- Islam
- Le Saint Coran
- Prophète et Ahl-ul-Bayt (P)
- À propos d’Ahl al-Bayt (P)
- L’Imam Ali (P)
- La vénérée Fatima Zahra (P)
- L’Imam Hassan (P)
- L’Imam Hussein (P)
- L’Imam al-Sajjad (P)
- L’Imam al-Baqir (P)
- L’Imam al-Sadiq (P)
- L’Imam al-Kadhim (P)
- L’Imam al-Ridha (P)
- L’Imam al-Jawad (P)
- L’Imam al-Hadi (P)
- L’Imam al-Askari (P)
- L’Imam al-Mahdi (P)
- Les prophètes d’Allah
- Les imamzadehs honorés
- Hadiths thématiques
- Al -Shia
- À propos du Chiisme
- Histoire du chiisme
- Géographie chiite
- Les chiites dans les hadiths
- Gouvernements chiites
- Les particularités du chiisme
- Rationalisme
- L’Imâmat et l’Obéissance envers Ahlul-Bayt
- Le refus de l’injustice
- Compassion et bienveillance
- L’ijtihâd
- Éthique et mysticisme
- À propos de l’éthique
- Les vertus moraux
- Les vices moraux
- Mysticisme et Spiritualité
- Culture et civilisation chiites
- Tafsïr et les sciences du Coran
- Hadithologie
- Jurisprudence et Ilm Oṣûl al-fiqh
- Histoire 23
- Éthique et mystique
- dogme
- Littérature
- Sciences expérimentales
- L’art et l’architecture
- Centres scientifiques
- Mosquées
- Personnalités
- Les Érudits religieux
- Les poètes
- Les convertis
- Orientalistes
- Scientifiques
- Personnalités du rapprochement
- La famille et la société
- L’institution Familiale
- Femme et Hidjab
- Droits et devoirs des parents
- Droits et devoirs des époux
- Droits et devoirs des enfants
- Conflits familiaux
- Éducation islamique
- Mode de vie
- Sectes et religions
- Le besoin humain de religion
- Critique du pluralisme
- Religions Généralités
- Étude comparative des religions
- L’Islam et les autres religions
- L’athéisme
- Judaïsme
- Christianisme
- Zoroastrisme
- Bouddhisme
- Hindouisme
- Bahaïsme
- Autres religions
- Sectes Généralités
- Étude comparative des Sectes
- Chiisme et les autres sectes
- Sunnite
- Wahhabisme
- Ismaélisme
- Soufisme
- Critique du faux mysticisme
- Critiques de Pensées
- Frères musulmans
- Takfirisme
- Le rapprochement des écoles islamiques
- Questions et réponses
- Nos questions
- Dogmatique 221
- Historique 123
- Hadith 123
- Coranique 123
- Dogmatique 123
- Réponses aux ambiguïtés 123
- Historique 123
- Hadith 123
- Coranique 123
- Juridique 123
- Juridique 123
- Temps d'étude: 14 minutes
- 0 Avis
En ouvrant le Coran…quelques clés de lecture
Amélie Neuve-Eglise
Comprendre et interpréter le Coran par le Coran
Si le fait de couper les mots de la vision d’ensemble dans lequel ils s’inscrivent empêche de saisir leur sens, la même logique s’applique également aux versets : le Coran n’est pas une énumération de versets sans rapport les uns avec les autres, mais un tout harmonieux. Chaque verset peut et doit donc être compris et éclairé par les autres.
De nombreuses méthodes de compréhension et de commentaire du Coran ont été proposées au cours des siècles, dont le point commun était de l’évaluer à partir d’éléments et de théories extérieures : théories scientifiques, philosophiques, linguistiques, mais aussi paroles supposément attribuées au prophète Mohammad, aux Imâms… Néanmoins, ces méthodes comportent le biais d’évaluer le Coran à partir de ce qui lui est étranger. En établissant des critères d’évaluation de façon libre, elles sont donc susceptibles de le “réduire” à une dimension qui n’est pas la sienne et de lui faire dire à peu près ce qu’elles veulent. Ainsi, un sociologue étudiant le Coran et la religion en général aura tendance à le réduire à un simple phénomène social et manquera totalement la spécificité de son objet.
La méthode d’interprétation du Coran par le Coran, qui a été recommandée par le Prophète et les douze Imâms (1)eux-mêmes, et selon laquelle chaque verset et passage permet de venir éclairer et confirmer le sens des autres, a l’avantage de mettre en relief le regard du Coran sur lui-même, et non selon le point de vue d’une école ou théorie particulière. Cette méthode permet également de laisser le moins de place possible à la subjectivité qui a libre cours lorsqu’elle réfléchit sur un verset de façon isolée, ou aux interprétations idéologisées basées sur des lectures sélectives.
En outre, le Coran se définit lui-même comme un “éclaircissement de toute chose” (Al-Nahl (Les abeilles) ; 16:89). Si un livre peut éclairer toute chose, il peut donc logiquement s’expliquer lui-même et fournir les principes de sa propre compréhension. Sur cette base, chaque verset coranique existe en rapport avec celui qui le précède et celui qui le suit, et aussi en rapport avec l’ensemble des autres versets. (2)Trouver et essayer de comprendre ces liens est un aspect central de toute réflexion au sujet du Coran.
Un exemple d’interprétation du Coran par le Coran (3)
Le Coran présente Dieu comme “le Créateur de toute chose” (Al-Zumar (Les groupes) ; 39:42). Selon un autre verset, “Il a bien fait tout ce qu’Il a créé” (Al-Sajda (La prosternation) ; 32:7). En croisant ce verset avec le précédent, nous en déduisons que la création va de pair avec la beauté. Néanmoins, d’autres versets du Coran évoquent l’existence du mal et du laid. Sur la base des versets précédents, nous comprenons que le mal n’est pas créé et que son existence n’est que relative. A titre d’exemple, le serpent est nuisible par rapport à l’homme, mais non de façon absolue. De même, certains actes laids sont issus de l’homme comme être libre, et non le résultat d’une création divine. Sur cette base, le Coran invite à considérer l’ensemble de la création comme belle et harmonieuse en soi, et enveloppée de bonté : “Ma miséricorde embrasse toute chose.” (7:156). Il vise à faire sortir l’homme de l’étroitesse de ses considérations et à lui donner une vision plus profonde du monde dont chaque aspect et une manifestation de la beauté divine créatrice : “Dieu ! Il n’y a de dieu que Lui ! Les noms les plus beaux lui appartiennent.“ (Tâ-Hâ ; 20:8) ; “Il n’y a rien dont les réserves ne soient pas auprès de Nous ; Nous ne les faisons descendre que d’après une mesure déterminée.“ (Al-Hijr ; 15:21). Lorsqu’il prend conscience que tout ce qui existe est une manifestation de la Beauté divine, l’homme contemple le monde avec un autre regard, sa foi augmente ainsi que son Amour pour la Source de cette beauté : “Les croyants sont les plus zélés dans l’amour de Dieu” (4) (Al-Baqara (La vache) ; 2:160). En dressant un tableau de la création basé sur l’omniprésence de la Bonté et Miséricorde divine, le Coran vise à donner un autre regard et à produire un bouleversement intérieur rappelant l’homme à la réalité profonde de ce monde et de son propre être.
Ne pas restreindre le Coran à son sens littéral : la dimension exotérique et ésotérique du Coran
Si le Coran doit se comprendre par le Coran, cette “compréhension” comporte elle-même différents degrés ; le message du Coran ne doit donc pas être réduit à son sens apparent. Cette idée y est exprimée par le terme de ta’wîl, qui s’oppose à tanzîl. Ta’wîl est issue de la racine awwala, évoquant l’idée de reconduire une chose à son origine (awwal signifie premier), tandis que tanzîl exprime l’idée de descente, de révélation d’une chose. Le ta’wîl désigne donc la signification originelle, spirituelle et ésotérique d’un verset par opposition au tanzîl, son sens littéral et évident. Nous le retrouvons dans plusieurs versets, dont celui-ci : “Ils ont traité de mensonge ce qu’ils ne comprennent pas et ce dont le ta’wîl ne leur est pas parvenu.” (Yunûs (Jonas) ; 10:39). Ta’wîl et tanzîl ne sont cependant pas deux réalités opposées, mais constitue un tout qui se complète : Ta’wîl ne signifie pas contraire aux apparences, mais plutôt un approfondissement de l’apparent. (5)Comprendre le sens profond d’un verset n’aboutit donc pas à mettre de côté le sens apparent. Ce fait s’ancre dans une réalité ontologique selon laquelle le Coran lui-même a son origine et son archétype original dans la “Mère du Livre” (umm al-kitâb), dont le Livre que nous lisons n’est que la manifestation au niveau de l’existence terrestre : “Nous en avons fait un Coran arabe afin que vous raisonniez. Il est auprès de Nous, dans l’écriture-Mère (l’original du ciel), sublime et rempli de sagesse.” (Al-Zukhruf (L’ornement) ; 43:3-4).
De l’exotérique à l’ésotérique d’un verset
Le sens apparent du “Adorez Dieu, ne lui associez rien !” (Al-Nisâ’ (Les femmes) ; 4:36) est qu’il ne faut pas donner d’associé à Dieu en adorant les idoles, comme l’évoque cet autre verset : “Evitez la souillure des idoles” (Al-Hajj (Le pèlerinage) ; 22:30). En réfléchissant au sens profond de l’adoration, nous comprenons qu’ “adorer” n’est pas seulement un acte extérieur consistant, par exemple, à se prosterner devant une statue, mais avant tout un état intérieur conduisant à se soumettre à l’objet ou la personne adorée, et à lui obéir. En opérant un retour sur soi, nous réalisons que si nous ne sommes pas en apparence polythéistes, nous passons en revanche notre temps à nous soumettre à nos envies, nos désirs… qui deviennent autant d’ “idoles intérieures” nous éloignant de Dieu : “N’as-tu pas vu celui qui prend sa passion pour une divinité ?” (Al-Jâthiya (L’agenouillée) ; 45:23). En revenant sur le premier verset, nous passons d’un sens apparent – l’interdiction d’adorer un autre dieu que Dieu -, à un sens plus profond qui implique de n’obéir et de ne prêter attention qu’à Dieu, et à ne plus se soumettre à ses mille penchants et désirs. Ce verset comprend donc tout un programme de vie spirituelle, consistant à ne pas se laisser distraire par ce qui est passager et à s’efforcer de concentrer toute son attention sur son Créateur – cette adoration et ce rappel de Dieu étant lui-même au service du croyant, en lui permettant de réaliser son essence profonde : “Le rappel profite aux croyants.” (Al-Zâriyât (Qui éparpillent) ; 51:55) ; “Ne soyez pas comme ceux qui ont oublié Dieu ; [Dieu] leur a fait alors oublier leur propres personnes.” (Al-Hashr (L’exode) ; 59:19), car l’âme de l’homme est issue de l’esprit de Dieu qui est “plus près de lui que sa veine jugulaire” (Qâf ; 50:16). Oublier Dieu implique donc automatiquement d’oublier ce qui constitue la vérité profonde de son être. Nous comprenons donc ici le sens profond et le pourquoi de l’adoration. Dans cet exemple, nous voyons que le sens caché du verset ne vient en aucun cas remettre en cause sa signification apparente : ne pas penser à un autre que Dieu n’invalide pas le fait qu’il ne faille pas se prosterner devant des statuettes de pierre ; il constitue juste un niveau plus profond de monothéisme, réalité qui se manifeste selon différents degrés, de l’apparent au plus caché.
Ce genre de raisonnement, allant d’un sens apparent à un sens de plus en plus profond débouchant sur l’unicité divine et l’expression d’un lien étroit unissant l’homme à Dieu, peut être appliqué à l’ensemble du Coran.
Une question pourrait maintenant se poser : pourquoi le Coran s’exprime-t-il de façon à la fois exotérique et ésotérique ? Un début de réponse repose sur le fait que la base de la vie humaine est matérielle. Cette matière est non seulement la réalité la plus évidente perçue par l’homme, mais lui permet également de (sur)vivre. En conséquence, la matière constitue le socle à partir duquel il créé des mots et concepts. Lorsqu’il veut se représenter des idées immatérielles comme l’amitié, le courage, etc., il a donc tendance à s’appuyer sur des concepts matériels : l’amitié est comparée à une attraction magnétique ou à des “atomes crochus”, la passion à une fusion, la sérénité à une mer calme, etc.
S’adressant à tous, la révélation coranique prend en compte la diversité des intellects humains : certains peuvent difficilement s’élever au-delà de la représentation des choses matérielles, alors que d’autres ont de hautes capacités d’abstraction. Le Coran s’exprime de telle façon qu’il pourra véritablement “parler” à chacun : “Il fait descendre une eau du ciel. Elle coule dans les vallées à la mesure de leur capacité.” (Al-Ra’d (Le tonnerre) ; 13:18). Il repose sur une force d’expression extraordinaire capable d’énoncer les vérités spirituelles les plus hautes au travers d’un langage simple issu du monde sensible, et dont la signification pourra être approfondie par degrés. Le spirituel est donc ici dans le cœur du sensible, comme le fruit à l’intérieur d’une écorce. (6)
Même les versets en apparence les plus simples contiennent également différents niveaux de signification. Le sens apparent du verset “Que l’homme considère donc sa nourriture” (’Abasa (Il s’est renfrogné) ; 80:24) concerne la nourriture du corps : l’homme se doit de faire attention à ce qu’il mange – pour préserver sa santé et, d’un point de vue religieux, en ne consommant pas ce qui est illicite. Mais l’homme, qui est le sujet du verset, n’est pas qu’un corps : il a également un esprit. Et tout comme la bonne croissance du corps dépend d’une nourriture saine, il en va de même pour l’âme. Selon un autre niveau de signification, chaque être humain doit également accorder de l’importance à la façon dont il nourrit sa pensée : certaines idées la rendent fécondes et la font grandir, tandis que d’autres peuvent agir comme de véritables poisons et la rendre malade. Le Coran incite donc l’homme à penser tout autant à la nourriture de son corps qu’à celle de son esprit : à ne pas regarder n’importe quoi, choisir des lectures qui développent sa capacité de réflexion et l’élèvent spirituellement, etc. Nous voyons encore ici que le second ne vient pas remettre en cause et invalider le sens apparent. Lire le Coran implique donc de garder à l’esprit l’existence de cette pluralité verticale de sens, et la possibilité constante d’y découvrir de nouvelles significations.
Les versets clairs et les versets ambigus du Coran
Les versets du Coran ont été “confirmés, puis expliqués de la part d’un Sage parfaitement informé” (Hûd ; 11:1). Ils sont donc fermement établis et inaltérables. Cependant, “on y trouve des versets clairs (muhkâmât) – la Mère du Livre – et d’autres ambigus (mutashâbihât)” (Al-e ’Imrân (La famille de ’Imrân) ; 3:7). Du point de vue de leur signification, l’ensemble des versets ne doit donc pas être mis sur le même plan : certains ont un contenu susceptible de se voir attribuer différentes significations, et pouvant donc prêter à une certaine confusion. Néanmoins, sur la base de l’interprétation du Coran par le Coran, la signification des versets ambigus peut être éclaircie à l’aide des versets exempts de toute équivoque. (7)Par exemple, des versets comme “Quand ton Seigneur viendra” (Al-Fajr (L’aube) ; 89:22) ou “Le Miséricordieux se tient sur le Trône” (Tâ-Hâ ; 20:5) peuvent prêter à une certaine confusion : ils semblent évoquer que Dieu serait un être matériel situé dans l’espace. L’ambigüité est levée lorsque l’on rapporte ces versets à un verset qui en est totalement exempt : “Rien n’est semblable à Lui” (Al-Shûrâ (La consultation) ; 42:11). Sur cette base, nous comprenons que Dieu ne doit pas être envisagé selon un schéma anthropomorphique, et qu’il ne fait pas restreindre le sens de “venir” et “se tenir” à une signification purement matérielle. (8)La suite du verset au sujet de l’existence des versets clairs et ambigus prévient : “Ceux dont les cœurs penchent vers l’erreur s’attachent à ce qui est ambigu, car ils recherchent la discorde et ils sont avides d’interprétations.” (Al-e ’Imrân (La famille de ’Imrân) ; 3:7). Il est donc nécessaire de ne pas se focaliser sur un verset pris séparément et de confronter les versets les uns aux autres pour en comprendre la signification profonde – car ce sont ces lectures partielles et superficielles qui pourront donner naissance aux pires clichés et à des Ben Laden…
Les “contradictions” du Coran
Le lecteur est donc constamment inviter à méditer sur le Coran, et à ne pas s’arrêter trop vite sur des versets qui sont en apparence contradictoires. Le but du Coran est d’expliciter certains sujets très complexes comme celui de la nature de Dieu et de ses attributs, la relation entre Dieu et les hommes, la liberté des hommes face à la toute puissance de Dieu… Tout lecteur doit donc garder à l’esprit la subtilité de ce texte et se donner du temps pour y réfléchir : “Ne méditent-ils donc pas sur le Coran ? S’il provenait d’un autre que Dieu, ils y trouveraient certes maintes contradictions !” (Al-Nisâ’ (Les femmes) ; 4:82). Ce verset établit un lien clair entre l’idée d’absence de contradiction et de méditation.
Il n’est pas rare d’entendre des “spécialistes” du Coran en relever les “contradictions”. Cependant, il est fort probable que lorsque ces mêmes chercheurs commentent Kant ou Wittgenstein et y trouvent des “contradictions”, ils s’empressent d’affirmer qu’elles ne sont qu’apparentes, que ces paroles ont un rapport dialectique, se situent à des degrés différents… tout en ajoutant qu’il ne faut pas lire ces ouvrages de façon superficielle, qu’ils ont un sens profond, etc. Pourquoi s’empresser de faire une lecture superficielle partant du présupposé que tout n’a qu’un seul niveau d’interprétation, et crier à la contradiction lorsqu’il s’agit du Coran ?
Un Dieu à la fois transcendant et proche, une “contradiction” du Coran ?
De nombreux versets affirment à la fois la ressemblance de Dieu avec Ses créatures (Dieu voit, entend, Il est généreux, miséricordieux… autant d’attributs pouvant être conférés aux hommes), “C’est Lui l’Audient, le Clairvoyant.” (Al-Ghâfir (Le pardonneur) ; 40:56) ; tout en insistant ailleurs sur Sa transcendance absolue le situant au-delà de toute ressemblance avec Sa créature : “Rien n’est semblable à Lui” (Al-Shûrâ (La consultation) ; 42:11) ; “Les regards ne peuvent L’atteindre.” (Al-An’âm (Les bestiaux) ; 6:103).
En réalité, cette complexité touche à l’essence même de Dieu qui englobe tout ce qui est : “C’est Lui le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché” (Al-Hadid (Le fer) ; 57:3) (9). Ce verset, qui place des adjectifs contradictoires les uns à côté des autres, est en soi une invitation à la méditation. Si l’on veut accuser le Coran d’être chargé de contradictions, alors ce verset en est le meilleur exemple : l’apparent et le caché sont deux contradictoires, comment Dieu pourrait-Il être les deux à la fois ?
En réalité, deux aspects de Dieu doivent être distingués : Son essence, qui est indescriptible et au-delà de toute atteinte, et Son aspect manifesté, qui est accessible et auquel chaque créature “ressemble” selon un degré particulier. Selon cet aspect, tout comme il n’est pas possible qu’un enfant n’ait aucune ressemblance avec ses parents, il est également impossible que Ses créatures soient totalement différentes et n’aient aucun rapport avec Lui. Le Coran qualifie lui-même toute créature de “signe” (aya) et l’envisage comme une manifestation des divers attributs et perfections de son Créateur.
Si Dieu demeurait indescriptible et ne ressemblait à rien de ce que l’homme connaît, l’adoration de Dieu par l’homme ne pourrait avoir de base concrète. En même temps, un Dieu qui n’est qu’une créature parmi les autres et à les mêmes défauts n’est pas digne d’être adorée et ne peut être Dieu. En Le présentant à la fois comme Premier et Dernier, Apparent et Caché, le Coran souligne qu’il ne faut pas imaginer Dieu comme étant une réalité n’ayant qu’un aspect unique. Il concentre donc ces deux aspects, sans qu’il y ait la moindre contradiction. (10)Le Coran vise ainsi à donner à l’homme une vision la plus parfaite possible de Dieu et à le préserver de toute représentation superficielle. Nous avons donc ici une expression très profonde du tawhîd, du dogme de l’unicité divine au fondement de l’islam.
La structure du Coran
Après avoir essentiellement abordé des questions de fond, nous abordons un dernier point sur la forme du Coran : il est fort possible qu’en le lisant, le lecteur ressente une impression de désordre et d’incohérence : les sourates n’ont pas de lien apparent entre elles tandis qu’au sein d’une même sourate, une histoire commence, pour être coupée puis reprise plus tard, des versets sont répétés… Là encore, il importe de ne pas évaluer la structure du Coran par rapport au “modèle” de la Bible par exemple, dont les différentes parties racontent une histoire de façon linéaire, ou encore sur celui des structures de pensée cartésiennes fondées sur une introduction, un développement et une conclusion ordonnés. Il n’existe pas qu’une seule forme et façon de s’exprimer… Lire le Coran implique de prendre conscience de sa logique formelle propre fondée sur une “rhétorique sémitique” elle-même basée sur une symétrie de structure conférant à l’ensemble textuel cohérence et subtilité, selon une composition complexe. (11)Le principe du Coran n’est donc pas la linéarité des thèmes, mais plutôt leur éclatement au sein des différentes sourates, qu’il faut s’efforcer de lier et de recroiser selon la méthode de l’interprétation du Coran par le Coran. Ainsi, “il ne faut pas s’étonner de le trouver comme “éclaté” : le Coran n’est pas un “cours d’humanité en dix leçons”, mais une “pluie d’étoiles” tombant du ciel comme autant d’éclats de lumière à recevoir, à méditer, à comprendre et à mettre en œuvre.” (12)Les répétitions du Coran répondent aussi à un principe pédagogique particulier : celui d’enseigner et d’enraciner certains principes clés. Or, tout apprentissage efficace passe par la répétition – surtout lorsqu’il s’agit d’inculquer non pas des principes théoriques, mais de construire de véritables êtres humains. La structure du Coran s’explique donc également de par son but didactique, qui est d’éduquer et de former chaque homme.
En résumé, “le Coran forme un tout et ce n’est qu’en le prenant ainsi, en le lisant et en le répétant, en l’entendant et en le méditant, que chaque partie, peu à peu, résonne à l’unisson des autres, s’éclairant mutuellement, se soutenant, se complétant, se répondant l’une à l’autre pour finalement constituer cet édifice inébranlable et harmonieux destiné à conduire l’homme, en tant qu’individu et comme société, vers son accomplissement.” (13)
Notes:
1- Durant l’histoire de l’islam, de nombreux commentateurs ont soutenu que le Coran ne pouvait se comprendre seul mais seulement en s’appuyant sur les explications données par le prophète Mohammad et sa famille : or, le Prophète et les Imâms ont eux-mêmes affirmé que la validité de leurs explications dépendait du Coran. Ils invitaient ainsi les croyants confrontés à des traditions prétendant expliquer le Coran à confronter ces traditions avec le Coran et à les rejeter si elles n’étaient pas en accord avec lui. Ceci prouve que le Coran à une signification intrinsèque et indépendante de toute “base” extérieure, car la validité de cette base elle-même est évaluée par le Coran. L’interprétation du Coran par le Coran est également la méthode suivie par ’Allâmeh Tabâtabâ’i dans son commentaire du Coran intitulé Al-Mizân.
2- Nous pourrions dire stricto sensu que le fait même de recourir à des citations du Coran est épistémologiquement inadéquat : dans l’idéal, c’est la révélation dans son ensemble qui doit être sollicitée pour étayer un argument, ou présenter la vision du Coran sur une question particulière.
3- Cet exemple est issu de l’ouvrage Al-Qu’rân fi al-Islâm de Tabâtabâ’i, que nous reprenons ici avec de légères modifications.
4- La foi s’accompagne donc de connaissance et d’amour, et permet à son tour de recevoir une “lumière” approfondissant le regard : “Dieu est le maître des croyants, Il les fait sortir des ténèbres vers la lumière.” (Al-Baqara (La vache) ; 2:258) ; “ش vous qui croyez ! Craignez Dieu et croyez à Son Prophète, afin qu’Il […] vous assigne une lumière pour vous guider.” (Al-Hadid (Le fer) ; 57:28).
5- Le terme de ta’wîl est également utilisé pour désigner l’esprit et le sens profond d’une action. Il ne qualifie donc pas seulement les mots, mais également les actes : “Donnez une juste mesure quand vous mesurez ; pensez avec la balance la plus exacte. C’est un bien, et le ta’wîl en est excellent.” (Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne) ; 17:35). Ce terme est aussi utilisé pour décrire le sens profond des actes de Khidr (voir la sourate Al-Kahf (La caverne) ; versets 60-82). Le ta’wîl d’une chose désigne donc sa réalité profonde d’où elle tire son origine.
6- Cette profondeur de sens a aussi un fondement ontologique : le Coran tel que nous le lisons a un archétype “dans le ciel” qui contient l’ensemble de ses significations : “Oui, nous en avons fait un Coran arabe. Il existe auprès de Nous, sublime et sage, dans la mère du Livre” (Al-Zukhruf (L’ornement) ; 43:2-3). Il est ensuite saisi selon les capacités de chacun lors de sa “descente” (tanzîl) : “Il fait descendre une eau du ciel. Elle coule dans les vallées à la mesure de leur capacité.” (Al-Ra’d (Le tonnerre) ; 13:18).
7- Certaines écoles, en ponctuant ce verset d’une certaine façon, ont soutenu que seul Dieu connaît le sens des versets équivoques : “C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclinaison vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Dieu. Et ceux qui sont bien enracinés dans la science disent : “Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur !” (Al-e ’Imrân (La famille de ’Imrân) ; 3:7) Néanmoins, le fait même que le Coran se définit lui-même comme une lumière, un guide et l’explication de toute chose vient récuser une telle lecture. De même, le Coran ayant été révélé pour guider l’homme, pourquoi révéler des versets dont le sens ne pourrait pas être compris ? Une autre lecture, sur la base d’une autre ponctuation en parfait accord avec la grammaire des versets, doit donc être faite : “…que nul n’en connaît l’interprétation, à part Dieu et ceux qui sont bien enracinés dans la science, qui disent : “Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur !” (Al-e ’Imrân (La famille de ’Imrân) ; 3:7).
8- A ce sujet, voir dans ce même numéro l’article sur le commentaire du Verset de la lumière (ayat al-nûr) de ’Allâmeh Tehrâni.
9- Ce verset, qui place des adjectifs contradictoires les uns à côtés des autres, invalide les accusations de certains commentateurs affirmant que certains versets éloignés les uns des autres se contredisent et considérant cela comme étant la preuve que le Coran n’est pas une révélation divine mais a été écrit par Mohammad qui, par manque d’attention, se serait contredit lui-même sans s’en rendre compte à différents endroits. Ces adjectifs opposés évoqués les uns à côté des autres montrent bien qu’il y a une logique derrière cela, et qu’il ne faut pas conclure précipitamment à la présence de contradictions.
10- Cela peut être rapproché de notre propre connaissance des êtres humains – de nos proches ou de nos amis par exemple : il est possible de connaître quelqu’un par ses actes, ses paroles et à travers ce qu’il montre et révèle de lui-même parce que c’est un être humain et qu’il nous ressemble, mais en même temps, l’être profond de chacun nous échappe. Il y aura toujours une part d’inconnu même chez la personne qui nous est la plus proche. Ces deux aspects ne sont pas contradictoires. On peut ainsi dire que nous “connaissons” notre meilleur ami mais aussi que nous ne le “connaissons pas”, car il pourra toujours nous surprendre et il y aura toujours une part de lui qui nous restera cachée. Personne ne peut même dire qu’il se connaît parfaitement lui-même !
11- Voir le travail de Michel Cuypers à ce sujet, notamment Le Festin. Une lecture de la sourate Al-Mâ’ida, Paris : Lethielleux, 2007, 453 p.
12- Bonaud, Christian, “Y aura-t-il alors quelqu’un qui se rappelle ?”, partie 1/2, http://quran.al-shia.org/fr
13- Bonaud, Christian, “Y aura-t-il alors quelqu’un qui se rappelle ?”, partie 1/2, http://quran.al-shia.org/fr