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La croissance et le progrès de la jurisprudence chiite à l’époque des jurisconsultes scolastiques
Écrit par Seyed Mohammad Kazem Modaressi
Pendant les différentes périodes de sa longue histoire, la jurisprudence chiite a connu par intervalles des courbes ascendantes et des courtes descendantes.
Pendant une période importante du point de vue jurisprudentiel, la culture chiite a été dominée par l’école des savants et des rapporteurs de hadith, école fortement marquée par une tendance pour l’apparence et les significations exotériques des principes religieux. En effet, à partir de l’an 260 de l’hégire, la période où les jurisconsultes et les experts en matière des hadiths pouvaient avoir un accès direct à l’imam immaculé, a touché à sa fin. C’est la raison pour laquelle, les savants religieux chiites n’avaient désormais d’autres choix que de prendre le chemin de l’Idjtihad (effort rationnel de déduire les principes religieux à partir du Coran et de la Sunna) et de se servir des moyens et des instruments jurisprudentiels qu’il mettait à leur disposition. Cependant, il faut souligner ici qu’à l’époque des vénérés imams chiites _que la paix divine soit sur eux_, leurs disciples et compagnons procédaient, de temps en temps et à diverses circonstances, à la pratique de l’Idjtihad, et ce d’autant plus que les vénérés imams chiites encourageaient leurs disciples à le faire. Mais il est à noter qu’en présence des saints imams, les méthodes de l’Idjtihad étaient plutôt simples et élémentaires, en raison de l’accès direct à la parole authentique des imams, ce qui empêchait naturellement un vaste recours intellectuel aux arguments complémentaires et aux présomptions hypothétiques.
Après la fin de la période de la présence de l’imam immaculé, la jurisprudence chiite a connu l’apparition de différentes écoles et tendances : certains savants et jurisconsultes chiites se sont contentés de l’apparence exotérique des hadiths. Ils ont ainsi ignoré l’importance des méthodes de l’Idjtihad et de son outillage performant pour la déduction rationnelle. Parmi eux, nous pouvons citer le savant chiite Abol-Hossein Ali ibn Abdallah ibn Wasif Nâchi, alias Ali ibn Wassif.
Ali ibn Wassif est né en 271 de l’hégire et il s’est éteint en l’an 365 ou 366 de l’hégire. Il était un poète habile et éloquent, mais aussi un jurisconsulte chiite, disciple de l’école de l’Ahlulbeit (les saints descendants du Prophète), et avait fondé sa jurisprudence sur un appui très fort et excessif sur l’apparence exotérique des hadiths.
A propos de la personnalité scientifique d’Ali ibn Wassif et sa méthode de déduction et d’argumentation jurisprudentielle, le défunt Cheikh Toussi a écrit : « Ali ibn Wassfi Nâchi était un grand savant scolastique, un poète éloquent, et un auteur remarquable. Sa méthode de jurisprudence était celle des partisans de l’approche exotérique. »
Bien que cette approche particulière en matière de hadiths n’existe plus de nos jours, mais pendant les siècles où cette tendance exotérique orientait la plupart des savants chiites dans leurs prises de position jurisprudentielles, l’école exotérique de la compréhension des hadiths constituait, en réalité, un grand danger pour la culture chiite dans son ensemble.
Ce danger ne se limitait pas au domaine de la jurisprudence chiite, mais avait même contaminé celui de la science doctrinale du Kalâm chiite. A ce propos, le défunt Seyed Morteza a écrit :
« Les partisans de l’école exotérique des hadiths relataient authentiquement les hadiths et les récits que leurs prédécesseurs avaient enregistrés. Dans leur approche, ils ne donnaient pas d’importance au rôle déterminant de l’argumentation en la matière des principes de la Charia, pour vérifier si elle les confirmait ou non … N’était-ce pas vrai qu’ils se référaient aux énoncés et aux récits isolés dans les domaines relatifs aux principes fondamentaux de la religion, tels que l’unicité, la justice, la prophétie et l’imamat ? Or, les esprits avisés rejettent l’idée de se fonder sur les récits et hadiths isolés en ce qui concerne directement les principes fondamentaux de la religion. En réalité, certains d’entre eux se sont mis à croire au fatalisme et à l’analogie, et leur égarement était dû à la soumission aux récits et aux hadiths isolés. Certains autres se fondaient sur des récits qu’ils n’avaient pas reçus directement de leurs transmetteurs, pour pouvoir en vérifier la justesse et la véracité. Si quelqu’un les interrogeait sur l’origine d’un principe donné, ils répondaient qu’ils l’avaient vu tel quel dans un tel ou tel livre, et que leur hadith de référence avait été relaté par une telle ou telle autre personne. Mais tout le monde sait qu’il est impossible de se référer à un récit ou à un hadith isolé par une méthode pareille, car cela est inadmissible et une telle référence ne conduirait qu’à l’égarement. »
Au-delà de cette méthode de déduction – et même à son opposé –, il y avait un autre groupe de jurisconsultes chiites qui adoptaient une approche plus équilibrée pour vérifier et examiner les récits et les hadiths, en se basant sur les critères que l’Ahlulbeit en avaient présentés eux-mêmes. Ces savants se fondaient donc sur ces critères pour analyser les récits et les hadiths, afin d’en déduire ensuite les principes.
Il est vrai que les partisans de cette tendance jurisprudentielle ne se sont pas mis sérieusement à s’opposer aux disciples de l’école exotérique, mais sur le plan pratique, ils ont réussi à mettre en doute les méthodes des savants qui étudiaient les hadiths uniquement dans leur apparence exotérique, et ce d’autant plus que ces derniers étaient privés de toute innovation et dynamisme, et qu’ils appelaient leurs partisans à se soumettre quasi-aveuglément à tous les récits et hadiths.
En vérité, les jurisconsultes chiites qui ont procédé à la vérification des récits et des hadiths sur la base des critères fixés par l’Ahlulbeit se sont offert la possibilité de pouvoir propager la science des hadiths par le biais d’une forte tendance rationnelle ; et ils encourageaient leurs élèves et adeptes à faire de même. Parmi les figures de proue de cette école jurisprudentielle, nous pouvons citer surtout :
1-Abou Mohammad Hassan ibn Ali ibn Abou Aqil Ommani
(décédé en 329 de l’hégire)
Il était l’un des jurisconsultes scolastiques les plus célèbres du IVe siècle de l’hégire, et l’auteur d’un ouvrage en jurisprudence chiite, intitulé « L’appui à la corde de la sainte famille du messager de Dieu » (المتمسك بحبل آل الرسول عليهم السلام ). Le défunt Shoushtari décrit sa méthode jurisprudentielle, en ces termes :
« Le texte de son livre en la jurisprudence ne nous est malheureusement pas resté, mais l’Allameh Helli a cité cet ouvrage à plusieurs reprises, dans son propre livre intitulé « Le différend » ( مختلف ). Ces mêmes citations nous prouvent qu’Abou Aqil Ommani avait des avis et des opinions pertinents et qu’il était l’auteur des fatwas remarquables … En outre, il accordait systématiquement la priorité aux versets coraniques par rapport aux récits et aux hadiths crédibles et confirmés. En procédant à cette méthode, il a décrété cette fatwa : Une personne malade dont la maladie dure depuis ce mois de ramadan jusqu’au mois de ramadan de l’année prochaine, ne sera pas dispensée de l’accomplissement compensatoire de son jeûne. Dans cette fatwa, il s’est donc fondé sur l’expression ‘Qu’il compte d’autres jours’ (فعدة من ايام اخر ) répété deux fois dans les versets 184 et 185 de la sourate II. Aussi, il a émis la fatwa : L’agrément de l’épouse n’est pas une condition nécessaire lors du mariage de son époux avec la nièce de l’épouse. Dans cette fatwa, il s’est basé sur le verset 1 de la sourate LXVI : ‘Pourquoi interdis-tu ce que Dieu t’a rendu licite ?’ ( لم تحرم ما احل الله ) Il n’appliquait que les récits et les hadiths fréquemment relatés. Cependant, à l’instar du Cheikh Mofid ou de Seyed Morteza, il lui arrivait de prétendre l’existence de la fréquence des relations, là où elle n’existait pas, ou de prétendre l’existence d’un consensus, là où il n’existait réellement pas. »
2-Abol-Hassan Ali ibn Hossein ibn Moussa ibn Babway Qomi :
(260-329 de l’hégire)
Père du Cheikh Sadouq, il était l’un des premiers jurisconsultes chiites et comptait parmi les premiers savants chiites dans le domaine des hadiths. Ibn Babway était l’auteur de plusieurs ouvrages dont le nom de quelques-uns ont été cités dans la liste de Nadjachi. Pour émettre ses fatwas, il se fondait littéralement sur le texte des paroles authentiques et les récits. C’est la raison pour laquelle, les jurisconsultes et les experts chiites de la science des hadiths avaient entièrement confiance en ses écrits, pour se référer à ses livres de jurisprudence, s’ils n’avaient pas directement l’accès aux ouvrages de hadiths. A ce propos, le défunt Cheikh Shahid écrit : « Lorsque les chiites n’avaient pas d’accès direct à un ouvrage de hadiths, ils se référaient alors à ‘La Charia’ du cheikh Abol-Hassan ibn Babway, car ils avaient une entière confiance en lui, et considéraient ses fatwas comme les récits authentiques. Bref, ses fawtas étaient prises comme la reproduction fidèle des récits. »
Dans l’introduction de son « Man Lâ yahzoro al-Faghih », Sheikh Sadouq fait fréquemment référence aux livres et essais de son père, et les utilisent comme la référence directe aux hadiths.
3-Abou Ali Mohammad ibn Ahmad ibn Djoneïd Eskafi :
(décédé en 381 de l’hégire)
Il comptait parmi les jurisconsultes chiites qui allaient délibérément au-delà de l’agrément attribué aux récits et aux hadiths, pour procéder à une méthode syllogistique modérée. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages comme « Les plus louables de la jurisprudence du vénéré Mohammad » (الاحمدي في الفقه المحمدي ) ou « L’éducation chiite pour les principes de la Charia » (تهذيب الشيعة لاحكام الشريعة ). Au sujet de la personnalité scientifique d’ibn Djoneïd, le défunt Shoushtari écrit :
Ibn Djoneïd était accusé d’avoir procédé aux méthodes syllogistiques, cependant il est difficile d’en connaître la vérité ; car en réalité, le rejet du syllogisme est l’une des nécessités primordiales de la religion imamite. Il est donc fort possible qu’ibn Djoneïd ait pratiqué des méthodes comme l’analogie générale qu’il considérait comme étant complètement différente du syllogisme. Ibn Djneïd a écrit un essai pour décrire les principes de sa méthode d’Idjtihad, dans lequel il explique sa méthode d’aborder les récits et les hadiths des saints imams immaculés dans ses méthodes jurisprudentielles. »
A Suivre……