et sa mission d’envoyé dans une phrase brève et dit : « Mais je ne suis là que pour donner l’alarme, porter l’annonce à un peuple capable de croire. » (sourate Al-A‘râf (Les Redans) ; 7 : 188).
La phrase précédente est un témoignage évident de ce que le but n’est pas de nier la maîtrise de l’utile et du nuisible ou la négation de l’invisible de façon absolue, mais seulement de nier l’autonomie, l’indépendance de son être propre ; et en d’autres termes, le Prophète (s) ne connait rien par lui-même, mais uniquement ce que Dieu lui enseigne des mystères ou qu’Il met à sa disposition. Comme on peut le lire dans ce verset : « [C’est Lui] qui connaît le mystère. Il ne dévoile Son mystère à personne, sauf à celui qu’Il agrée comme Messager… » (sourate Al-jinn (Les djinns) ; 72 : 26 et 27).
Pour compléter la fonction de direction des prophètes qui est une direction de tous les hommes, universelle et aussi une direction dans tous les domaines de ce monde aussi bien que dans le domaine spirituel, il est nécessaire de posséder une connaissance pluridisciplinaire et dans des disciplines qui sont inaccessibles à beaucoup d’hommes ; pas uniquement une connaissance des préceptes et des lois divines, mais des connaissances concernant les mystères du monde de l’être, de la complexion des hommes et même une connaissance se rapportant à une partie des évènements passés et à venir. Il s’agit ici d’une partie des connaissances que Dieu met à la disposition de Ses Envoyés et de Ses représentants. Et s’Il ne le faisait pas, leur fonction de direction et de guidance des hommes ne serait pas complète. Par conséquent, un homme est qualifié d’informé quand il peut connaître ce qui se passe partout et à toutes les époques, comme s’il en était contemporain et témoin. Cela, seule l’Essence de Dieu peut le faire. Hormis Elle, tout être limité dans l’espace et dans le temps déterminé ne peut être au courant de tout. Mais rien n’empêche que Dieu mette une partie de la connaissance du mystère qu’Il juge nécessaire et qui soit de nature à compléter l’efficacité des guides et directeurs divins, à la disposition de ces derniers. Et cela n’est pas à proprement la connaissance du mystère, mais une connaissance par exposition partielle, comme une connaissance par inculcation au moyen d’un intermédiaire.
De nombreux versets du Coran témoignent de ce que Dieu n’a pas seulement attribué une telle science à Ses envoyés et représentants, mais l’a même parfois attribuée à d’autres que ceux-là. La direction des affaires des hommes conformément aux ordres divins requiert une part de connaissance qui est cachée aux autres hommes, connaissance sans laquelle leur mission demeurera inachevée.