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De nombreuses théories ont été élaborées par les spécialistes pour expliquer les origines du chiisme, les causes de son apparition.
Beaucoup de ses théories sont entachées de subjectivisme ou de parti pris
Pour certains le chiisme est apparue après la mort du Prophète, plus exactement au moment où les compagnons eurent à se prononcer au sujet de Sa succession.
“Un groupe de Muhâdjirouns (Emigrés originaires de la Mecque) et de Ansârs (musulmans de Médine) se sont abstenus de prêter allégeance à Abou Bakr, et se montraient favorables à l’investiture de Ali lbn Abi Tâleb. Parmi eux, il y avait al-Abbâs ibn Abd-ul-Muttalib, al-Fadhl ibn al-Abbâs, al-Zoubeyr ibn al-‘Awwâm, Khâled ibn Saï’d, al-Miqdâd ibn Amrû, Selmân al-Fârissi, Abou Dharr al-Ghiffâri, Ammâr ibn yasser, al-Barrâ ibn al-Azib et Ubayy ibn Ka’b.” (1)
D’autres inclinent à penser que le chiisme est apparu sous le califat même de Ali Ibn Abi Tâleb; et d’autres situent sa naissance quelques temps plus tôt, à l’époque du règne de Othmân.
Certains avancent aussi que le chiisme a été fondé par Ja’far al-Sâdiq, descendant de l’Imam Ali, et lui-même sixième Imam pour les chiites.
Il y a des gens qui ont ajouté foi à l’idée que le chiisme a été inventé par les iraniens pour se venger des arabes, et qu’il n’a par conséquent que des causes politiques.
D’autres considèrent que le chiisme est inhérent à la société, et qu’il se propage en raison des développements qui interviennent dans la société musulmane, au cours des âges.
La thèse la plus excentrique, mais qui a longtemps passé pour la thèse quasi-officielle, du moins aux yeux des non chiites, est celle qui fait du chiisme le produit de la pensée d’un personnage illusoire appelé Abdullah ibn Sabâ’.
La critique moderne a largement contribué au rejet de cette thèse en en montrant les faiblesses, et en démontrant l’inexistence historique du personnage, simple création imaginaire manipulée par les ennemis du chiisme en vue de le discréditer.
Le Dr Tâhâ Hussein, le grand penseur égyptien, écrit:
“Ce que prouve, pour le moins, l’indifférence des historiens à l’égard de la Sabâ’iyya et d’ibn Sawdâ la bataille de Siffîn, est que cette question de la Sabâ’iyya et d’ibn Sawdâ'(autre nom d’ibn Sabâ), avait été forgé plus tard, lorsque la dispute est née entre les chiites et les autres sectes musulmanes. Les adversaires du chiisme voulaient y introduire un élément judaïque, pour comploter contre lui et lui porter atteinte.
Mais si ce personnage d’Ibn al-Sawdâ avait quelque authenticité, et quelque réalité historique, il aurait été normal et logique que son action eût un effet pertinent dans cette bataille complexe qui eut lieu à Siffîn, et on en aurait retrouvé un effet dans la discorde qui survint entre les compagnons de Ali, et qui les divisa pour toujours, au sujet du gouvernement des musulmans.” (2)
Le docteur Muhammad Kurd Ali, écrit ce qui suit:
“Ce qu’enseignent certains auteurs à savoir que l’origine du chiisme consiste dans une innovation introduite par Abdullah ibn Sabâ, connu sous le surnom d’Ibn al-Sawdâ’, est pure imagination, une preuve d’ignorance de la doctrine du chiisme.
Quiconque apprend le rang qu’occupe ce personnage chez les chiites, qui le désavouent complètement, constatera l’unanimité de son rejet par les savants chiites. Mais il ne fait aucun doute que le berceau du chiisme fut le Hidjaz, pays natal de l’Imam Ali.
Le chiisme y était faible extérieurement, mais bien ancré dans les coeurs. Puis, il trouva à se répandre plus facilement en Irak sous le califat d’Ali ibn Abi Tâleb.” (3)
Quant à Ali al-Wardi, professeur à l’Université de Baghdad, il s’interroge:
“Ibn Sabâ avait-il jamais eu une existence concrète ou bien n’est-il qu’un mythe? C’est une question qui revêt une grande importance aux yeux de quiconque cherche à s’instruire ou à enquêter au sujet de l’histoire de la société musulmane. J’affirme qu’Ibn Sabâ, dont on dit qu’il fut le moteur de la sédition est un personnage irréel; il semble même que ce personnage étrange a été imaginé de façon délibérée.
Même le Prophète fut accusé par ses compatriotes Quraychites d’avoir reçu un enseignement de la part d’un chrétien nommé “Jabr“, et de se contenter de répéter ces enseignements.” (4)
D’autres chercheurs avancent cette thèse que le chiisme remonte à l’époque même du Prophète, et qu’il doit sa naissance à la volonté expresse de ce dernier.
Un célèbre hérésiographe musulman, al-Hassan ibn Moussa al-Nawbakhti, écrit dans son livre al-Maqâlât Wal Firaq (les opinions et les sectes):
“la première des sectes (au sein de l’islam) est la chi’a (le chiisme). Il s’agit de la secte de Ali ibn Abi Tâleb, dont les compagnons furent surnommés chi’a tu Aliyyin (les partisans de Ali) à l’époque de l’Envoyé de Dieu et après sa mort.
Ils étaient connus pour leur attachement à lui, pour la reconnaissance de son rang d’Imam. Parmi eux, il y avait: al-Miqdâd ibn al-Aswad al-Kindî, Selmân al-Farssi, Abou Dharr al-Ghiffâri, Ammâr ibn Yasser.
Tous ces gens l’aimaient, lui vouaient obéissance, et le considéraient comme leur chef. Ils furent les premiers à être désignés comme chiites dans cette communauté. Car le nom de “chiites” est très ancien; il y a les chiites de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Jésus et des autres prophètes.
Les auteurs chiites insistent sur ce point, et font mention de plusieurs traditions prouvant que le premier transmetteur de l’islam -le Prophète- avait déjà donné le nom de “chiites” aux partisans de Ali.
Des commentateurs du Coran et des traditionnistes sunnites ont rapporté ce qui suit au sujet des circonstances dans lesquelles fut révélé le verset coranique:
“Ceux qui ont cru et fait des bonnes actions, ceux-là sont les meilleurs de la Création.”
Coran, sourate La Preuve (al-Bayyina), verset 7
Al-Hafedh Jamâl-ad-D î n al-Zarand î considère comme authentique la tradition rapportée par Ibn Abbâs selon lequel lorsque ce verset fut révélé, le Prophète aurait dit à Ali:
“Il s’agit de toi et de ta Chi’a; tu viendras toi et tes chiites, au jour de la Résurrection, satisfaits et agréés; puis, viendront tes ennemis, humiliés et objets de la colère divine.” (5)
Tabari, célèbre historien et commentateur du Coran, écrit à la suite de son commentaire du verset ci-dessus:
“L’Envoyé de Dieu fut le premier à avoir employé le terme (de chiites) pour désigner les compagnons de Ali.
Nous sommes ainsi amenés à en déduire que le chiisme procède du coeur même de l’islam, qu’il est l’islam lui-même. Il a été baptisé par l’Envoyé de Dieu lui-même. Et si parfois on lui ajoute le qualificatif de “Ja’farite” dans l’expression “chiisme Ja’farite”, c’est en raison des efforts inestimables que déploya, le sixième Imam, Ja’far al-Sâdeq, pour propager la culture islamique et chiite, mettant à profit les circonstances politiques exceptionnellement propices, et pour combattre les idées pernicieuses qui commençaient à voir le jour dans la pensée musulmane, en particulier dans le droit musulman.
L’écrivain égyptien Muhammad Fekrî Abou Nasr évoque en ces termes l’identité du chiisme:
“Les chiites n’ont aucune relation avec la doctrine d’Abou-l-Hassan al-Ach’arî, dans le domaine des principes de la religion (Ossûl) et aucune relation avec les quatre écoles (sunnites) dans le domaine des applications, pour la raison que la doctrine des Imams chiites est plus ancienne que toutes les autres écoles. Elle est par conséquent plus fiable et plus sûre, et plus digne d’être suivie que tous les autres rites. Elle est plus digne d’être suive parce que la porte de l’Ijtîhâd (c’est-à-dire de l’effort indépendant d’interprétation des textes scripturaires en vue de dégager des prescriptions et avis juridiques) y est ouverte jusqu’à la fin des temps. Enfin, cette doctrine a été conçue et élaborée à l’abri de toute manipulation politique.” (6)
Le professeur Abou-l-Wafâ al-Ghanîmî al-Taftâzânî écrit dans le livre: Ma’a Ridjâl-el-Fikr fi-l-Qâhera (Aves les intellectuels de Caire):
De nombreux chercheurs, aussi bien en Orient qu’en Occident, de nos jours et dans le passé, ont porté des jugements erronés sur le chiisme, jugements ne s’appuyant nullement sur des preuves et témoignages dignes de foi. Certains gens ont discuté, entre eux, à propos de ces jugements sans jamais s’interroger sur leur véracité.
La principale cause de l’impartialité à l’égard du chiisme, de la part de ces chercheurs, consiste dans l’absence de toute référence à des sources chiites, et dans l’acceptation irréfléchie des thèses de leurs adversaires.”
Nous voyons bien qu’il ne s’agit plus de recherche de la vérité et de la science, mais d’une tentative délibérée de semer la discorde entre les musulmans. Au lieu de donner la priorité à l’islam, au Coran et à la Qibla (direction de la prière vers la Mecque, de tous les points du monde), ces gens s’emploient à semer la zizanie, inconscients qu’ils sont en train de saper les fondements de l’islam.
Précisons ici quelques points de ce qui précède:
Lorsque nous disons que le Prophète a employé le terme de “chiites” au sujet des partisans de l’Imam Ali, il ne faut pas entendre par là que les chiites étaient une secte parmi d’autres sectes de l’islam. Cela ne pouvait désigner qu’une élite, c’est-à-dire un groupe de gens qui s’étaient distingués par leur foi, leur quête de science, leur amour pour le Prophète et sa Famille, et comme Ali en était le molèle même, le Prophète les a appelés partisans de Ali, Chi’atu Ali.
Les chiites n’ont constitué une secte à part qu’après la disparition du Prophète, lorsqu’ils durent, dans l’intérêt de l’islam, désavouer certaines innovations introduites par des compagnons du Prophète, compagnons dont le mérite s’est du même coup dégradé.
Les chiites ne pouvaient pas se taire indéfiniment Le plus grand sacrifice qui fut consenti par des hommes pour sauver l’Islam, eut lieu à Karbala, le jour où l’Imam Hussein et ses compagnons affrontèrent les troupes de la sédition omeyyade. Le sacrifice de Hussein permit de réveiller de leur léthargie de nombreux musulmans, et grâce à lui, le chiisme allait recevoir des énergies nouvelles.
Dans l’assemblée de la Saqîfa, où s’étaient réunis les compagnons du Prophète pour désigner son successeur,les chiites ont fait entendre leur voix; ils ont refusé de prêter allégeance au candidat Abou Bakr. Ils ont rappelé les nombreuses occurrences où le Prophète avait désigné Ali comme son successeur. Et ils ont refusé de se rallier à la majorité, car on ne peut décider d’un principe religieux par la majorité.
Après la mort du Prophète, la question principale fut de désigner un chef pour les musulmans, au sens habituel du mot, et non un Imam, au sens spécifique d’héritier de la science prophétique ayant à sa charge de la défendre et de la transmettre. Dans l’assemblée de la Saqîfa, on ne parla pas d’Imamat, mais seulement de désigner un chef à la communauté.
Ceux qui aspiraient à cette charge n’osaient pas se nommer Imam, sachant tout ce que ce terme implique, et n’ignorant pas qu’il était réservé à Ali.
Mu’awiyya sera le premier à se donner le titre d’Imam!
Même dans les livres sunnites, on parle de califes, mais dès qu’il s’agit de Ali et de ses enfants Hassan et Hossein, on emploie le terme d’Imam. Dans les livres de politique et de théologie dogmatique, on parle d’Imam et non de calife.
Le Prophète de l’islam recevait la révélation coranique et la transmettait aux gens. Mais il avait aussi la fonction d’organiser la vie sociale, politique et privée des gens conformément aux enseignements divins.
Il était par conséquent un chef politique, responsable de l’exécution des lois religieuses. Il désignait les gouvernants, les juges et les commandants de l’armée. Il distribuait les richesses, les prises de guerre, levait l’impôt et en affectait les recettes conformément à la volonté divine et rendait la justice.
Les musulmans observaient les faits et gestes de l’Envoyé de Dieu et ils n’ont pas tardé à se rendre compte que ces faits et gestes expliquaient le Coran, le rendaient plus facile à comprendre.
En la personne du Prophète, se réunissaient les trois pouvoirs: il était la source de la Loi, la source de la Justice, et le chef de l’exécutif.
Après sa mort, ce qui sera la cause de contestation, de querelle et même de guerre entre les musulmans, ce sera la divergence au sujet de sa succession, non en tant que Prophète, mais en tant que chef de la communauté musulmane.
Ceux qui ont voulu accéder à la direction des affaires des musulmans, ne prétendaient nullement avoir une fonction prophétique; ils ne réclamaient même pas le titre d’Imam. Ils affirmaient tout au plus leur volonté de prendre en main les rênes du pouvoir et de l’administration des affaires des musulmans, de peur de voir la société musulmane se disloquer, et les arabes à leurs superstitions.
Notes:
1 – Al-Ya’qûbi: Târikh tome 2, p.114.
2 – Voir: el-Fitnat-ul-Kubrâ tome 2, p.90.
3 – Voir: Khutât al-Châm (imprimé à Beyrout) tome 6, p. 246.
4 – Dk.Haykal, La Vie de Muhammad, p.l36.
5 – Khârazmi Hanafi: Manâqib, p.66; Suleymân Hanafi: Yanâbi’ul Mawadda, p.56.
6 – Voir:al-Murddjiâle(imprimé A Caire), p.10avant-propos.