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La croissance et le progrès de la jurisprudence chiite à l’époque des jurisconsultes scolastiques
4-Abou Jaafar Mohammad ibn Ali ibn Babway Qomi, alias Cheikh Sadouq:
(306-381 de l’hégire)
Il était le savant chiite et l’expert des hadiths le plus célèbre du IVe siècle de l’hégire. Face à ceux qui se contentaient de l’apparence exotérique des récits et des hadiths, le Cheikh Sadouq défendait l’examen et la vérification critique des récits, se permettant de correction et de modification. Dans ses livres et essais sur la jurisprudence chiite, il s’est servi des principes de la science qui étudie la véracité et la crédibilité des transmetteurs des récits et des hadiths. En effet, le Cheikh Sadouq est lui-même l’un des plus grands experts chiites en matière des hadiths et un expert de la science de la crédibilité des transmetteurs des hadiths.
Le Cheikh Sadouq a rédigé 300 livres et essais dans lesquels il a réuni les récits et les hadiths. Ses fatwas sont réunies dans ses deux autres livres intitulés « La Persuasion » ( مقنع ) et « L’Orientation » ( هدايه ). L’examen de ces deux livres nous montre clairement que le Cheikh Sadouq était partisan d’une méthode jurisprudentielle de correction et de modification critique des récits.
Dans la rédaction de son ouvrage monumental, « Man Lâ yahzoro al-Faghih » (Celui qui n’a pas accès au Faghih), le Cheikh Sadouq a évité de se fonder tel quel sur n’importe quel récit. A ce propos, il a écrit : « Dans ce livre, je n’ai pas voulu réunir, comme les autres auteurs, tous les récits existants. Par contre, je me suis efforcé d’y réunir uniquement les récits et les hadiths sur lesquels je me suis fondé dans mes fatwas, et les récits pour lesquels j’ai une ferme conviction à propos de leur véracité, entre moi et mon Seigneur. »
En dépit de tout cela, la jurisprudence chiite est restée longtemps fermée dans les limites de la relation des hadiths et de leur adaptation. En effet, il y a de nombreuses références jurisprudentielles de cette période historique qui confirme cette limitation. Le Cheikh Toussi a critiqué les méthodes d’Idjtihad de ses prédécesseurs, dans l’introduction de son livre de jurisprudence, en ces termes : « Les jurisconsultes chiites croyaient qu’ils devaient exploiter littéralement les récits et les paroles authentiques dans le domaine de la jurisprudence, et ils allaient si loin que si les termes d’un hadith changeaient quelque peu dans un texte donné, ils se sentaient tout à fait choqués ! »
Cette tendance vive et intransigeante pour se soumettre aux récits et aux hadiths authentiques, se manifestait sous différentes formes, mais elle risquait d’éclipser la place de la raison en tant que l’un des piliers fondamentaux du véritable Idjtihad. En réalité, cette approche excessive de la part de certains jurisconsultes chiites les avaient même conduits à ignorer l’importance des sources coraniques de la jurisprudence islamique et chiite, en prétendant que la jurisprudence chiite pourrait se fonder uniquement sur une forme de récit, en négligeant les aspects rationnels et déductifs de la jurisprudence.
A partir de cette période, une génération de jurisconsulte scolastique a fait son entrée sur la scène pour présenter une nouvelle approche dans le domaine des sciences théologiques et de la jurisprudence chiite. Cette nouvelle approche favorisait la rationalité et l’aspect pratique et pragmatique de la jurisprudence. Ce nouveau mouvement a sauvé la culture chiite de l’inertie et de la passivité qui dominaient la jurisprudence chiite en raison de l’influence des partisans d’une approche exotérique des hadiths. Ce mouvement a été inauguré par le Cheikh Mofid, et il est arrivé à son apogée à l’époque du Cheikh Toussi.
Abou Abdallah Mohammad ibn Mohammad ibn Noman Bagdadi, alias Cheikh Mofid (336-413 de l’hégire), l’une des figures de proue de la jurisprudence du monde de l’Islam, était le premier jurisconsulte chiite à contribuer à ce mouvement, visant à redynamiser la jurisprudence chiite.
Le Cheikh Mofid s’est mis à lutter vigoureusement contre les méthodes de ses prédécesseurs. Il a vivement critiqué la méthode qui consistait à s’appuyer excessivement sur les hadiths dans les domaines jurisprudentiels et scolastiques. En effet, il a inauguré une voie qui permettait d’introduire les arguments rationnels dans le domaine de la Charia, mais dans un cadre bien défini.
Le Cheikh Mofid a rédigé un livre intitulé « Le rayonnement de la lumière pour rejeter les avis des partisans des hadiths » (مقابس الانوار في الرد على اهل الاخبار ), pour mettre en doute les fondements théorique de l’école des partisans des hadiths. Bien qu’il ait profité lui-même des œuvres du Cheikh Saqoud, il a effectué une critique virulente contre les opinions et les points de vue de son maître spirituel. Cependant, son action a appris aux savants chiites comment corriger et développer les avis et les opinions dans le domaine de l’Idjtihad.
Après le Cheikh Mofid, la lutte contre les tendances fondées sur la priorité des hadiths a été dirigée par le grand jurisconsulte et théologien chiite, Seyed Morteza Alam-al-Huda Ali ibn Hossein ibn Moussa (355-436 de l’hégire).
Dans ses ouvrages, il a rejeté les méthodes des partisans d’un recours excessif aux hadiths, et il a ouvert la voie, devant ses élèves et disciples, pour fonder leur Idjtihad sur les piliers solides du Coran, de la Sunna, du consensus et de la raison.
Seyed Morteza a écrit un livre intitulé « Les instruments pour connaître les principes de la Charia » (الذريعة الى اصول الشريعة ) qui se divise en plusieurs chapitres. Pour la première fois après l’occultation de l’imam du temps _ que Dieu hâte sa parousie_, Seyed Morteza a écrit plusieurs œuvres pour présenter la culture de l’Idjtihad chiite comme une école indépendante. Il a ainsi ouvert définitivement la voie de l’Idjtihad pour la postérité. L’auteur des « Jardins du Paradis » ( روضات الجنات ) décrit les méthodes de l’Idjtihad et de déduction de Seyed Morteza, en ces termes : « Seyed Morteza connaissait mieux que quiconque le Livre et la Sunna, ainsi que les voies de l’interprétation et de l’exégèse des versets coraniques et des hadiths. Il rejetait l’idée de se fonder uniquement sur les récits isolés. Par conséquent, il s’efforçait de déduire les principes de la Charia sur la base du Coran, de la Sunna et des récits fréquemment relatés, en s’appuyant sur les arguments scientifiques. Il est donc normal que pour pratiquer une telle méthode, il devait avoir une connaissance très large des principes de la religion et une connaissance très profonde sur la science de l’exégèse coranique pour déduire les principes de la Charia à partir du texte coranique. Or, les partisans du recours aux récits isolés ne sentaient pas avoir besoin d’une telle connaissance approfondie. »
L’auteur des « Vergers » ( حدائق ) décrit ainsi les méthodes de l’Idjtihad de Seyed Morteza :
” C’est un Faghih qui s’appuyait plutôt sur l’argumentation rationnelle pour la déduction des principes de la Charia, il n’acceptait pas de se fonder uniquement sur les Hadiths, ceci est assez évident dans les livres religieux qu’il a rédigés.”
La troisième personne qui a réussi à faire disparaître les traces de l’approche exotérique des hadiths, pour renforcer les fondements d’un Idjtihad basé sur la précision rationnelle et la recherche scientifique, était le grand jurisconsulte et scolastique chiite Abou Jaafar Mohammad ibn Hassan Toussi, alias Cheikh al-Tayefeh (décédé en 460 de l’hégire). Il a combiné le Coran, les récits et la raison pour ouvrir la voie vers un Idjtihad analytique. Dans le même temps, il accordait une grande importance au progrès et à l’évolution de la jurisprudence chiite sur la base de ses fondements traditionnels.
Pour faire la louange aux récits et aux hadiths de l’Ahlulbeit (les saints descendants du Prophète), il a rédigé deux précieux ouvrages sur la jurisprudence islamique, l’un intitulé « La connaissance des différends sur les récits » ( الاستبصار فيما اختلف من الاخبار ), et l’autre intitulé « L’éducation des principes » ( تهذيب الاحكام ). Les titres de ces deux livres indiquent d’ores et déjà sa méthode et son approche quant aux principes de la Charia. Pour protéger l’héritage riche et original de ses prédécesseurs, le Cheikh Toussi a écrit un autre livre sur la tradition et les méthodes de la jurisprudence, intitulé « La Finalité » ( النهاية ). Ce livre a été pendant plusieurs siècles, le texte chiite le plus important en matière de la jurisprudence.
Dans un autre livre intitulé « L’Exposé détaillé » ( مبسوط ), le Cheikh Toussi s’est efforcé, plus que tous les autres jurisconsultes d’antan, de donner à l’Idjtihad un aspect pratique et appliqué, en détaillant les analyses, et en adaptant ses méthodes à tous les différents domaines de la Charia islamique. Avec ce grand livre, le Cheikh Toussi a réussi à condamner entièrement le durcissement intellectuel et les approches exotériques qui dominaient jusqu’alors l’esprit de certains savants et jurisconsultes chiites.
Dans ce sens, l’introduction de « L’exposé détaillé » est un document historique qui analyse les méthodes d’Idjtihad et de déduction jurisprudentielle à des périodes ultérieures à celle du Cheikh Toussi. En réalité, avec ce livre, le Cheikh Toussi a réalisé son vœu, et il a définitivement mis un terme à cette approche exotérique des partisans des hadiths dans le domaine de l’Idjtihad chiite.
Nous avons le ferme espoir que des savants chiites déploient tous leurs efforts dans le domaine de la jurisprudence islamique, à l’instar des grands maîtres comme, le cheikh Mofid, Seyed Morteza et le Cheikh Toussi, pour protéger les fondements originaux de l’Islam, et de développer l’Idjtihad et ses méthodes de déduction des principes de la Charia, au sein de la précieuse culture chiite.