1-L’établissement de l’Imam Ali (Psl) à Kûfa :
Quinze jours après la fin de la bataille du chameau, l’Imam Ali (Psl) ayant déjà nommé ‘Abdullah Ibn Abbâs gouverneur de Basra, mit en mouvement ses troupes en direction de Kûfa. Le Calife avait décidé de faire de cette ville le siège de son gouvernement. Au moins deux raisons militaient en faveur du choix de Kûfa.
La toute première de ces raisons était d’ordre stratégique. Kûfa se trouvait au centre de l’Empire, à égale distance des principales régions composant l’Arabie ancienne. Ce qui réduisait de beaucoup les charges suscitées par les déplacements de l’Armée de la Umma et augmentait sa mobilité.
La deuxième raison était l’avantage numérique de la population de Kûfa par rapport à celle de Médine mais aussi son plus grand attachement à l’Imam Ali. A Médine l’Imam n’avait pas réussi à lever une armée de plus de neuf cents hommes alors qu’à Kûfa plus de neuf mille hommes s’alignèrent derrière lui.
Cette ville était entièrement acquise à l’Imam Ali et à ses partisans.
2-Les objectifs de Mu’âwiyah en Syrie :
Profitant de l’assassinat de Usmân, Mu’âwiyah avait monté toute une stratégie de propagande contre les assassins du Calife pour, en réalité, renforcer son pouvoir et satisfaire ses ambitions indépendantistes. Son refus de voler au secours du Calife Usmân assiégé participait de cette visée personnelle de Mu’âwiyah.
Malheureusement ses partisans ne parvenaient pas à voir cette réalité qui crevait pourtant les yeux. Toutefois, à la décharge du grand nombre d’Omeyyades qui avaient quittaient Médine pour se réfugier en Syrie et des Syriens soutenant Mu’âwiyah, il existait trois raisons influentes, quoiqu’insuffisantes, qui les rendaient aveugles à ce point.
D’abord, les Omeyyades – à l’instar des tribus arabes de l’époque – tenaient coûte que coûte à venger le sang de leur frère Usmân. Cette tradition de vendetta était fortement établie en Arabie et elle se transmettait de générations en générations. Or Usmân avait été tué à Médine par toute une population. Donc n’importe quel bouc émissaire qu’on leur désignait, surtout venant de Médine, devenait l’ennemi à abattre. En particulier le remplaçant du Calife qui devenait ainsi l’assassin virtuel désigné bien que tout le monde sût le rôle de conseil, de médiation pour la paix et de protection que joua Ali (Psl) pour Usmân avant et pendant toute la durée de ses difficiles négociations avec les révoltés.
Ensuite, une campagne insidieuse était menée par Mu’âwiyah en vue de faire monter la haine envers les assassins de Usmân. Suivant en cela son Conseiller Amr Ibn al-Âç, Mu’âwiyah avait fait accrocher sur la chaire de la Mosquée de Damas la chemise tâchée de sang que Usmân portait lors de son assassinat ainsi que les doigts estropiés de sa femme Naelah.
La vue de tels objets pendant de longues semaines ne cessait, comme l’espéraient les exposants, de faire couler les larmes des Syriens et d’accroître leur désir de vengeance contre les auteurs d’un tel acte.
Enfin – c’est bien la dernière raison que nous citerons mais qui n’en est pas autant la moindre – Mu’âwiyah avait réussi à maîtriser ses principaux notables par la corruption devenue notoire dans son entourage. Se soumettre à lui était devenu source d’un enrichissement rapide et illicite. Une phrase fort célèbre à cette époque résumait assez bien cet intérêt que certains trouvaient aux côtés de Mu’âwiyah :
« Il vaut mieux être derrière l’Imam Ali pour la prière et à la table de Mu’âwiyah à l’heure du repas »
3-Le recours aux moyens pacifiques par Ali (Psl) en vue de raisonner Mu’âwiyah C’est fort du soutien de son armée et de ses notables et aveuglé par ses ambitions et convictions personnelles que Mu’âwiyah avait retenu pendant plusieurs semaines le messager que le Calife Ali (Psl) lui avait envoyé dés son arrivée au Califat, pour lui demander de lui faire allégeance. Il tenait à faire de lui un témoin du désir de vengeance qui animait son armée. Ensuite il le fit retourner à Médine en compagnie de son propre messager.
Lorsqu’Ali (Psl) ouvrit la lettre cachetée de Mu’âwiyah, il découvrit un contenu tout blanc. Le messager, invité à donner la signification d’un tel contenu, expliqua :
« Sache donc que j’ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre de Usmân sous sa chemise tâchée de sang, exposée à côté de la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour l’assassinat du Calife. »
Un exposé si insolent souleva l’ire des Compagnons du Prophète (Pslf) au point qu’ils faillirent commettre l’irréparable sur le messager de Mu’âwiyah n’eût été l’intervention d’Ali (Psl). Le coursier, ravi devant une telle sagesse doublée d’une si grande bonté, s’amenda puis jura de rester fidèle à Ali (Psl) pour toujours.
Ali demanda le témoignage de Dieu quant à son innocence dans ce crime et ordonna la proclamation d’une expédition contre Mu’âwiyah.
Une deuxième fois l’Imam envoya un message de paix à Mu’âwiyah, lui demandant de faire allégeance au nouveau Calife que lui, Ali, était devenu par la volonté d’Allah et de son peuple. Jarîr Ibn Abdallah al-BajAli, un vieil ami de Mu’âwiyah, gouverneur de Hamadân et chef des Banî Bajila, fut le porteur de ce message. Celui-ci se trouvait à Kûfa pour prêter allégeance à l’Imam Ali (Psl).
On était au mois de Cha’bân 36 A.H. soit janvier 657 A.J.C. L’attente de son retour à Médine fut longue et pleine d’angoisse. Trois mois après son départ, il revint avec une réponse orale de Mu’âwiyah. Le récalcitrant lui faisait dire qu’il ne prêterait pas allégeance à Ali (Psl) tant que les meurtriers de Usmân n’étaient pas punis.
Mâlik Al-Achtar reprocha à Jarîr son trop long séjour, certainement marqué par le plaisir, auprès de Mu’âwiyah. Mécontent d’une telle remarque, Jarîr quitta Médine et préféra rejoindre l’ambiance plus festive qui régnait autour de Mu’âwiyah.
Découragé par tous ces refus obstinés de Mu’âwiyah de renoncer à ses ambitions égoïstes pour lui faire allégeance, Ali (Psl) prit la ferme résolution de lever une expédition vers la Syrie.
C’est ainsi qu’au mois de Thul-Qi’da de l’an 36 A.H. (Avril 657 A.J.C.), Ali (Psl) leva son armée en direction de Madâ’in en prenant la précaution de se faire précéder par une garde avancée. Ils traversèrent le désert mésopotamien puis l’Euphrate à Riqqah avant de se diriger vers l’Ouest. A Sour-al-Rûm, l’avant-garde de l’armée d’Ali mit en déroute l’avant-garde Syrienne.
4-La rencontre à Siffin :
L’armée d’Ali ne rencontra plus de résistance jusqu’à son arrivée à Siffin au mois de Thul-Hijja de l’an 36 A.H. (Mai 657 A.J.C.). Les forces de Mu’âwiyah étaient déjà stationnées à cet endroit.
L’unique accès à l’eau de l’Euphrate, sous contrôle de Siffin sur une longue distance, gardé par les guerriers de Mu’âwiyah, fut interdit aux loyalistes. L’un des généraux de l’armée rebelle, Abul-Awar, y avait été placé à la tête de plusieurs milliers de combattants en vue d’assoiffer les guerriers d’Ali (Psl).
Ces derniers constatèrent dés leur arrivée cet état de fait et en rendirent compte à leur Calife. Ali (Psl) envoya une délégation à Mu’âwiyah pour lui demander de libérer l’accès à l’eau car ils étaient tous liés par des liens de parenté malgré leur hostilité réciproque et qu’en plus si, lui Ali (Psl) avait un tel avantage il ne l’aurait mis à la disposition des deux armées. Mu’âwiyah, comme il fallait s’y attendre, refusa de renoncer à ce qu’il considérait comme la garantie de sa victoire.
Devant l’intransigeance de Mu’âwiyah et la soif des gens, Mâlik Al-Achtar et Ach’ath Ibn Qays obtinrent d’Ali (Psl) l’autorisation de mener chacun plusieurs milliers d’hommes, respectivement à la tête de la cavalerie et de l’infanterie, contre les troupes dirigées par Abul-Awar. Le but était de foncer dans les rangs ennemis et de remplir leurs outres de l’eau du fleuve. Une bataille s’engagea, qui vit la défaite des rebelles malgré l’arrivée des renforts dépêchés par Mu’âwiyah à la demande de Abul-Awar. Les rebelles battirent la retraite.
Les loyalistes s’installèrent à leur tour dans la zone d’accès à l’eau de l’Euphrate. Lorsque Mu’âwiyah, en position de faiblesse à présent, demanda ce qu’il venait de refuser de donner, Ali (Psl) lui administra une belle leçon de sagesse et de magnanimité en donnant libre accès au fleuve, et de façon égalitaire, aux combattants des deux armées.