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La représentation du pèlerinage à La Mecque dans la miniature islamique : fresque de l’unité de la communauté musulmane*
Mahnâz Shâyesteh Far Traduit et adapté par Zeinab Golestâni
Introduction
La peinture islamique, notamment après les Ilkhanides, se mit au service de la diffusion de l’islam. Les miniatures ilkhanides illustrant les cérémonies du pèlerinage à La Mecque (le hadj) tentent de transmettre la signification de ce pèlerinage. Le cérémonial du hadj semble démontrer à merveille le souci islamique d’une solidarité sociale et d’une société saine. En accomplissant leur pèlerinage, les musulmans montrent individuellement aussi bien leur soumission à Dieu que leur ascension vers les réalités spirituelles. Grâce aux actes de dévotion, ils se rapprochent de Dieu, purifiant ainsi leur cœur du polythéisme et de l’ignorance. De plus, ces cérémonies leur permettent de préserver leur unité, de mettre en place une organisation, de prendre des nouvelles des autres membres de la communauté islamique, et de démontrer la solidité et la solidarité de leur société. Les musulmans exercent alors dans le congrès universel du hadj la fraternité, la justice, l’égalité, la liberté, l’altruisme, l’unité, la solidarité et le pouvoir. En tant que principe secondaire de la religion, le précepte du hadj est à respecter par tout musulman qui possède suffisamment de ressources financières pour le faire. C’est aussi l’un des critères essentiels pour rapprocher les musulmans les uns des autres.
La croyance en Dieu conduit tous les musulmans à tourner autour du même axe, ou vers la même direction, qui est celle de la Kaaba : “Les croyants ne sont que des frères” (sourate IL, verset 10) ; “Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons” (Sourate I, verset 156). La foi en l’Unicité de Dieu et en Ses versets coraniques se veut la source de la fraternité et de l’égalité entre les musulmans.
Manifestation de l’amour, de la dévotion, et du désir d’éternité, les cérémonies du hadj sont des expressions de la nature innée de l’homme séparé de sa patrie originelle. Proposant un mythe sur l’adoration de Dieu, ce précepte divin livre l’homme à une expérience singulière qui ne se réalise que dans le lieu le plus proche de l’essence divine.
Les miniaturistes et peintres musulmans ont tenté d’exprimer l’expérience esthétique de ces rites grâce aux œuvres picturales chargées d’une intuition artistique enracinée dans le désir de la Beauté divine.
Le peintre des miniatures islamiques cherche à refléter dans son œuvre un état mystique dû à une expérience spirituelle qui a lieu au-delà des formes géométriques et ornementales et qui permet à l’artiste de représenter, en mêlant des éléments religieux et artistiques, la profondeur du sens et du sentiment. Ces œuvres témoignent souvent d’un équilibre singulier qui leur est propre.
Étudiant dans cet article les symboles et signes cachés dans les miniatures iraniennes et ottomanes du XIVe au XVIIe siècle (VIIIe au XIe siècle de l’hégire), nous chercherons à y trouver les exemples de l’unité musulmane dans les cérémonies du hadj.
La miniature islamique du XIVe au XVIIe siècle
Dans les dernières années du XIIIe siècle (VIIe siècle de l’hégire), la miniature persane se tourna vers les nouveaux champs artistiques. Cet art fit des progrès du XIVe au XVIe siècle (VIIIe-Xe siècle de l’hégire), connaissant son apogée au XVIIe siècle, après quoi il s’éteignit. Au cours de ces quatre siècles, les Mongols fondent la dynastie Ilkhanide, puis viennent les Djalayirides, Indjouïdes, Mozaffarides, Timourides, Turkmènes, Ouzbèkes, et Safavides, tous régnant sur de grands pans du territoire iranien.
À l’époque ilkhanide, la peinture chinoise influença notablement l’école de la miniature mongole qui s’efforçait notamment d’illustrer des événements historiques et religieux. Bon nombre d’œuvres de miniature religieuse datent de cette période. C’est durant cette époque que Rashideddin Fozlollâh, vizir de Ghâzân Khân, écrivit son Jâme’-o-tawârikh (Histoire universelle). Le manuscrit de ce livre, qui fut illustré en 1306/707, est enluminé et comporte des miniatures représentant des histoires coraniques, dont celle d’Adam et sa Chute du paradis ainsi que de Jonas, mais aussi des récits de la Torah et des Évangiles. Ces illustrations témoignent non seulement de l’unité entre les musulmans, mais aussi de l’unité des monothéistes.
Après cette époque, lors de la période djalayiride, les écoles de Shirâz et de Bagdad devinrent des centres artistiques reconnus. Quelques enluminures précédant la période timouride et illustrant des scènes du Shâhnâmeh, représentatives du style de l’école de Shirâz, ont été conservées. Lors de cette période, les œuvres picturales étaient généralement associées à des thèmes littéraires. Cependant, l’importance grandissante du mysticisme islamique dans la littérature persane donne parfois lieu à la création de miniatures représentant des thèmes autant littéraires que religieux. Citons notamment une miniature représentant l’adoration de Dieu à côté de la Kaaba, qui illustre l’œuvre épique titrée Shâhnâmeh (1341/742) de Ghavâmeddin Hassan Shirâzi, ministre savant du XIVe siècle. La peinture et la miniature ont alors beaucoup d’importance, ce qui mène au développement de différentes écoles artistiques, notamment celles de Shirâz et d’Ispahan, qui s’influencent les unes les autres. De là, la similarité des techniques utilisées aussi bien dans la peinture timouride de l’école de Hérat que dans des miniatures de l’école de Shirâz. Ces similarités ont poussé certains spécialistes à considérer l’école de Shirâz comme la source d’inspiration de l’école de Hérat. C’est d’ailleurs le neveu de Shâhrokh Mirzâ, Eskandar Soltân, qui développe la peinture timouride à Shirâz et dans la province de Fârs. Une œuvre de ce prince, intitulée La bataille d’Eskandar Sultan, comporte clairement des éléments qui apparaissent dans les œuvres de l’époque suivante. Datant de 1410/813, ce livre de 500 pages contient des enluminures peintes dans divers styles, et se veut une encyclopédie comprenant le Khamseh de Nezâmi, Khomay et Khomayoun, trois chapitres du Livre des rois, et le Resâlat al-Nodjum (Essai d’astrologie). On remarque également dans cet ouvrage quelques miniatures d’inspiration religieuse et de styles divers.
C’est sous le règne des Timourides que la miniature persane connaît son âge d’or. Tamerlan lui-même n’était guère un mécène et aucune œuvre importante ne fut composée durant son règne à Samarcande, sa capitale. Mais celui de son fils, Shâhrokh, voit au contraire le développement des arts et des cultures. Le calme relatif de cette période et l’intérêt du roi pour les arts donnent aux artistes la possibilité de fonder une nouvelle école, aux caractéristiques spécifiques, qui est innovante au point d’être considérée comme l’une des étapes importantes dans l’évolution de la miniature religieuse. Les enluminures de cette époque représentent aussi bien des sujets historiques et littéraires que des sujets religieux (récits coraniques et évangéliques, éducation des sciences religieuses, etc.), reflétant en partie les intérêts religieux des rois et des ministres croyants timourides. L’un des manuscrits proprement religieux de cette période est le Me’râdj Nâmeh (Récit de l’Ascension du Prophète). Composé sous le règne de Shâhrokh, ce livre est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France, et se fait remarquer par ses illustrations de l’Ascension du Prophète au Paradis et en Enfer. S’abstenant de reprendre des techniques importées, notamment celles chinoises et chrétiennes, la peinture de cette époque se base sur un style proprement iranien.
Sous les Safavides, beaucoup de centres s’occupant de la publication des manuscrits recrutaient un grand nombre d’artistes pour les enluminer. Or, les œuvres religieuses revêtent une importance particulière durant cette période. Même si les productions picturales de l’époque safavide s’enracinent dans la peinture timouride, elles représentent plutôt des croyances chiites. Parmi les œuvres de cette époque, nous pouvons nommer Rawzat as-safâ fi sirat al-anbiyâ wal moluk wal-kholafâ (Le jardin de la pureté dans la biographie des prophètes, des rois et des califes) de Mirkhând (1595/1004) et Selselat al-Zahab (La chaine d’or) de Djâmi. Illustré en 1549-1550/ 970-971 sous Tahmâsp Ier, un autre manuscrit de Selselat al-Zahab raconte le pèlerinage à La Mecque du quatrième Imâm chiite, l’Imâm Zayn al-Âbedin, et appartient à l’école picturale de Tabriz. Un autre manuscrit de Rawzat as-Safâ, conservé au musée du Caire, date de l’époque d’Abbâs Ier le Grand. Autre manuscrit important de l’époque safavide, celui de Habib as-siyar fi akhbâr-e afrâd-e bashar (Des amis de la biographie) de Mohammad Ibn Ghyâs al-Din Khândmir (1475-1534/ 880-941), grand historien de la fin des Timourides et début des Safavides. Ce livre comprend l’histoire de l’Iran des Pichdadides jusqu’aux dernières années précédant la mort de Shâh Esmâïl Ier. Illustrés par vingt enluminures représentant la vie des prophètes, les deux premiers volumes de cette historiographie comprennent l’Histoire de ces messagers divins, d’Adam à Mohammad.
La miniature ottomane du XIVe au XVIIe siècle
Les relations politiques, culturelles et religieuses étroites entre les Iraniens et les Turcs ottomans entre les XIVe et XVIIe siècles sont à l’origine de l’apparition d’œuvres picturales abordant les thèmes religieux dans ces deux pays. C’est pourquoi l’étude de l’histoire de la peinture en Iran à l’époque safavide exige de porter un regard sur la peinture ottomane. D’une part, l’Empire ottoman recevait des artistes et des savants iraniens et d’autre part, la langue officielle commune des deux cours facilitait les rapports internationaux.
Sous le règne de la plupart des rois ottomans, notamment Soliman Ier, de grands ateliers s’occupaient de la publication non seulement de livres d’histoire, de droit, de théologie, mais aussi des Corans, des livres de prières et des livres mystiques. Ceux-ci étaient offerts aux grandes mosquées et aux centres scientifiques à Istanbul et dans d’autres villes de l’Empire ottoman. L’un des manuscrits enluminés à la cour ottomane par des artistes iraniens est le Siyar an-Nabi (Biographie du Prophète) (1595/974). Reproduite d’après un exemplaire datant de 1364/766, cette œuvre majeure en 6 volumes comprend 814 illustrations, toutes inspirées des écoles picturales persanes. L’une de ces œuvres représente la vie du Prophète avant sa naissance. Chaque volume du Siyar an-Nabi est conservé dans la bibliothèque d’un pays différent ; le premier, le deuxième et le sixième se trouvent au musée de Topkapi à Istanbul, le troisième dans la collection Spencer à la bibliothèque publique de New York, et le quatrième à la Bibliothèque Chester-Beatty à Dublin. Le cinquième volume est perdu. Bien que les miniatures illustrant ce manuscrit rappellent un style pictural proprement iranien, l’illustration de ce livre constitue une étape importante dans la peinture ottomane. L’emploi des couleurs dominantes, des détails peu soulignés, et l’utilisation de pinceaux plats font partie des différences techniques entre les peintures turque et persane. De plus, nous rencontrons dans l’école ottomane des miniatures peintes sur des feuilles séparées, et représentant la Kaaba et les cérémonies du pèlerinage à La Mecque.
Analyse des miniatures représentant la Kaaba et les cérémonies du Hadj
35 ans après la naissance du Prophète, c’est-à-dire 5 ans avant son avènement, la Kaaba conservait encore sa structure d’origine. C’est seulement à ce moment-là que les Qorayshites décidèrent de la reconstruire. Et pour ce faire, ils utilisèrent des piliers en bois d’un vieux bateau échoué. Or, depuis quelque temps, un serpent ayant construit son nid dans le puits de la Kaaba effrayait les Mecquois. Un jour, sortant de son nid, le serpent s’accrocha au mur de la Kaaba. Un oiseau, envoyé par Dieu, le chassa. Satisfaits de ce don divin, des habitants de La Mecque le prirent pour un signe divin au sujet de la reconstruction de la Kaaba. Ils se mirent au travail et jurèrent de ne pas y dépenser de l’argent mal acquis. Ils érigèrent le mur jusqu’à l’endroit de la Pierre Noire, relique remontant selon les traditions à l’époque d’Adam et d’Ève. Ils se disputèrent alors pour choisir celui qui déposerait la Pierre dans son emplacement. Le plus âgé des présents proposa de prendre pour juge la première personne qui passerait près d’eux. La proposition fut acceptée et la première personne qui passa fut Mohammad. Ce dernier proposa de déposer la Pierre Noire sur un tissu pour qu’elle soit déplacée par les représentants de toutes les tribus qui en soulèveraient chacun un pan. Ainsi fut fait et la Pierre Noire fut déplacée jusqu’à son emplacement, où Mohammad l’installa dans le mur de la Kaaba. Une enluminure de Jâmi al-Tawârikh illustre cette histoire. On y voit le Prophète sous les traits d’un mince jeune homme debout devant la Kaaba et soulevant la Pierre Noire. Celle-ci est posée sur un tissu dont chaque pan est tenu par l’un des chefs des tribus Qorayshites. (Photo 1)
Cette miniature souligne la sacralité de la Kaaba et de la Pierre Noire même avant l’avènement du Prophète. Il y a aussi une enluminure qui illustre la Descente de la Pierre du ciel sur ordre divin entre les mains du prophète Abraham.
Cette miniature issue du manuscrit illustré Habib as-Siyar de Ghyâseddin Khândmir représente l’édification de la Kaaba par Abraham. Ayant reçu une Révélation concernant la construction d’une maison pour Dieu sur la Terre, Abraham se mit en route, guidé par des anges. Se mouvant devant lui, l’ange Gabriel lui montrait le chemin, alors qu’un nuage le protégeait du soleil. Une fois arrivé au lieu déterminé, Abraham bâtit un édifice aux mêmes dimensions que l’ombre du nuage. Avec l’aide de son fils Ismaël, Abraham construisit cet édifice avec des pierres qu’il avait rassemblées de cinq montagnes. Pour la base, il employa des pierres de Jabal al-Nour (la montagne de la lumière), et entre les murs, il édifia une place vide pour la Pierre Noire.
Cette enluminure montre Abraham debout en train de prier, tandis qu’un voile recouvre son visage et que des flammes lumineuses dansent sur ses épaules. On dirait qu’il remercie Dieu pour l’avoir aidé dans la construction de cette maison, et qu’il Lui demande d’accorder à son fils Ismaël une vie pleine de justice et de tranquillité. À gauche de l’image, nous retrouvons Ismaël debout, mains tendues vers la Kaaba, ce qui souligne peut-être sa participation à l’édification de ce bâtiment. Bien qu’Ismaël soit aussi un prophète, le peintre s’abstient de mettre un voile sur son visage, et met en revanche un chapeau sur sa tête. Ce chapeau et les vêtements que portent les deux prophètes ne ressemblent guère aux habits des nomades. Les deux figures portent aussi des ceintures. En haut de la page, se trouve un ange descendant du ciel et tendant ses mains vers la Pierre Noire, comme s’il allait la toucher. On pourrait penser que c’est lui qui a apporté la pierre à Abraham. Il s’agirait donc de l’ange Gabriel. Les quatre piliers de l’édifice, présentés avec simplicité, s’accordent avec le style architectural de l’époque.
Parmi les enluminures désignant l’état de sacralisation (ihram) des musulmans pendant le pèlerinage à La Mecque se trouve une peinture ornant le Shâhnâmeh de Ghavâmeddin Shirâzi. Il dépeint le hadj d’Alexandre le Macédonien, personnage important dans la littérature médiévale persane.
Au centre de la scène, nous voyons la Kaaba colorée en noir et gris. Ayant déposé sa couronne et son turban, Alexandre agrippe la poignée de la porte de la Kaaba. Derrière lui, à droite, se trouve un homme qui porte sa couronne. Il est entouré d’autres personnes en habits d’ihram. La miniature montre également les murs et les minarets de la Mosquée al-Harâm, à l’intérieur de laquelle se trouve la Kaaba. En haut des murs est peint un rocher gris. Dans le ciel gris se trouvent des étoiles brillantes et la lune dorée qui, à l’instar du soleil dans les miniatures persanes, a des yeux, des sourcils et des cheveux. En bas de la page, et hors de la scène principale limitée par des calligraphies, se tiennent d’autres officiers d’Alexandre avec des chameaux et des chevaux chargés. En bas, à droite, deux personnes soufflent dans des trompettes. (Photo 2)
Presque un siècle après la réalisation de cette enluminure, une autre miniature datant de 1410/812 et illustrant La bataille d’Eskandar Sultan aborde pour la deuxième fois le sujet de la participation d’Alexandre dans les cérémonies du hadj. Cette miniature représente plus solennellement les rites du pèlerinage à La Mecque et les scènes de la circumambulation autour de la Kaaba.(Photo 3) Contrairement à la miniature du Shâhnâmeh de Ghavâmeddin, celle-ci montre Alexandre en tenue d’ihram et accomplissant les rites comme un homme ordinaire.
Cette miniature recouvrant deux pages montre l’effort visible dans les dernières années de l’ère ilkhanide pour donner de plus en plus de majesté aux représentations du hadj, ce qui rappelle l’importance particulière des préceptes islamiques durant cette période. Cette peinture donne une image de plus en plus belle du Kiswa, étoffe de soie noire recouvrant la Kaaba. Illustré et publié à Shirâz, le manuscrit contenant cette enluminure est aujourd’hui conservé au British Museum.
Sur la page de gauche, on voit l’édifice de la Kaaba, d’une couleur différente des autres miniatures faites à cette époque. Toute verte, la Kaaba a une structure très simple. En bas de la page se trouve une construction en briques. Tout le monde, y compris Alexandre, se trouve en état de sacralisation et effectue des circumambulations. Encore une fois, Alexandre est le plus proche du bâtiment et agrippe la poignée de la porte en récitant des prières. La phrase Dieu est Unique est inscrite sur l’épigraphe installée sur la partie supérieure de la Kaaba, derrière laquelle se trouve la Mosquée al-Harâm. La représentation du ciel et la couleur particulière des nuages singularisent également cette miniature. Dans les nuages dessinés derrière la Kaaba, des anges accomplissent des actes de dévotion. La page droite montre la ville de La Mecque et l’arrivée des caravanes de pèlerins. Cette miniature représente bien l’unité sociale du monde musulman au moment du hadj.
Une autre des miniatures connues représentant la circumambulation et ainsi l’unité des musulmans, orne les pages du Khamseh Nezâmi datant de 1490/896. Elle est attribuée à Kamâleddin Behzâd (1450-1535).
Cette miniature raconte l’histoire de Majnoun l’amoureux, allé accomplir le pèlerinage à La Mecque afin d’oublier sa bien-aimée Leila. Sur cette miniature, nous le retrouvons en habits d’ihram, debout devant la porte de la Kaaba, alors que les autres pèlerins, également en état d’ihram, accomplissent leurs circumambulations. Cette œuvre démontre à la fois l’Unicité de Dieu et l’unité des musulmans au-delà de la diversité de leurs cultures.(Photo 4)
La Kaaba, représentée majestueusement, est ornée d’une proposition qui est inscrite dans la partie supérieure du kiswa : « La gloire est à Celui qui est le Souverain du Royaume et du plérôme céleste. » Au-dessous de cette inscription est écrite en thuluth une tradition prophétique honorant la prière : « Hâtez-vous de faire la prière avant de mourir. » Une autre prescription traditionnelle est inscrite en-dessous du conseil du Prophète : « La prière est la colonne de la religion. » Créant une image sublime de la Kaaba, l’inscription de ces traditions met l’accent d’une part sur la majesté de ce bâtiment, et d’autre part sur l’importance de l’accomplissement des préceptes religieux, ce qui s’enracine certainement dans les croyances islamiques de l’époque de la production de l’œuvre. La Mosquée d’al-Harâm y est figurée avec une grande beauté.
L’une des miniatures ornant un manuscrit de Nezâmeddin Astarâbâdi, poète du XVe et XVIe siècle, illustre également l’importance et la majesté de la Kaaba et du hadj avant même l’avènement de l’islam. Remontant à l’époque mozaffaride, cette peinture date de 1567/975.
Nous y retrouvons Abd al-Muttalib faisant ses dévotions dans la cour de la Kaaba. Versant des larmes, il remercie Dieu de lui avoir redonné son fils Abdollah en échange du sacrifice de mille chameaux. Effectivement, sans la divine miséricorde, ce dernier aurait été sacrifié à cause d’un vœu d’Abd al-Muttalib. Mais sauvé, Abdollah deviendra le père du dernier Prophète. Insistant sur la gratitude envers Dieu, cette miniature rappelle le pardon éternel d’Allah. (Photo 5)
La composition éblouissante de la Kaaba dans cette œuvre reflète les croyances chiites dominantes à l’époque safavide. Sur la partie supérieure de cet édifice, nous voyons écrit en calligraphie naskh la profession de foi (shahâda) chiite : « Il n’y a d’autre dieu qu’Allah, Mohammad est son prophète et Ali son wali (vicaire) ».
La miniature ci-dessus, qui orne les pages du manuscrit Rawzat as-safâ, montre l’Imâm Ali, sur les épaules du Prophète, sur le point de briser les idoles conservées dans la Kaaba. (Photo 6) Remontant à la huitième année de l’hégire (an 630), cet événement se déroula au moment de la conquête de La Mecque quand le Prophète ordonna de briser les idoles. Sculptée dans une luxueuse pierre rougeâtre sous la forme d’un homme, la plus grande idole, appelée Hobal, avait été placée dans la partie haute de la Kaaba. Exécutant l’ordre du Prophète, l’Imâm Ali, situé sur la même ligne que Prophète dans la miniature, est également englobé dans l’aura de ce dernier. Cette composition montre très bien les croyances chiites de cette époque. Suivant la conquête de La Mecque, la destruction des idoles gardées à l’intérieur de la Kaaba est l’un des événements les plus considérables de l’Histoire de l’Islam. Ali Ibn Abi Talib qui, accompagnant le Prophète, brisa les idoles et approuva l’Unicité de Dieu, est doté d’une place prédominante dans la pensée musulmane.
Une enluminure du Selselat al-zahab, qui représente le pèlerinage de l’Imam al-Sajjad constitue un autre exemple d’œuvre soulignant la place éminente de la famille du Prophète et l’importance des cérémonies du pèlerinage à La Mecque.(Photo 7)
Djâmi raconte dans son œuvre qu’une fois arrivé dans la cour de la mosquée al-Haram où se trouve la Kaaba, le calife omeyyade, Abu Al-Walid Hisham ibn ’Abd Al-Malik (691-743), se retrouva face à une foule immense qu’il ne pouvait dépasser pour atteindre l’édifice de la Kaaba. Il devait attendre comme tous les autres de pouvoir s’approcher à son tour. Mais quand le quatrième Imâm arriva, la foule s’ouvrit pour le laisser s’approcher de la Maison de Dieu et l’embrasser.
Très vive, cette miniature donne une image solennelle de la Kaaba. À gauche, on voit des pèlerins qui s’interrogent, ce qui est une représentation fidèle de la scène telle que rapportée par le poète arabe Al-Farazdaq (641-728, 730).
Les vers calligraphiés sur la circumambulation et la naissance de l’Imâm Ali dans la Kaaba mettent l’accent sur l’importance de cet édifice et la sainteté du premier Imâm chiite.
De plus, les miniatures du Siyar an-nabi, remontant à l’époque ottomane, illustrent autant la vie du Prophète que l’évolution de la structure de la Kaaba avant et après l’avènement de l’islam.
Dans cette miniature tirée du Siyar an-nabi, la Kaaba, recouverte d’un rideau noirâtre ornementé d’un ruban doré, est montrée de façon quasi-réaliste. Sur le mur d’en face, on distingue aussi un rectangle doré qui représente soit la porte de la Kaaba, soit la place de la Pierre Noire. (Photo 8)
Portant un manteau vert, le Prophète se tient debout devant la Kaaba, alors qu’il garde en signe de dévotion ses mains sur sa poitrine. Caractérisé par une auréole lumineuse signalant sa prophétie, Mohammad est peint dans cette œuvre avec un visage tout blanc, sans aucun détail. À gauche, on remarque une forme rectangulaire qui semble représenter une pierre avec à l’intérieur un objet cylindrique. Non identifié, cet objet mystérieux représenterait peut-être le puits sacré de Zamzam.
Malgré sa simplicité, cette miniature insiste sur la somptuosité du kiswa, le siège modeste attribué au Prophète et la pureté du puits de Zamzam. Elle évoque aussi le jaillissement de la fontaine de Zamzam grâce à laquelle la terre sèche de La Mecque devint habitable et un lieu du pèlerinage mondial. De plus, les couleurs de la Kaaba et de la tenue du Prophète établissent une harmonie qui attire l’attention.
Parmi les œuvres réalisées dans l’école ottomane se trouvent des peintures composées sur des feuilles séparées qui jouaient un rôle de guide pour les pèlerins, ce qui souligne de nouveau la place importante du hadj dans la société musulmane. Nous trouvons ci-dessous un exemple de ces miniatures :
Cette peinture donne un schéma détaillé de la Kaaba et de ses environs en 1582/990. On y voit le nom de tous les lieux dont les stations Mâliki, Châfiee et Hanbali, le sanctuaire d’Abraham, le puits de Zamzam, la chaire de prédication de Prophète et les minarets. Presque toutes les portes de la Mosquée d’al-Harâm qui existaient à cette époque sont également désignées le long de la Kaaba. Elles s’appellent, de droite à gauche, Bâb-e darbiyeh, Bâb al-salâm, Bâb an-Nabi, Bâb-e Ali, Bâb-e Abbâs, Bâb-e Bâzân, Bâb-e Baghleh, Bâb-e Djiyâd, Bâb al-Rahma, Bâb-e Shorafâ, Bâb-e Umm-e Hâli, Bâb-e Vedâ’, Bâb-e Ebrâhim, Bâb-e Umra, Bâb-e Sada, Bâb-e Satbaba, Bâb al-Nodva, Bâbal-Zomâda, ainsi que quatre autres portes dont les noms ont été effacés au fil du temps.(Photo 9)
Créant une harmonie considérable de couleurs chaudes et froides, l’arrangement chromatique de cette œuvre permet au peintre de faire une présentation exacte de l’espace architectural de la Kaaba.
L’ensemble des œuvres présentées ci-dessus contribue à véhiculer le message principal de l’islam, qui est l’unité et l’Unicité. Ainsi, naît une relation indissociable entre l’art, la religion et la culture.
Conclusion
En tant que l’une des étapes les plus importantes du cheminement existentiel de l’homme vers son Créateur, le pèlerinage à La Mecque se veut une commémoration des fondations de la foi islamique. De là vient sa place privilégiée parmi tous les préceptes islamiques. Les rites du Hadj visent essentiellement à guider les musulmans dans le droit chemin, individuellement et en tant que communauté. Le hadj souligne l’unité de la communauté, l’association historique, sociale et humaine, le partage historique et culturel, dérivés de l’esprit de l’Islam, l’unité politique, l’unité des couches sociales, la responsabilité, et la piété.
Parmi toutes les œuvres picturales produites dans une durée temporelle déterminée (depuis les Ilkhanides jusqu’aux Safavides) aussi bien en Iran que dans l’Empire ottoman, les miniatures représentant la Kaaba s’efforcent de montrer l’importance des préceptes, de la philosophie et des rites du hadj. L’unité dans la communauté musulmane et la communion entre les membres de cette communauté, fortement ressentie lors de ce pèlerinage, est fidèlement reflétée dans ces œuvres. On y voit des individus de différentes origines, vêtus de leurs habits d’ihram et accomplissant leurs actes de dévotion. Les miniatures, mettant en scène la vie des saints et des prophètes, présentent également Abraham, fondateur de la Kaaba, Mohammad, messager de l’Unicité divine, ainsi que la famille du Prophète comme des gardiens de cette unité.
* Shâyesteh Far, Mahnâz, “Manâsek-e Haj dar negârgari-ye eslâmi va naghsh-e ân dar hambastegi-ye melli va vahdat-e eslâmi” (Les cérémonies du pèlerinage à la Mecque dans la miniature islamique et son rôle dans la solidarité nationale et l’unité islamique), in Nâmeh-ye pajouhesh-e farhangi, 12e année, N° 12, Hiver 2011, pp. 65-88.